[ENTRETIEN] Le maire de Grenoble Éric Piolle est l'un des cinq candidat·es de la primaire écologiste à laquelle les Français peuvent s'inscrire d'ici à ce dimanche 12 septembre. Pour TÊTU, il développe ce qui fait selon lui la singularité de sa candidature, et dresse un bilan sévère du quinquennat Macron.
On peut avoir l’impression, dans cette campagne pour le premier tour de la primaire écologiste, que vous peinez à vous démarquer de vos concurrent·es. Quel est votre message à vous ?
Éric Piolle : Certains choisissent un message d'urgence, moi j'ai choisi un message d'espoir. C'est le rôle des scientifiques que d'exprimer l'urgence environnementale, et tout le monde peut désormais la percevoir ; le rôle du politique est maintenant l'exercice du pouvoir, et donc de proposer des solutions.
Je me place pour cela dans une logique de long terme, de réappropriation de l'idée de progrès : social, environnemental, démocratique. Ma spécificité est aussi celle d’être rassembleur et de pouvoir, comme nous l'avons fait à Grenoble, fédérer largement autour d’un axe humaniste.
Les candidatures dans cette primaire ne sont-elles pas trop proches, pour la plupart, les unes des autres ?
Nous avons un diagnostic et des propositions communes, une homogénéité qui n'existe en effet ni au PS, ni chez LR, ni chez LREM. Mais en l'absence de candidat naturel, chez nous comme ailleurs, il y a des choix à faire : une vision plutôt qu'une autre, une méthode plus ou moins collective, et puis évidemment l'incarnation, différente selon nos parcours respectifs. Nos parcours sont tous riches, le mien l'est d'une expérience à la fois de l'industrie et de maire.
Après la « vague verte » aux municipales de 2020, les premiers mois des élus écolos ont été particulièrement scrutés, et critiqués. Pourquoi selon vous, qui avez été dès 2014 le premier maire écologiste d’une grande ville ?
Il y a un écobashing : dès que nous, écologistes, accédons aux responsabilités, l'ensemble des propriétaires du système nous tapent dessus avec beaucoup plus de violence que quand nous nous trouvons dans une logique de contre-pouvoir. Je l’ai vécu aussi au début de mon mandat. Je dis à mes camarades maires de ne pas avoir d’inquiétude, que leur bilan finira par parler pour eux. Regardez tout ce qui a déjà été fait en un an : remunicipalisation de l’eau à Bordeaux et à Lyon, gratuité des transports pour les mineurs à Strasbourg, les vacances pour tous à Poitiers…
Vous avez eu des propos très durs à l’encontre d’Emmanuel Macron, que vous jugez même plus sévèrement que Nicolas Sarkozy. Pourquoi ?
Il y avait une fragilité humaine chez Nicolas Sarkozy, dont je ne partage évidemment en rien les orientations politiques et dont le communautarisme m'inquiétait lorsqu'il était président. Mais chez Emmanuel Macron, ces petites phrases sur "ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien", cette idée qu'il n'y a qu'à traverser la rue pour trouver du travail… tout cela relève d'un néolibéralisme qui s'assume jusqu'au néodarwinisme. Le PS et les LR au pouvoir avaient le néolibéralisme honteux : là, il est assumé dans toute sa violence et toute son arrogance.
Selon vous, le macronisme est violent ?
Le macronisme a libéré une certaine violence, qui monte déjà du fait d'une insécurité sociale et climatique forte, lesquelles mènent à une insécurité existentielle. Alors quand au gouvernement, Jean-Michel Blanquer fait l'année dernière sa première sortie pour la rentrée sur le crop top des filles, cette année sur les personnes qui s'achèteraient des écrans plats avec l'allocation scolaire, quand Gérald Darmanin dit qu'il est choqué de voir des rayons halal dans les magasins, que la ministre de l'Enseignement supérieur veut purger l'université des islamogauchistes, jusqu'au président de la République qui nous traite d'"Amish"… Quant à moi, on me désigne comme "Eric Pot, le Khmer vert". Nous assistons à la panique d'un système néolibéral qui se raidit dans sa conservation du pouvoir.
Emmanuel Macron a tout de même connu quelques réussites, par exemple sur le plan européen où des choses se sont débloquées, non ?
Tout à fait, le plan de 750 milliards d'euros de relance post-Covid est une réelle avancée dans son principe. Cela montre que l'Europe est capable de s'asseoir sur les traités. Cela signifie que quand nous, écologistes, réclamons un plan majeur pour la transition écologique et sociale, c'est possible, et cette fois-ci non pas pour continuer comme avant mais pour réorienter réellement l'action européenne. Notamment en changeant le mandat de la banque centrale européenne, pour qu'il ne soit plus sur l'inflation et la croissance mais sur le chômage et le climat.
Cet été après une nouvelle flambée de violence à Grenoble, vous avez demandé plus de moyens à Gérald Darmanin, alors que les écolos ont plutôt l'habitude de se montrer méfiants vis-à-vis de l’action des forces de l’ordre. En tant que maire, vous êtes plus pragmatique ?
Je considère que la politique en matière de sécurité depuis les années Sarkozy est laxiste. C'est-à-dire qu'elle est entièrement tournée vers les chiffres, sans aucune volonté de traiter les problèmes. Le laxisme en matière de sécurité, c'est de tenir un discours extrêmement véhément, sur la tolérance zéro par exemple, mais sans que ce soit suivi d'actes, plutôt d'actes inverses puisque Nicolas Sarkozy avait réduit les effectifs de police. Aujourd’hui, les forces de l’ordre sont dans une situation d’échec, avec un taux de 59% de récidive, tout comme notre justice – nous avons trois fois moins de magistrats que la moyenne européenne. Je propose par exemple d'embaucher 20.000 magistrats, et je suis pour la légalisation du cannabis, dont le trafic place notre police en situation d'échec, sans politique sanitaire de prévention.
Le pouvoir actuel a fini par avancer sur l'ouverture de la PMA, sans débloquer néanmoins tous les verrous qui permettraient une réelle liberté dans l'autodétermination des personnes. Comptez-vous finir le travail ?
La première priorité, c'est de garantir les droits fondamentaux des enfants nés de GPA. Nous devrons inscrire dans la loi la retranscription automatique en France des actes de naissance. Un deuxième enjeu, après l'ouverture de la PMA, c'est de permettre la ROPA (qui permet le don d'ovocytes au sein du couple, ndlr), et de l'ouvrir aux personnes trans. Que celles-ci n’aient pas droit à la PMA, c'est absurde. Sur la GPA, le droit de l'enfant est majeur, ensuite également la non-marchandisation du corps des femmes ; nous devons avoir un débat ouvert sur la GPA, la décision doit être collective, partagée et éclairée. La société française est suffisamment mûre pour avoir ce débat, qui sera sans doute riche et éclairant.
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Vous vous présentiez en début d'interview comme le candidat de l'espoir. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir aujourd’hui à vous ?
On sent une aspiration, un désir dans la société de vivre plus aligné dans un collectif. J’étais la semaine dernière à Marseille et quand je vois comment des anciens salariés d’un McDo des quartiers nord se sont battus pour que ce restaurant soit à eux, pour en faire un lieu de restauration et d’épicerie solidaire, c'est de l'espoir en acte.
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Crédit photo : équipe de campagne d'Éric Piolle