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interview"Sex Education" : rencontre avec Ncuti Gatwa et Patricia Allison

Par Florian Ques le 29/09/2021
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[Interview à lire dans le magazine de l'automne] Après des vacances prolongées, Sex Education a fait sa rentrée sur Netflix. Ncuti Gatwa (Eric) et Patricia Allison (Ola) reviennent pour TÊTU sur cette nouvelle saison.

Elle est de retour ! Gros succès de Netflix, la série Sex Education inaugure enfin sa troisième saison, malgré une pandémie mondiale venue compliquer son tournage. Les élèves de Moordale High fourmillent donc de nouveau dans les couloirs, et leurs hormones ne se sont pas assagies, loin de là. Otis, prédicateur un peu malgré lui d’une sexualité décomplexée, est par conséquent invité à reprendre du service pour le bien de ses camarades... mais aussi pour le nôtre. Car jamais une série n’aura aussi bien porté son nom que Sex Education. Nimbée d’une bienveillance qui va droit au cœur, elle déploie une galerie de personnages aux identités multiples tout en mettant un point d’honneur à célébrer le genre et la sexualité sous toutes leurs formes, et sans jugement. C’est d’ailleurs ce qui continue de séduire Ncuti Gatwa (28 ans) et Patricia Allison (26 ans), mieux connus sous les traits des infatigables (mais adorables) Eric et Ola.

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En raison de la crise sanitaire, on a attendu près d’un an et demi cette saison 3 de Sex Education. Comment s’est passée cette période pour vous ?

Ncuti : Je me dis qu’acteur n’était pas le métier le plus difficile à avoir durant la pandémie et le confinement. On a été chanceux et très privilégiés d’avoir un travail auquel s’atteler, et qui n’était pas en première ligne. Mais il faut avouer que le tournage de cette saison 3 n’a pas été pas aussi amusant que les précédents. Avant le Covid, comme on s’entend tous très bien, on se rendait chez les uns et les autres. Mais, cette fois, chacun avait sa loge et n’en sortait pas. Les consignes on été prises très, très au sérieux.

Rassurez-moi, vous allez continuer à parler aussi librement de la sexualité adolescente ?

Patricia : Dans cette nouvelle saison, il y a pas mal d’intrigues captivantes relatives aux questions de genre. Il existe tout un spectre à explorer, et nous commençons à peine à l’effleurer. Le personnage de Jackson [joué par Kedar Williams-Stirling] va d’ailleurs rencontrer une personne qui va le pousser à se remettre en question sur ces sujets.

Ncuti : La série continue de mettre en lumière un large panel de sexualités. On dit souvent que Sex Education repousse certaines limites. Je comprends qu’on puisse le voir ainsi, même s’il me semble que montrer des personnes normales qui existent dans la vraie vie ne devrait pas être perçu comme quelque chose de révolutionnaire.

Qu’avez-vous insufflé de vous-mêmes dans vos rôles respectifs ?

Patricia : Ola est plutôt bornée. Elle agit très impulsivement, et c’est quelque chose que je retrouve un peu chez moi. Mais je ne suis pas tout à fait comme elle. J’obtiens ce que je veux, c’est vrai, mais Ola, elle, veut tout dans la minute. En réalité, je ne veux pas trop instiller de moi dans le personnage.

Ncuti : Eric est un garçon mentalement très solide, et son optimisme est sa force. Quand j’avais son âge, j’étais moi- même un petit dur à cuire. (Rires.) Donc je pense lui avoir donné un peu de ça, même si c’était déjà présent dans l’écriture du personnage. Dans cette saison, j’apprécie qu’Eric explore davantage son côté obscur. Cette année, il est un peu plus égoïste et peut-être pas aussi aimable que par le passé. Mais c’est intéressant pour lui, qui est habitué à faire plaisir aux gens. Désormais, il est déterminé à vivre de la façon la plus authentique possible, ce qui le pousse à penser à lui d’abord.

"On sous-estime trop l'impact de la fiction."

Ncuti Gatwa

Désormais, plusieurs personnages – dont les vôtres – passent à l’étape supérieure de leur relation et se glissent sous les draps. Tourner ces scènes, c’était stressant ?

Patricia : Ça ne l’était pas, non.

Ncuti : Pas vraiment. (Rires.)

Patricia : C’est aussi parce que c’est génial de travailler avec Tanya [Reynolds] et Connor [Swindells], qui incarnent Lily et Adam. On se connaît vraiment bien. On sait qu’on peut être sincères les uns avec les autres, donc un vrai safe space s’est mis en place au moment de tourner les scènes les plus intimes. On sait qu’on peut tenter des choses sans avoir à stresser.

Ncuti : Dans d’autres productions de ce type, si tu n’as pas de coordinatrice d’intimité [pour chorégraphier les scènes de sexe en s’assurant du respect de chacun], ça peut vite devenir gênant et compliqué. Personnellement, je pense que tu apprends beaucoup de choses sur ton personnage par la façon dont il couche avec quelqu’un. Tu peux être amené à le voir différemment selon ses pratiques sexuelles ! (Rires.)

Beaucoup de fans adorent le couple Eric/Adam. Mais d’autres ont encore des réserves en raison
de toutes les choses abjectes qu’Adam, quand il réprimait son homosexualité, a fait subir à Eric...

Ncuti : Je comprends totalement les deux partis, et c’est une discussion qui mérite d’avoir lieu. On ne peut nier qu’Adam ait harcelé Eric pendant des années. Puis leur relation s’est développée, mais toujours selon le bon vouloir d’Adam. Maintenant qu’ils sont enfin ensemble, je suis curieux de savoir ce que les gens vont penser. Car ils sont désormais sur un pied d’égalité, s’assument au grand jour, et Eric ne compte plus se laisser rabaisser. Les relations amoureuses ne sont pas toujours parfaites, et leur histoire ne l’est certainement pas non plus. Sont-ils faits l’un pour l’autre ? On ne sait pas. Mais j’apprécie le fait qu’ils se donnent une chance. C’est assez réaliste parce qu’à leur âge on ne prend pas toujours les bonnes décisions.

Lesbienne, gay, pansexuelle, etc. Vous en connaissez d’autres, des séries aussi inclusives ?

Ncuti : Je ne sais pas si j’ai le droit d’en citer une d’une plateforme de streaming concurrente. (Rires.) Plus sérieusement, je ne pense pas qu’on soit la seule série à être aussi inclusive, mais Sex Education fait partie des meilleures. Dès le départ, son approche a été assez innovante. C’est d’autant plus vrai avec le métier de coordinatrice d’intimité, qui a créé un changement sur la façon dont on aborde le sexe devant comme derrière la caméra. Et c’est génial de pouvoir contribuer à cette évolution.

Vos personnages respectifs sont à la fois queers et racisés, une représentation importante mais encore rare dans les films et les séries. Ça va, vous vivez bien cette responsabilité ?

Ncuti : J’essaie de me rappeler que je ne fais que mon travail, et rien de plus. Mais il y a, clairement, un enjeu de visibilité. C’est génial d’avoir une telle représentation mais aussi davantage de personnages nuancés et complexes, notamment parce que les fictions ont une grande importance. Je pense même qu’on sous-estime trop leur impact.

Patricia : C’est à la fois une bénédiction et une responsabilité. Mais je vois vraiment ça comme un cadeau. La pression vient surtout du fait que les gens veulent qu’on soit irréprochables et qu’on ait tout compris. Mais ce n’est pas le cas !

Ncuti : Tout le monde est en constant apprentissage. Et c’est agréable d’avoir la possibilité de continuer à découvrir des choses tout en ayant une plateforme pour le partager.

J’imagine qu’avec le succès de la série vous avez reçu pas mal de messages de la part de fans LGBTQI+. Y en a-t-il un plus marquant que les autres ?

Patricia : Un, oui, à propos de Ncuti ! Quelques années en arrière, j’étais à Edimbourg pour un festival, et une femme est venue m’accoster au bar. Elle m’a dit : “Je dois vous remercier pour le personnage d’Eric parce que mon fils a pu me faire son coming out quand on regardait la série.” Elle ne se doutait pas qu’il était gay. Et c’est grâce à toi et à ton rôle qu’ils ont pu avoir cette discussion, Ncuti. C’est incroyable.

Ncuti : C’est magnifique. Au Royaume-Uni, on a la chance d’avoir une éducation sexuelle et une vision de la sexualité plutôt libérales, car il y a des endroits sur Terre où tu risques la peine de mort si tu es gay. Je trouve ça beau que la série puisse lier les gens partout dans le monde tout en les faisant rire. C’est la meilleure façon de véhiculer des messages. Et, quand on sait ce qui se passe dans certains pays, on prend vite conscience que les messages que l’on transmet via Sex Education sont encore plus cruciaux.

"J'espère que l'on crée des personnages qui ne se limitent pas à leur sexualité."

Patricia Allison

Y a-t-il des personnages de série auxquels vous vous identifiiez étant ados ?

Ncuti : Quand j’étais ado ? Absolument aucun.

Patricia : Aucun. Je cherchais constamment quelqu’un qui pouvait me ressembler. (Rires.) Mais nous y voilà, avec Sex Education on s’est enfin trouvés.

Ncuti : Je suis content que les choses changent. Le paysage télévisuel commence à davantage se faire le miroir de la réalité.

Avec le succès de Sex Education, vous êtes-vous senti·es bien accueilli·es par la communauté LGBTQI+ ?

Ncuti : À fond ! Et je suis ravi que l’on continue à explorer les autres identités du spectre LGBTQI+ cette saison, où de nouvelles voix et de nouveaux personnages participent à étendre la conversation. C’est très excitant. J’espère que l’on continuera à faire ça jusqu’à ce que chaque lettre de l’alphabet soit explorée. (Rires.)

Avez-vous peur qu'on vous ramène constamment à vos rôles dans Sex Education ?

Patricia : J’espère que ça n’arrivera pas ! On est avant tout des acteurs, et même si c’est évidemment génial d’avoir rencontré le succès grâce à nos personnages, je pense qu’on fait ce métier car on adore incarner plein de différents. Aucun acteur ne veut se limiter. Dans Sex Education, j’espère vraiment que l’on crée des personnages qui ne se limitent pas à leur sexualité. Les personnes queers ne sont pas uniquement des personnes queers. Et, nous non plus, nous ne sommes pas uniquement ces personnages.

Ncuti : Eric n’est pas qu’un garçon gay. Ola n’est pas qu’une fille pansexuelle. Ils ont tous plein de facettes bien différentes les unes des autres. Concernant nos opportunités futures, je pense que chaque acteur craint toujours de ne plus jamais trouver de travail après son projet du moment. Ce n’est pas un métier de tout repos.

Quel savoir sexo retiendrez-vous du tournage de Sex Education ?

Ncuti : Entre nous, on évoque souvent le vaginisme. C’était vraiment quelque chose dont j’ignorais l’existence. Patricia : Grâce au scénario, on a appris beaucoup de choses sur le clitoris et sur l’orgasme féminin. J’ai même continué à me renseigner sur le sujet ! Mais je pense qu’on a encore beaucoup de choses à découvrir ! Donc, j’espère que Sex Education n’est pas près de s’arrêter.

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