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interviewSandrine Rousseau : "On est d’accord pour l’écologie quand elle ne change pas notre société"

Par têtu· le 09/09/2021
Sandrine Rousseau au débat de la primaire écologiste sur LCI

Candidate à la primaire écologiste en vue de l'élection présidentielle 2022, Sandrine Rousseau se démarque dans la course par une radicalité assumée. Entre deux débats télévisés avec ses quatre concurrent·es, elle a accordé un entretien à têtu·.

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Vous aviez quitté le parti écologiste en 2017 à la suite de l’affaire Denis Baupin, dont vous étiez l'une des accusatrices. Puis vous avez repris votre carte d’adhérente cette année pour pouvoir vous présenter à la primaire. EELV a-t-il changé sur la question des violences sexuelles ? Diriez-vous que ce qui vous est arrivé ne pourrait plus se reproduire aujourd’hui chez les Verts ?

Sandrine Rousseau : Je ne dirais pas que le parti s’est déconstruit sur le sujet des violences sexuelles. Une parenthèse s’est ouverte pendant l’affaire Denis Baupin, puis elle s’est refermée. Il faut se demander comment aller au bout de ce processus de libération de la parole. Il manque toujours d’avoir compris ce qu'il s’était passé afin que cela ne puisse plus arriver. Nous n’avons toujours pas réglé les parcours collectifs qui font que les femmes peuvent se sentir en difficulté dans le monde politique.

Regardez le cyberharcèlement dont je suis victime. On me laisse le gérer toute seule, personne n’a sifflé la fin de la partie sur les réseaux sociaux. Plus largement, après l’affaire Baupin, force est de constater que ce ne sont que des hommes qui ont pris le pouvoir au sein du parti. On ne peut pas invisibiliser les femmes après un tel événement.

Jeanne Barseghian à Strasbourg, Léonore Moncond’huy à Poitiers, Anne Vignon à Besançon… On voit tout de même que des femmes écologistes ont gagné de belles villes lors des dernières municipales. 

Vous remarquerez que toutes ces nouvelles maires ont gagné grâce à des mouvements citoyens et une société civile largement présente sur leurs listes. Elles se sont souvent tenues éloignées de l’appareil d’EELV, en étant en quelque sorte en-dehors du parti. Ces maires ont d’ailleurs été très souvent victimes de coups bas, de diffamation sur les réseaux sociaux. Des femmes élues, ça gêne toujours beaucoup.

Vous-même avez subi beaucoup d’attaques, notamment sur les réseaux sociaux ou lors d’une récente interview musclée face à Sonia Mabrouk sur Europe 1. Comment expliquez-vous que votre candidature clive tant ?

Ces réactions disent toute la puissance de ma candidature. Si la radicalité de mon projet, la déconstruction de notre modèle fondé sur l’appropriation des ressources et des corps, ne portait pas quelque chose de nouveau, je ne serais pas autant attaquée. On est d’accord pour l’écologie quand elle ne change pas fondamentalement les structures de notre société. Certes, cela rassure mais ne protège aucunement les personnes les plus vulnérables ou les écosystèmes les plus fragiles. On ne peut pas changer notre mode de consommation sans changer la structure même du pouvoir. Ce que je porte, ces valeurs, ne sont pas à prendre à la légère et sont de nature à faire venir à la politique des personnes qui en sont très éloignées. C’est pour ces raisons que ma participation à la primaire gêne tant.

Votre tweet après la mort de Jean-Paul Belmondo a aussi fait polémique. Diriez-vous que vous êtes une partisane de la "cancel culture" ?

Belmondo est bien sûr un acteur reconnu qui a porté le cinéma français. Mais on a encore à s’interroger sur la place des femmes dans le cinéma. On voit bien qu’il y a des gains massifs qui sont obtenus sous la pression, comme la modification de la composition de l’académie des César qui se féminise, mais il n’y a toujours pas de déconstruction massive. J’ajoute que regarder les films de Belmondo à l’aune de la société de l’époque n’est jamais fait. Au moment de ces grands succès, il y avait aussi toute la montée en puissance des mouvements féministes comme le MLF (Mouvement de libération des femmes), par exemple. Quel rôle les femmes comédiennes ont-elles eu à ses côtés ? C’est le genre de question qu’il est temps de se poser.

"Adèle Haenel représente cette prise de conscience très forte que, si l’on fait corps avec nos causes, on peut gagner."

En parlant de cinéma, vous êtes soutenue par la comédienne Adèle Haenel. Comment vous êtes-vous rapprochées ?

Nous nous sommes rencontrées au printemps dernier. J’ai vu Portrait de la jeune fille en feu et j’ai trouvé que c’était un film très beau, très puissant, profondément passionné. Son interview à Mediapart, dans laquelle elle déclare avoir été victime de violences sexuelles, m’a beaucoup marquée. Elle représente d’une certaine façon cette prise de conscience très forte que, si l’on fait corps avec nos causes, on peut gagner. Nous n’attendons pas qu’on nous fasse l’aumône pour remporter des luttes.

Lors des journées d’été d’EELV, fin août, vous avez déclaré que "tout notre système économique, social et sociétal est fondé sur le triptyque : nous prenons, nous utilisons et nous jetons le corps des femmes et le corps des racisés." Quel place donnez-vous aux personnes LGBTQI+ dans ce type de réflexion dont vous assumez "la radicalité" ?

Il n’est pas facile d’être une personne LGBTQI+ dans notre société actuelle, où il existe bon nombre d’endroits renfermés sur eux-mêmes, dans les quartiers, parmi les catholiques intégristes de la Manif pour tous et, plus largement, dans tout notre système. Les êtres ne sont vus que comme des moyens et non des fins. Tout l’enjeu est d’ouvrir notre monde pour permettre aux personnes de s’émanciper. Cela passe par la fin des codes virilistes, par l’ouverture de la carte scolaire, par une présence massive des services publics pour ne plus avoir l’impression que dans certains endroits en France, l’État est absent. Quand on vit dans un monde fermé, clôturé par une vision hétéronormée, patriarcale et productiviste, mon job, en tant que candidate, est de faire en sorte que celles et ceux qui souhaitent s’ouvrir à d’autres perspectives soient en mesure de le faire.

"Les trois grandes religions ne sont d’accord que sur une seule chose : contrôler le corps des femmes."

Comprenez-vous que le fait de se déclarer féministe tout en défendant des femmes qui portent le voile paraisse contradictoire à certaines personnes ?

Vous savez, les trois grandes religions ne sont d’accord que sur une seule chose : contrôler le corps des femmes pour maîtriser la procréation et, par extension, les personnes LGBTQI+ qui ne rentrent pas dans cette attente. La religion, dans sa construction sociale et historique, a toujours été contre le droit des personnes. Je vous dis cela et en même temps, j’assume également de dire que les femmes portent ce qu’elles veulent. Le problème, c’est si des femmes veulent enlever leur voile et ne le peuvent pas. Notre travail collectif est d’aider les femmes, et plus largement toutes les personnes, qui veulent quitter un modèle toxique.

Interrogé sur ces lycées qui interdisent aux jeunes filles de venir en crop top, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a plaidé le "bon sens", estimant "qu’il suffit de s’habiller correctement et que tout ira bien". Qu’en pensez-vous ?

Un ministre devrait pouvoir dire au contraire aux jeunes filles de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Il leur appartient ! Nous sommes dans un cadre d’éducation et donc d’émancipation. Emmanuel Macron a dit que l’école préparait à l’entreprise et qu’il fallait donc être dans une "tenue professionnelle" quand on allait au lycée. Mais où va-t-on, quand un président de la République se met à commenter les tenues des adolescentes ?

"Il y a une grande forme de violence à assigner quelqu’un dans une identité."

Quelle est votre position sur la gestation pour autrui (GPA) ? Certains y voient une exploitation du corps des femmes…

Il faut sortir d’une position idéologique. Spontanément, je ne suis pas pour que les femmes donnent leurs corps pendant neuf mois pour un enfant destiné à d’autres. En même temps, il ne faut pas être dogmatique sur ce type de questions. On peut parler d’une GPA éthique, comme le font certains, mais réfléchissons bien aux implications et aux conséquences sur notre modèle de société.

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Vous préconisez un meilleur accompagnement des personnes transgenres, qu’est-ce que cela veut dire concrètement pour vous ?

La construction du genre est éminemment sociale, et il y a une grande forme de violence à assigner quelqu’un dans une identité si la personne sent que ce n’est pas celle qui lui correspond au plus profond de son être. Les personnes qui transitionnent doivent être respectées, accompagnées par des médecins formés et pouvoir décider librement de leur état civil.

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Crédit photo : LCI, capture d'écran du débat de la primaire écologiste du 8 septembre (Replay)