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interviewMarinette Pichon : "On ne devrait pas avoir besoin de s'expliquer aux gens"

Par Assia Hamdi le 06/07/2023
Marinette Pichon est une ex-footballeuse internationale française qui vit aujourd'hui au Québec.

[Rencontre à retrouver dans le magazine têtu· de l'été] Ancienne internationale française de football, Marinette Pichon, aujourd'hui expatriée au Québec, fait aujourd'hui l'objet d'un film, Marinette, réalisé par Virginie Verrier. têtu· a rencontré cette légende du foot féminin, accessoirement meilleure buteuse qu'Olivier Giroud !

Au Canada, où elle est expatriée depuis 2019, Marinette Pichon, 47 ans, mène une vie paisible avec sa compagne et leurs fils. L’ancienne attaquante des Bleues, aujourd’hui directrice générale du club de soccer des Rapides de LaSalle, près de Montréal, est une légende du football féminin. Longtemps détentrice du record de buts en équipe de France – 81 en 112 sélections de 1994 à 2007 –, elle n’est détrônée qu’en 2020 par Eugénie Le Sommer, avec 88 buts en 177 sélections (à noter que chez les hommes, le meilleur buteur, Olivier Giroud, n’a que 53 buts en 122 matchs au compteur). Marinette Pichon fut aussi la première footballeuse française ouvertement lesbienne, après un coming out médiatique. Le 7 juin est sorti au cinéma son biopic, Marinette, réalisé par Virginie Verrier.

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Qu’est-ce que ça fait de se voir au cinéma ?

J’ai pleuré plusieurs fois. Ce film est magnifique. J’ai pris une claque. L’équipe s’est approprié ma vie, nos vies, nos bonheurs, nos chagrins… Tous les sujets sont bien traités, et ce n’est ni voyeuriste ni laxiste. L’homosexualité est racontée à travers des petits regards, des attitudes… Virginie Verrier, la réalisatrice, a aussi très bien choisi les acteurs, qui sont parvenus à rendre la gestuelle de ma mère, de ma sœur, de mon père… Et je suis très fière de la prestation de Garance Marillier, qui joue mon personnage, car elle y a mis tout son cœur. Bien sûr, certaines scènes sont douloureuses, et j’en ai d’ailleurs fait des cauchemars. À l’époque, je voulais montrer qu’on peut tout faire en termes d’inclusion des femmes dans le sport, et que même dans un contexte familial difficile, on peut s’en sortir.

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Crédit photo : The Jockers Films

Quel a été votre rôle dans la réalisation ?

J’ai rencontré Virginie Verrier via un ami en commun. Puis j’ai évoqué son projet avec ma famille, après quoi j’ai dit “banco, on y va”. Il y a eu beaucoup d’entretiens pour retracer les événements de ma vie autrement que dans mon autobiographie (Ne jamais rien lâcher). Virginie retranscrivait nos échanges, mes émotions… Ensuite, elle a consolidé le scénario, puis on a eu un échange visio de trois heures avec elle et Ingrid, ma compagne, pour déstructurer la trame. Ma famille est même venue du Canada en mars 2022 pour rencontrer les comédiens sur le tournage. Bref, j’ai vraiment été associée au projet. Il aura fallu attendre 2023 pour que soit réalisé le premier biopic sur une sportive française, grâce à Virginie et à sa détermination ! Ce film, c’est aussi l’histoire d’une femme qui a voulu raconter l’histoire d’une autre femme.

"En France, il faudrait peut-être une ligue professionnelle, avec un budget identique à ceux des équipes masculines."

Vous vivez aujourd’hui au Canada, où l’équipe nationale féminine est championne olympique. Quel œil gardez-vous sur la discipline en France ?

Les mentalités changent. En Espagne, il y a un championnat professionnel. En Angleterre, les moyens se sont développés. En Allemagne et aux États-Unis, il y a des ligues professionnelles. Cela prouve que les choses sont possibles. En France, il faudrait peut-être une ligue professionnelle, avec un budget identique à ceux des équipes masculines, et une communication forte pour générer l’intérêt du public. Les joueuses pourront alors avoir un statut professionnel et se consacrer à leur carrière, à leur progression. Au Canada, on a des événements médiatisés chez les femmes comme chez les hommes. Des stars sont aussi invitées. Cela commence par de la volonté, mais après il faut que les résultats soient là. Les Canadiennes sont championnes olympiques, et ça permet d’avoir des financements par exemple. À terme, c’est ce développement que je souhaite pour la France.

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Crédit photo : Philippe Merle / AFP

Le Canada, c’était uniquement une opportunité professionnelle ?

Ma première motivation, c’était le soccer féminin, mais aussi l’opportunité de découvrir une nouvelle culture. J’ai vraiment vu la différence : au Canada, chacun fait sa vie, et on a l’impression d’être accepté comme on est. J’adore ça. Et puis dans ma vie, si j’ai toujours fait ce que je voulais, je m’étais un peu éloignée de ma compagne et de mes enfants, et j’ai eu besoin que l’on parte pour me focaliser de nouveau sur eux. Alors finir à 14h et rentrer chez moi pour télétravailler en toute confiance, c’est exactement ce qu’il me fallait.

Vous avez été la première footballeuse française en activité à avoir évoqué votre homosexualité, avant la gardienne Pauline Peyraud-Magnin en 2020. Ça vous étonne qu’il y en ait eu si peu ?

Je ne sais pas. Ça peut ouvrir des portes de parler, mais est-ce qu’on a besoin de dire qu’on est attiré par les femmes ? À un moment donné, peut-être qu’on ne devrait pas avoir besoin de le faire, de donner des explications aux gens. En tout cas, pour moi, ce n’était pas du militantisme. Je répondais juste aux questions qu’on me posait. Je me disais que si ma parole pouvait aider, il fallait que je le fasse, et je me le dis toujours. Parce que je reçois encore des messages de gens qui me disent que mon témoignage leur a ouvert les yeux. Ces encouragements me font du bien, et me font prendre conscience à quel point il est important de partager. Si mon exemple peut permettre à d’autres d’avancer, on y va !

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Crédit photo : Tim Sloan / AFP

Avez-vous déjà rencontré la joueuse américaine Megan Rapinoe, out et très investie politiquement ?

Jamais, mais j’aime les messages qu’elle véhicule. C’est un modèle. Et l’on a d’ailleurs pas mal de points communs. Qu’elle ait obtenu l’égalité salariale montre son acharnement et son poids. Pour moi, c’est une femme incontournable dans le sport féminin.

Et sur le terrain, qui sont vos préférées ?

J’aime beaucoup la milieu espagnole Alexia Putellas, l’attaquante norvégienne Ada Hegerberg, mais aussi la gardienne Pauline Peyraud-Magnin, qui a ouvert la discussion sur plusieurs sujets. J’aime le leadership de la défenseuse Wendie Renard, et le courage qu’elle a eu de critiquer le fonctionnement de l’équipe de France. C’est une joueuse qui a été sacrée à de nombreuses reprises. J’aime beaucoup l’ancienne attaquante anglaise Kelly Smith, la gardienne américaine Hope Solo… C’est pas mal comme équipe ça, non ? Quand est-ce qu’on le joue, ce match ?

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Crédit photo : Audoin Desforges