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modeShorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

Par Ulysse Josselin le 28/01/2021
fashion week

L'avantage du Covid-19, c'est que tout le monde pouvait regarder les défilés de la Fashion Week masculine en ligne. Notre chroniqueur cobaye Ulysse Josselin raconte sa semaine de la mode.

Il m'a fallu un peu de temps pour me remettre de ces 6 jours de fashion week masculine intensifs. Des journées entières de défilés. De 10h à 20h30. Comme si la mode tentait de garder la face en schedulant (du verbe scheduler) des défilés pré-enregistrés, parfois sous forme de court-métrage, performance et autres prouesses. C’est une bonne chose, que de donner aux marques l’occasion de se réinventer, dans une industrie où performance et compétitivité règnent et où il est de plus en plus compliqué à étonner et donc à se démarquer. 

Passons à l’essentiel. Cette Paris fashion week homme collection automne hiver 2021, c’est 68 shows et présentations, c’est 6h52 et 12 secondes de looks, de mode et de set digital improbable. C’est Paris Hilton qui dit 20 586 fois “That’s hot” en boucle. C’est quasi 382 fois le clip Libertine de Mylène Farmer en continu. C’est presque 2419 fois le post instagram de Marlène Schiappa agitant son nouveau lissage brésilien. C’est long et si court à la fois.

Ambiance apocalyptique

J’ai été étonné que les défilés et présentations ne soient pas plus troubles, pessimistes, alarmistes, maussades. Seulement deux défilés ont coché ces adjectifs. Le premier étant le label chinois Sankuanz. Le défilé se passe dans une reproduction de la Tour Eiffel dans la ville de Tiandu, autour d’immeubles qui semblent inhabités. La musique est anxiogène, tout est fait pour créer une ambiance apocalyptique. Comme le monde tend à l’être ces derniers temps. Les looks sont déprimants, froids mais extrêmement visuels. Beaucoup de pièces cloutées, dont des cagoules qui ont remplacé les masques et qui arborent des pointes métalliques. Et on a l’impression d’être dans un clip de Slipknot. Pratique pour respecter la distanciation sociale, et elle fonctionne surtout parce que vous faites peur et que personne ne veut s’approcher de vous. 

Le deuxième show, se rapprochant de cet état d’esprit est celui de Sean Suen. Le défilé a lieu sous un énorme pont en fer. Il y a beaucoup de brume, le climat n'est pas rassurant. Les images tremblent. On aperçoit les grattes ciels autour, puis on s’y retrouve de plus en plus proche de ce modèle, en haut d’un de ces immeubles froids et tristes comme le look monochrome gris qu’il porte. Des bruits de klaxons ont été ajoutés au visuel. Inconfortable.

Performances contemporaines

Certaines marques ont vraiment joué le jeu et ont présenté leurs collections à travers des performances comme le créateur LGN Louis-Gabriel Nouchi, qui a révélé sa collection au Palais de Tokyo à travers des modèles qui dansent, chorégraphiés par la compagnie Sohrâb Chitan. Et notamment devant un mur de miroirs. Le look monochrome blanc s’y décuple à l’infini. Il porte un long trench qui vacille avec ses mouvements et qui, par une ouverture symétrique des deux côtés du trench, laisse ses jambes traverser le manteau. C’est beau.

C’est chez Études qu’on retrouve également de la danse. Le défilé commence dans le hall de la station de métro Châtelet/Les Halles avec un mannequin qui agite les bras et les pieds, une sorte de danse moderne et j’ai l’impression de me voir jadis, saoul, en train de danser au Tango. Nostalgie. La chorégraphie est signée Jordan Robson. Pour les pièces, on retrouve du costume mixé à du léopard, des blousons seventies, de la maille et des colliers imposants. 

Shorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

(De gauche à droite par ordre d’apparition, Sankuanz, LGN Louis-Gabriel Nouchi, Études)

Fausse intimité

À contrario, certains ont choisi de présenter leur collection de façon plus homemade dans leurs locaux. Comme pour partager cette fausse intimité entre le designer et le public et nous donner l’impression d’être parmi eux. C’est le cas d’Agnès B. On voit son équipe tantôt en train de feuilleter un livre de Basquiat, tantôt en train de montrer un éventail de chutes de tissus. Agnès B nous raconte en voix off qu’elle adore habiller les hommes, qu’elle aime souligner la personnalité des gens à travers ses habits. Et on reconnaît à l’image les comédiens Nicolas Maury et Rod Paradot, qui essaient tous deux des looks à leur image, soigneusement aidés par Agnès herself. Et je me rends compte qu'on n'a quasiment vu aucun vêtement. Étrange. 

C’est aussi le choix du designer J.W Anderson qui a joué cette carte homemade-intime-bienvenuedansnoslocaux. Pour sa marque en nom propre où il explique que sa collection reflète une idée de simplicité et d'expérimentation et qu’elle est focus sur l’artisanat et sur une idée de modernité. Sweat tricot patchwork, coloré, logo brodé. Et également pour la marque LOEWE, dont il est directeur artistique. Il explique avoir énormément utilisé le collage pour créer des pièces fortes et s’être inspiré de l’artiste Joe Brainard pour la superposition de tee-shirts, de polos et de pulls sur des looks. On a du mal à suivre. Imaginez un mannequin avec un polo bleu marine. Maintenant cousez-y un polo rose dans le dos. Et pour terminer, cousez un polo jaune sur le polo rose. Voilà voilà. 

 

Passer l'hiver 2022 en short

Certains défilés sont sortis du lot, particulièrement celui de BOTTER qui a dévoué son show à la ferme de corail d’une île dans les Caraïbes dans lequel le duo de créateurs a investi ces derniers mois. Les designers multiples les références stylistiques inspirées par l’océan, du kway ressemblant à un gilet de sauvetage, en passant par le pantalon néoprène faisant penser aux combinaisons de plongée. Sur le top bleu électrique du premier look qui défile on peut lire “Romancing the coral reef”. Le ton est donné. 

Il y a des pièces qui m’ont marquées, notamment dans le défilé de Rick Owens. C’est Tyrone Dylan qui ouvre le show, comme à son habitude. Premier show où les mannequins portent des masques. Les pulls ont de multiples ouvertures rondes, comme si on pouvait les enfiler de différentes façons. Ça donne un côté multi usage / façon de porter / réversible au vêtement, intéressant. Le plus, ce sont ces cuissardes qu’on retrouvent à plusieurs reprises et qui semblent être en peau de chèvre, reteinté en vert et noir à talons. Chez Dries Van Noten, ce qui m’a interpellé, ce sont les nombreux shorts (pour une collection hiver, je le rappelle). Des shorts épais en laine, avec des chaussettes assorties et dans la même matière qui remontent jusqu’à mi jambe. Osé.  

Shorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

(De gauche à droite par ordre d’apparition, J.W Anderson, Rick Owens, Dries Van Noten)

 

Explosion de couleurs

La bonne surprise, c’est Cool ™, qui propose un vestiaire complet, du jean troué au tailoring ample, surcouche de vêtements, déconstruits, des tops motif fleurie à la robe en tricot col roulé qui laisse dépasser une jupe et un legging léopard avec ses accessoires fait de chaînes relié par un cadenas décliné du collier à la ceinture. Cette phrase était longue. Explosion de tout. Et de mon cerveau aussi tant les looks s'enchaînent de façon saccadée, par visuel de trio. C’est intense, les touches de maquillages hyper colorées et symétriques et cette ambiance violette et infrarouge dominante me donne l’impression d’être dans un épisode d’Euphoria. 

La pièce must need de cette fashion week est pour moi ce gilet phare de la maison, décliné cette saison avec des boutons en perles. Signé Casablanca

Shorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

Casablanca AW21

Vêtements en plastique

Concernant les shows ayant apporté le plus stylistiquement parlant, il y a bien sûr Y/Project. Glenn Martens présente sa collection avec des pièces toujours casse-tête. Le designer qui est aussi le nouveau directeur créatif de Diesel propose à nouveau dans cette collection des tops, manteaux aux allures froissées, avec des jeux entres les boutons et les coupes. Comme si le vêtement était en plastique et qu’il s’était rétracté après un passage sous le fer à repasser.   

Il y a aussi GMBH, qui signe un défilé rempli de pièces déprimantes mais brillantes, on retrouve à de nombreuses reprises des pièces bustiers qui s’arrêtent au-dessus de l’épaule et qui donnent une impression de croisé. Ce nouveau porté sera décliné en doudoune, trench, top, pull, veste et même en fourrure.  Les lignes sont redéfinies et ça donne une impression de nouveau. Un des plus beaux défilés de la saison.

Ambiance soirée au Dépôt

Et of course la marque Vêtements. 165 looks. Demna Gvasalia est une machine de guerre. Inarrêtable. Premier look, le mannequin est topless avec un symbole anarchique dessiné sur le corps, il porte une cagoule déchirée et un jean troué. Impression d’être dans une mauvaise soirée à thème au Dépôt. Chemise enflammée verte fluo, manteau imprégné de peinture bleue comme si le peintre Pollock s’était épris de cette pièce. On retrouve le wording “HAUTE COUTURE” sur les tops et les chemises qui devient “HARDCORE COUTURE” en police d’écriture gothique sur d’autres pièces et je vous déconseille d’aller rencontrer vos beaux-parents avec ces pièces. Quoi que.

Shorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

           (De gauche à droite par ordre d’apparition, GMBH, Vêtements, Y/Project)

 

Le défilé feel good de la saison, c’est celui de Ludovic De Saint Sernin. Il révèle dans une vidéo de 3 minutes sa collection automne hiver 2021. Le modèle principal reçoit deux amis, ils boivent et commencent à danser dans un salon ambiancé par une musique d’Only Fire “Cameltoe Shop”. Une atmosphère se crée, tamisée de violet et de bleu nuit. Crop top et robe en sequin dans laquelle la lumière vient se réveiller, ils dansent et en un instant on est projeté dans ce before party. Le manque de vie sociale pèse. À deux doigts de me faire un moscow mule et de mettre cette musique d’Only Fire à fond dans mon appartement, mais nous sommes dimanche soir et je suis seul. 

La semaine de la jupe

Pour terminer, j’ai adoré retrouver du vestiaire féminin dans le masculin, plus que les saisons passées. Cette fois-ci, on avait l’impression qu’il y avait une réelle envie de jouer avec des codes féminins, et de les introduire, avec des perspectives commerciales dans le vestiaire masculin. Et notamment, la jupe. On a l’habitude d’en voir chez Thom Browne. Mais cette saison, elle semble avoir été plus étudiée. Elle est longue et revient dans des motifs tartan trompeur assortie aux chapeaux. Chic.

Chez Oteyza également, on la retrouve, mais plus sobre même si volumineuse. Et la surprise, c’est chez Louis Vuitton qu’elle vient s’imposer. Virgil Abloh, le directeur artistique, propose de la jupe plissée. Du kilt tartan monogrammé. De la bottine et des Santiags à bout argenté. De la marinière plissée. Des vestes maximalistes en 3D avec des monuments de Paris. Des manteaux qui tombent par terre. Des sacs monogrammés en forme d’avion, des pims en forme d’avion. Des boutons de veste en forme d’avion. Beaucoup d’avions. C’est aussi la première fois, que Kai-Isaiah Jamal, un mannequin transgenre noir défile pour la maison. Bravo.

 

Shorts en laine, cuissardes et "hardcore couture" : j'ai regardé pour vous toute la Fashion Week masculine

(De gauche à droite par ordre d’apparition, Oteyza, Louis Vuitton, Thom Browne)

La Fashion week est terminée, j’ai les yeux explosés et un mal de crâne à force d’analyser mon écran. D’habitude c’est le cas aussi,, mais c’est plutôt à cause de toutes les soirées démesurées et quotidiennes, organisées par les marques dans le tout Paris. On se revoit en mars pour une nouvelle semaine de la mode en digital. Qui sera celle de la Femme cette fois-ci. Hâte!