Emmanuel Macron exprimait récemment sa gêne vis-à-vis du crop top à l’école. Si sa remarque jugée sexiste visait plutôt les filles, le crop top est pourtant, à l'origine, un vêtement très masc for masc. Explications.
Paradoxe de la mode : un simple petit bout de tissu a le pouvoir d’affoler les hautes sphères politiques en France. Qu’il couvre ou découvre le corps, peu importe, le vêtement fait polémique. Et cette année, il semble que le crop top, ce tee-shirt qui découvre le ventre, soit le nouveau vêtement sur lequel on débat.
Lors d’une interview accordée à Elle et publiée le jeudi 1er juillet, le chef de l’État, Emmanuel Macron, est interrogé spécifiquement sur le port de ce vêtement au sein des établissements scolaires. Voici sa réponse : « À l’école, je suis plutôt “tenue décente exigée”, aussi bien pour les filles que pour les garçons. […] Tout ce qui vous renvoie à une identité, à une volonté de choquer ou d’exister n’a pas sa place à l’école. ». Des propos qui font écho à ceux de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation : en 2020, il avait appelé les élèves à revêtir une « tenue républicaine ».
Débat public ou conversation de comptoir ?
En 2020, Eric Piolle, candidat à la primaire écologiste, s’exprimait déjà à ce sujet et il réitère ses propos sur Twitter, à l’adresse d’Emmanuel Macron : « Le Président rentre à son tour dans la polémique stérile sur les #croptop… Ce n’est pas son rôle. Je le redis : le problème, c’est le regard des hommes, pas le nombril des filles. Certains sont obsédés par le corps des femmes. Ce qui m’importe c’est le droit des femmes. ». Pour le dire plus simplement : éduquez les garçons et laissez les filles s’habiller comme elles le souhaitent. Ou bien Sophie Fontanelle, chroniqueuse mode, pose avec plus de philosophie la question suivante : « Faut-il que l’individualité s’efface pour qu’enfin la connaissance daigne entrer dans un cerveau ? C’est discutable tout ça. ».
Marlène Schiappa, ancienne Ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, déclare ne pas vouloir « rentrer dans un clash avec le président de la République sur pour ou contre le crop top". Sur Twitter enfin, le hashtag #balancetontop prend de l’ampleur, les internautes dénoncent le caractère sexiste, absurde et clivant de la polémique sur le crop top.
Rappelons qu’en France, chaque établissement scolaire a la responsabilité, selon son bon vouloir, d’imposer un dress code à ses élèves. Mais les filles et les garçons ne sont pas systématiquement logés à la même enseigne, il existe encore des collèges et lycées où il est explicitement interdit aux filles de porter des shorts et/ou décolletés, quand les garçons sont libres de choisir leur tenue. Dans ces interdits vestimentaires adressés aux jeunes filles, c’est la culture du viol qui s’exprime et une hyper sexualisation à sens unique. Pourquoi les filles devraient-elles cacher leur corps, aux dépens de leur confort ? Parce que la critique du crop top existe essentiellement du point de vue masculin.
Le crop-top, c’est un truc de “bonhommes”
Ironie de l’histoire (de la mode), en 2021 le crop top est souvent associé au vestiaire féminin. Pourtant, à l’origine c’est une pièce née dans un environnement hyper-testostéroné. Flash-back dans les années 80, sur les terrains de football américain : les joueurs avaient pris l’habitude en cours de match de déchirer le bas de leur tee-shirt jusqu’au-dessus du nombril, afin de mieux repartir la chaleur de leur corps. Et au passage, ils dévoilent au public leur musculature en V, pour faire le show. Face à ce carnage vestimentaire, les équipementiers sportifs comme New Balance ou Nike se décident à raccourcir radicalement les tenues : le crop top est né.
En 1985, Johnny Depp porte ce même tee-shirt de sport cropé, dans Les Griffes de la nuit. D’autres sex-symbol à muscles saillants, stars de la pop culture, s’en emparent aussi jusque dans les années 90 : Mark Wahlberg dans une pub Calvin Klein, Will Smith dans Le Prince de Bel-Air, Adam Sandler dans Airheads, les sulfureux Prince et Lenny Kravitz. Le crop top est cool, symbole de jeunesse, de force, de sex-appeal, il est au départ le vêtement des hommes dits « hyper-virils ». Mais il est aussi érotique, ce qui dérange. Fin 90, en plein cœur d’une Amérique puritaine, le vêtement disparaîtra progressivement car jugé trop sulfureux, trop ambigu, trop (homo)érotique. Il devient symbole de la fameuse « masculinité fragile ». Alors, seul.e.s les femmes et les hommes queers continuent de le porter sans complexe. Il est désenchanté.
Doucement mais sûrement, il revient
Il faudra attendre les années 2015 et l’émergence de cette génération gender fluid assumée pour que les clichés de la virilité et de la masculinité soient reconsidérés et même déconstruits. Il existe tant de manières d’être et de se montrer, aux yeux de la société. L’année précédente, Kid Cudi par exemple enflammait la scène de Coachella, vêtu d’un jean bermuda et d’un crop top rouge éclatant. Digne héritier de Will Smith, son fils Jaden a lui aussi très tôt revendiqué sa gender fluidity. Les jupes, les baggy, les crop tops, les robes, les hoodies… Depuis son plus jeune âge, l’artiste ne s’impose aucune limite dans ses choix vestimentaires. Et comment ne pas mentionner Harry Styles, ex One Direction, dont le style androgyne est si souvent comparé au pionnier David Bowie. L’an dernier, dans son clip "Watermelon Sugar", ses fans ont pu admirer leur idole et son délicieux crop top en laine.
Et pour l’été 2022, les créateurs font la promesse d’un retour du crop top dans leurs collections masculines. En méli-mélo : Burberry accorde un micro-slip à un crop top minimal, Fendi ose une impressionnante veste de costume coupée court, Phipps aussi avec une petite brassière, pour une allure campeur. Enfin, Andrea Crews propose un crop top grunge, déstructuré.
A LIRE AUSSI >> Shorts en laine, cuissardes et « hardcore couture » : j’ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine
Mais le précurseur du retour affirmé de ce vêtement singulier serait bien Ludovic de Saint Sernin. Pour sa collection automne-hiver 2021, le créateur français célébrait déjà l’artisanat avec la flamboyance du crop top. Cette pièce, créée sur-mesure, en collaboration avec Swarovski, pour chaque client.e irradie de cristaux et évoque clairement l’origine footballistique du crop top. Avec cette interprétation hyper-sensuelle et couture de ce court vêtement, c’est tout le talent créatif du jeune designer qui s’exprime.
Les tristes limites du haut court
Seule ombre au tableau : le marketing. En effet, le crop top masculin est exclusivement associé à un certain type de morphologies : des hommes fins, aux abdos saillants et ventre plat. C’est là que le bât blesse : si, du côté féminin, il se généralise doucement mais sûrement pour toutes les morphologies, pour l’homme, il reste encore du chemin à parcourir. Que ce soit sur les podiums, sur leur e-shop ou dans les campagnes publicitaires, les marques n’associent le crop top qu’aux skinny boys, excluant alors tous les autres. Les incarnations de ce vêtement sont bien loin de la philosophie inclusive si souvent prônée par l’industrie de la mode de nos jours. Alors laissons le dernier mot à nos cousins québécois, qui ont une formulation imagée pour le crop top : ils l’appellent le « chandail bedaine ». A quand un tee-shirt qui libère le ventre et toutes les bedaines ?
Crédit photo : Unsplash