La mort de l’humoriste et comédien gay emporté par le Covid-19 a créé une immense émotion dans un Brésil gangrené jusqu'à sa présidence par l'homophobie. En mettant en scène sa vie, Paulo Gustavo était le fier porte-drapeau d'une communauté malmenée.
Le dernier message posté par Paulo Gustavo sur Instagram était dédié à son mari, Thales Bretas, le 13 mars dernier : « Aujourd'hui c'est l’anniversaire de l'amouuuuuur de ma vie ! Tout ce que je peux écrire ici ne sera pas le reflet fidèle de ce que je veux vraiment lui dire ! Alors je vais le lui dire en privé et ceci n’est qu’un post pour dire à tout le Brésil que je suis follement amoureux de toi ! Je t'aime @thalesbretas » .
Dans le Brésil actuel, dirigé par un président ouvertement homophobe, peu de gays peuvent s’exprimer ainsi. Ceux qui s’y risquent, à l’image du député fédéral David Miranda, marié au journaliste américain Glenn Greenwald avec qui il a deux enfants, reçoivent régulièrement des injures voire des menaces de mort. Mais pas Paulo Gustavo, qui avait fait de l’homosexualité et de la famille homoparentale des thèmes récurrents de son oeuvre.
Même Bolsonaro a dû saluer la mémoire de l'artiste gay
L’humoriste, comédien et metteur en scène décédé le 4 mai du Covid-19 à Rio de Janeiro, était immensément populaire. L’émotion au moment de sa mort l’a encore démontré avec force, laissant penser, un instant, que le Brésil qui tue chaque année un nombre record d’homosexuels et de transexuels avait disparu. « Des plus de 430.000 Brésiliens que nous avons perdus pendant cette pandémie, la mort du comédien Paulo Gustavo est sans aucun doute celle qui a le plus ému le pays », considère le politologue Mauricio Santoro. À tel point que même avec deux jours de retard, le président Bolsonaro, qui a toujours proclamé « préférer avoir un fils mort qu’un fils gay », a dû lui aussi se fendre d’un message de condoléances sur Twitter.
Impossible pour le président d’ignorer la tristesse qui s’est emparée du pays ce 4 mai à 21 heures lorsque la présentatrice du journal télévisé, Renata Lo Prete, a annoncé la voix brisée « le décès de Paulo Gustavo qui laisse plus triste un pays qu’il a toujours fait énormément rire ». Le lendemain, c’est le journal de Rio de Janeiro, Extra, qui trouvait la phrase la plus juste pour décrire le ressenti des Brésiliens en titrant : « Paulo Gustavo, une tristesse de la taille du Brésil ».
"Notre amour a touché des milliers de familles en leur donnant l'exemple de la tolérance, du respect et de l’unité."
Avec la tristesse est venue la révolte et la colère de perdre l’un des artistes les plus doués du pays, à seulement 42 ans, dans un pays où le chef de l’exécutif nie constamment la gravité du virus, a retardé l’achat de vaccins et refuse la mise en place du moindre confinement. En 24 heures, après son décès, les Brésiliens ont posté 4 millions de posts #PauloGustavo sur Twitter, selon l’agence spécialisée en médias sociaux MAP. Au début, les posts étaient des condoléances et des célébrations de la carrière de l’artiste et puis rapidement, les écrits étaient associés à l’incompétence du président Bolsonaro. À tel point que la baisse de popularité actuelle du président ne serait pas totalement étrangère à la mort du comédien, selon plusieurs experts.
L’Église catholique a également eu une démarche inédite pour un artiste ouvertement gay. La messe du 7ème jour de Paulo Gustavo, retransmise en direct à la télévision, a été réalisée aux pieds du Corcovado, le Christ de Rio, avec un discours de son veuf, Thales Bretas, décrivant « la magie de [leur] mariage» : « L'amour transforme, et le nôtre m'a non seulement fait évoluer pour toujours, mais a touché des milliers de familles en leur donnant l'exemple de la tolérance, du respect et de l’unité ».
Dona Hermínia, personnage queer et fier
Il est évident que Paulo Gustavo a fait évoluer les mentalités au Brésil, en particulier avec le personnage le plus populaire qu’il a crée, Dona Hermínia, inspiré de sa mère et qu’il interprétait lui-même. Une mère envahissante, possessive avec ses enfants mais extrêmement attachante et aimante. « Dona Hermínia est le joyau de la couronne humoristique de Paulo Gustavo - une matrone histrionique et hilarante qui semble avoir été fabriquée à partir des cellules souches de toutes les mères brésiliennes », écrivait l’écrivain Chico Felitti dans la Folha de São Paulo. Bien des mères brésiliennes se sont reconnues dans ce personnage et bien des fils ont revécu avec ce personnage leurs relations avec leur mères, en particulier lorsqu’ils sont homosexuels. Car comme le soulignait Brenda Fucuta, éditorialiste de la revue Bula, « Paulo Gustavo a créé une mère possible pour les enfants gays. Dona Herminia, qui est le reflet de toutes les mères du pays, aime les enfants gays, les accepte et les place au-dessus, et non au-dessous, de son identité sexuelle ou de genre..... Et, peut-être parce qu'elle était drôle, franche, belliqueuse et intelligente, elle a été acceptée par tous les Brésiliens. »
"Je préfère avoir dix fils gays comme les miens qui sont merveilleux."
La pièce de théâtre « Ma mère est un cas », montée en 2006, est devenue une trilogie au cinéma à partir de 2013. Le dernier chapitre, sorti en 2019 sur les écrans, est le plus grand succès du cinéma brésilien avec 9 millions d’entrées. Toute l’histoire est basée sur la vie de Paulo Gustavo, à telle enseigne que dès le deuxième chapitre, il fait apparaître son mari puis ses deux enfants et remplit le générique de photos de leur famille. La vraie mère de Paulo Gustavo, Déa Lucia, accompagne son fils dans les interviews, et devient aussi connue que lui. Ensemble ils feront en 2019 un spectacle musical « Fils de sa mère », qui devient une tournée triomphale dans tout le pays avec des salles de concert pleines. Chaque fois qu’elle a un micro, sa mère défend la tolérance et le respect, avec humour et intelligence : « On me demande souvent, comment vivez vous le fait d’être la mère d’un gay ? Et je me demande : qu’est-ce que l’orientation sexuelle de mes enfants a à voir avec l’éthique, l’honnêteté, l’éducation ? Je préfère avoir dix fils gays comme les miens qui sont merveilleux, éduqués, intègres, responsables, travailleurs, qu’un seul fils qui soit un politique corrompu. L’homophobie est un crime et nous, les mères, avons la responsabilité de la combattre, venez avec nous ! ».
Le « politique corrompu » était une allusion au fils aîné du président Bolsonaro, le sénateur Flavio Bolsonaro, accusé de corruption et aussi homophobe que son géniteur. C’est à l’occasion de ce spectacle que Paulo Gustavo avait raconté son coming out au journal O Globo : « Avec ma mère, cela s’est passé si naturellement, j'allais de la chambre à la cuisine quand elle m'a demandé : 'Paulo Gustavo, tu es gay ?'. J'ai répondu : 'Oui, il y a un problème ?' Elle a juré puis elle a ajouté : 'Non, j'ai juste peur que tu sois maltraité dans la rue. À la maison, tu peux être ce que tu veux parce que je t'aimerai toujours' ».
"Aimez vraiment. L'amour est une action. L'amour est un art."
Paulo Gustavo a pourtant été critiqué par une partie de la communauté LGBT brésilienne pour ne pas avoir montré dans son film un baiser gay au moment du mariage du fils de Dona Hermínia. Les photos diffusées de son propre mariage n’en montraient pas non plus. Paulo Gustavo avait alors répondu sur Instagram : « Lorsque j'ai commencé à écrire ce film, je ne savais pas par où commencer, mais je me suis dit : je veux parler du MARIAGE GAY ! Ce moment du mariage est lié à quelque chose de plus grand : la fierté que cette mère ressent en voyant son fils suivre le chemin de l'amour et épouser celui qu'il aime ! Être qui il veut être ! J'ai voulu mettre ce mariage pour me souvenir de ce que j'ai vécu et essayer d'inspirer et de transformer d'autres familles ! Je comprends les critiques que j’ai reçues, mais vous vous trompez de cible ! Je ne suis pas un activiste, un militant, mais je suis un être politique ! Mon drapeau est ma vie ! Je suis gay, marié depuis 6 ans avec Thales, nous sommes très heureux et nous avons deux beaux enfants ».
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À sa mort, la communauté a bien compris que l’absence du baiser gay n’avait aucune importance et que l’artiste avait mené un immense combat contre l’homophobie au Brésil. Il n’a d’ailleurs pas manqué de faire une allusion à la tolérance lors de sa dernière apparition sur les écrans de télévision, en décembre dernier, et qui est devenue depuis le message que les Brésiliens veulent garder de lui : « En attendant que ce vaccin tant espéré arrive pour tout le monde, il est bon de rappeler que contre les préjugés, contre l'intolérance, les mensonges, la tristesse, il existe déjà un vaccin, c'est l'affection. C'est l'amour. Alors, dites combien vous les aimez à ceux que vous aimez. Mais ne restez pas dans la déclaration, non, aimez vraiment. L'amour est une action. L'amour est un art. Beaucoup d'amour, à vous tous. A plus tard ».
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Crédit photos : Instagram @paulogustavo31