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VIHLine Renaud, l’alliée de toujours, nous raconte son engagement contre le VIH/sida

Par Marie Colmant le 29/03/2021
Line Renaud

Chanteuse, actrice, meneuse de revue, copine de Sinatra et de Jacques Chirac. Mais, surtout, combattante précoce et inlassable contre le sida. Line Renaud, c’est une vie de lutte et de bonne humeur.

Cet article est initialement paru dans le numéro 225 de TÊTU 

Elle attend les questions de TÊTU, confortablement installée à La Jonchère, sa grande maison dans les bois de Rueil-Malmaison, un verre de champagne à la main–un champagne estampillé d’une étiquette qui porte son nom. Tout de suite, ça pose la dame. Celle à qui la communauté gay doit tant.

Line Renaud se repose après trois semaines de tournage, un téléfilm pour France 3 dans lequel elle incarne une enquêteuse pas commode. Depuis son retour à la maison, elle enquille aussi les interviews, en pleine promo de son dernier livre de mémoires, En toute confidence, écrit avec la complicité de Bernard Stora. Une sorte de suite à Et mes secrets aussi, sorti en 2013.

Ces mémoires restent aujourd’hui la meilleure façon de faire connaissance avec cette femme extraordinaire qui, à 92 ans, fonctionne à plein régime, en cinquième, pied au plancher. Malgré les prières de ses proches, qui la supplient de ralentir, elle avance, toujours un projet en poche, un pied après l’autre, comme sa mère et sa grand-mère le lui ont enseigné. Ces femmes fortes ont façonné la petite Jacqueline Ente, de son vrai nom, pour qui la valeur travail n’est pas une mince affaire.

Icônes perdues

C’est une acharnée de travail ne sachant pas faire les choses à moitié que les lecteurs les plus jeunes découvriront d’abord dans ce livre ; une femme qui ne la ramène jamais, toujours épatée par les tonnes d’amour que son public lui déverse par flots incessants.

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Pourtant, les quelques photos d’elle publiées dans le corps du livre pourraient lui donner deux ou trois raisons de se la raconter. Qu’on en juge : Line Renaud le soir de ses 90 ans, renversée de rigolade par Elton John ; Line Renaud à touche-touche avec Quincy Jones, Line Renaud avec Madonna ou Jacques Chirac, évidemment, son ami de toujours, son pote; avec Muriel Robin et Claude Chirac, ses deux filles de cœur ; enfin joue à joue avec d’autres icônes perdues de vue par les plus jeunes, comme Joséphine Baker, l’amie chérie, qui dispensait à la jeune Line ses leçons sur la meilleure façon de descendre un escalier avec 8 cm de talons et un costume de 30 kg.

Briser les murs de glace

Chanteuse du bonheur, infatigable meneuse de revue, comédienne accomplie et reconnue par ses pairs, Line Renaud est une star made in France totalement hors norme, mais pas seulement. On lui doit beaucoup. Elle est une marraine, la fée qui sans relâche s’est battue et se bat encore aujourd’hui pour collecter des fonds au profit de la lutte contre le sida, depuis une époque, le milieu des années 1980, où ce n’était pas très populaire. C’était il y a quarante ans, quand il était encore interdit de faire de la publicité pour les préservatifs, alors qu’on savait qu’ils constituaient la seule barrière connue pour éviter la contamination. Imaginez le travail, le mur de glace qu’elle s’est pris dans les dents.

Mais Line garde en mémoire les bons moments, comme cette bouleversante ovation qui accueillit son entrée sur la scène du Zénith lors du premier Sidaction en 1994. Autant de souvenirs mémorables dont elle parle avec cette extraordinaire modestie qui la caractérise, elle qui se souvient de tout, toujours, avec cette bonne humeur communicative.

Viva Las Vegas

Et l’on commence avec Liberace, monument de gaytitude, ce qui est bien le moins pour fêter les 25 ans de TÊTU. Le pianiste de charme de Las Vegas, musicien virtuose et artiste flamboyant, réputé pour son jeu de scène et ses manteaux en vison à traîne– et qui fut, il y a quelques années, le sujet principal d’un film majeur de Steven Soderbergh –, comptait évidemment parmi les amis de Line Renaud. À l’époque, Jack Warner, patron de la société du même nom, poursuivait notre Line pour lui faire signer avec ses studios un contrat de sept ans.

Pas prête à franchir ce pas ? Pas encore mûre ? Si Line Renaud déclina son offre, tous deux restèrent néanmoins amis, et, en 1955, le producteur se tourna vers “son amie française qui connaît si bien l’Amérique” au moment de sortir en France Sincerely Yours, un film mineur de Gordon Douglass, dont le rôle principal était tenu par Liberace. Problème, si ce dernier était une star XXL aux États- Unis, la France, en revanche, n’en avait jamais entendu parler : “Alors là, j’ai tout déclenché, explique la reine. Jack Warner savait ce qu’il faisait en me sollicitant. J’ai appelé tous les journaux que je connaissais en leur expliquant à quel point Liberace était un génie. Et puis j’ajoutais qu’il avait tant fait pour moi, qu’il avait été tellement sensationnel pendant mon séjour à Vegas que c’était bien le moins que je puisse faire que de lui rendre la pareille, ici, en France. En fait, je ne l’avais jamais rencontré de ma vie”, raconte-t-elle en éclatant de rire.

“Et ça a marché! À l’aéroport, une cinquantaine de journalistes étaient là, attendant la vedette. Et puis j’ai réalisé qu’il allait descendre de l’avion et passer devant moi sans me reconnaître, devant toute la presse ! J’ai dit au type de la Warner : « Vite, allez dire à Liberace que la petite blonde en bas de l’escalier s’appelle Line. » Ils n’ont même pas dit Renaud, ajoutant simplement : « Tu l’adores, tu l’as beaucoup aidée. » Quand Liberace a fait son apparition en haut des marches, il a écarté les bras et s’est exclamé : « Line, my love! »

À peine installé dans une interminable limousine, Liberace annonçait à son hôte : “Ce soir, je veux aller au Lido.” Un coup de fil plus tard et tout ce petit monde était attablé devant la scène, à la meilleure table : “Liberace, un ami, Loulou [le mari de Line Renaud] et moi, se souvient-elle. Sont ensuite arrivés deux frères marionnettistes. L’un des deux était absolument sublime de beauté. La soirée s’est poursuivie à la Calavados [bar ultraselect du 8e arrondissement], où Liberace se fit immédiatement insulter par une cliente américaine très homophobe. Il l’a gentiment remise en place, puis, vers 2 h du matin, on s’est quittés.”

10 millions de francs

Le lendemain, Liberace avait une surprise pour elle. “Il m’a appelée au téléphone : « Line? How are you? Attends je vais te passer quelqu’un. » Et là, il m’a passé le marionnettiste sublime. Pourtant il a toujours caché publiquement son homosexualité, car, à l’époque, ça ne se disait pas, note-t-elle. Encore maintenant, hélas, beaucoup d’acteurs américains taisent leur homosexualité, alors qu’on pourrait croire que les choses ont changé.”

L’Amérique reste un pays beaucoup moins tolérant que la France. Néanmoins, quand Elizabeth Taylor a fait son premier gala pour réunir des fonds destinés à la lutte contre le sida, tout Hollywood était derrière elle. Je le sais, j’étais invitée.” Ce soir-là, elle a levé la somme colossale de 270 millions de dollars. L’agonie et la disparition de son ami et partenaire de jeu Rock Hudson, mort du sida le 2 octobre 1985, avaient bouleversé l’actrice américaine.

Réveiller les consciences

En quittant cette soirée, je me suis dit : cette maladie va nous arriver en France, on n’y coupera pas. Mais j’avais mille autres choses sur le feu, et notamment Folle Amanda, que je devais interpréter en anglais au théâtre. De passage à Paris, j’ai été invitée au JT de France 2 où j’ai raconté le gala d’Elizabeth Taylor, son combat contre le sida. J’ai aussi fait part de mes inquiétudes face à cette maladie qui était en train de se répandre. J’ai terminé en disant qu’il fallait faire la même chose en France, parce qu’aucun parti politique ne s’emparerait de ce sujet. Reagan n’a jamais prononcé le mot « sida »”, rappelle Line Renaud.

Alors pour réveiller les consciences françaises, Line va tout faire pour interpeller le monde du show-biz. “J’ai appelé Pierre Bellemare, qui animait Au nom de l’amour, sur France 3, et je lui ai expliqué que le titre de son émission imposait une spéciale sur le sida. Quelques jours plus tard, il m’a rappelé pour m’annoncer que sa chaîne lui donnait le feu vert pour consacrer un numéro à ce sujet. Seulement deux jours plus tard, Georgina Dufoix, qui était ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, organisait une conférence de presse pour expliquer que le sida, c’était bon, qu’on avait trouvé un médicament. Alors que c’était faux, on n’avait rien trouvé du tout.” Bellemare parla alors d’annuler l’émission. “Quarante- huit heures plus tard, le ministère se rétractait, et l’on a finalement pu tourner cette émission, la première à la télévision française publique.” Dix millions de francs furent récoltés en une soirée.

Sans Chichi

Line fit également jouer ses amitiés politiques pour convaincre les dirigeants du danger impérieux que représentait la maladie. Jacques Chirac l’écouta attentivement. “C’est lui qui m’a expliqué comment monter ma première association, les Artistes contre le sida, après mon premier gala au Paradis Latin”, se souvient-elle.

L’institut Pasteur, qui travaillait sur le virus, n’avait pas d’argent, même pas de quoi acheter une centrifugeuse. Line a alors convaincu le cabaret d’organiser un premier gala de 600 convives dans le but de lever des fonds. Elle sollicita Liz Taylor et Audrey Hepburn, qui lui firent l’amitié d’être là, aux côtés de Sylvie Vartan, de Juliette Binoche et des Chirac.

Avec ces premiers gains, j’ai pu donner 100 000 francs à Aides, ce qui leur a permis de se trouver un bureau. Chirac m’avait dit : « Line, si tu montes une association à but non lucratif, il te faut un trésorier irréprochable, un homme au-dessus de tout soupçon. L’idéal serait un type de la Cour des comptes, ça, c’est du sérieux. Je vais t’envoyer une liste de cinq noms, appelle-les de ma part. »

Un excellent conseil. Line Renaud appela le premier nom de la liste, un certain Jean Michardière, et lui donna rendez-vous à son bureau bureau. “Je lui ai expliqué ce qu’était le sida, que les gens mourraient à la pelle. Il m’a écouté, sans un mot, et a fini par me dire: « En tant que père et grand-père, j’accepte votre proposition à titre bénévole et anonyme. »” Le trésorier de la Cour des comptes avait donné son accord pour un seul gala, il restera finalement dix ans aux côtés de Line Renaud.

Lettres d'insultes

“Après mon départ en Amérique, des sacs de courrier sont arrivés à la maison. Des milliers de lettres, des petits et des gros chèques. Mais aussi des lettres d’insultes. Ça me faisait drôle, moi qui n’en avais jamais reçu”, se souvient-elle. Jusqu’ici, Line Renaud était la fiancée chérie de la France profonde, comme mondaine. “Elizabeth [Taylor] m’avait prévenue, elle m’avait dit : tu vas voir, tu vas te faire insulter, recevoir des trucs du genre « ils l’ont bien cherché, c’est bien fait, laissez-les mourir. »”

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Toutes ces années, Line s’est battue pour imposer son combat et lever de l’argent pour la lutte contre le sida. Lorsque Madonna est passée en concert au parc de Sceaux, elle s’est arrêtée à l’Hôtel de Ville de Paris pour remettre un chèque de 500.000 francs à la présidente de l’association des Artistes contre le sida.

“Je ne sais pas comment j’ai fait pour mener une carrière parallèlement à ça, parce que franchement notre organisation était très artisanale. En gros, il y avait monsieur Michardière, ma mère – Simone – et moi. C’est tout.” Pour avoir un impact plus déterminant sur la recherche tout en aidant les malades, il fallait une organisation plus exigeante et récolter plus d’argent. “Grâce à Pierre Bergé, on est passés à la vitesse supérieure ; avec son association, Arcat-Sida, on a réussi à fédérer les organisations et le conseil scientifique.” Le compagnon d’Yves Saint Laurent et la chanteuse fondèrent alors Ensemble contre le sida, qui prit plus tard le nom de Sidaction.

Action Sidaction

Pour la première édition, six chaînes françaises furent mobilisées pendant six heures de direct. Une première en France. La soirée permit de récolter 300 millions de francs. Le deuxième Sidaction se déroula en revanche moins bien, et les dons atteignirent à peine le quart des sommes recueillies lors du premier. “Quand ce militant d’Act up a insulté Philippe Douste-Blazy et l’a traité d’assassin... entre nous, c’était injuste, parce qu’il avait été très efficace pour obtenir ces heures d’antenne sur toutes les chaînes, note Line Renaud. Tout d’un coup, je recevais des lettres de compassion – « Ma pauvre Line, avec tout le mal que vous vous donnez, quel gâchis » – accompagnées de chèques déchirés en petits morceaux.”

Mais Line a tenu bon. Aujourd’hui encore, elle reste vice-présidente de Sidaction. “Le départ de Pierre Bergé m’a beaucoup marquée. Je me souviens lui avoir dit un jour : « Pierre, quand vous arrêterez, j’arrêterai. » Mais, la dernière fois que je l’ai vu, assis sur sa chaise roulante, il m’a pris la main et m’a dit : « Line, promettez-moi de ne pas lâcher. » Et moi, j’ai promis.”

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Désormais, il faut écrire la suite avec le secret espoir qu’un jour un vaccin ou un remède contre le VIH soit trouvé. “Je resterai présidente d’honneur du Sidaction, parce que c’est le combat de ma vie. Finalement, je me dis que si j’arrive à faire tout ça c’est parce que je ne réfléchis pas, je mets un pied devant l’autre et c’est tout. Je fonce.” Une leçon d’élégance, non ?