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séries"The L Word" : lesbien nécessaire

Par Delphine Rivet le 07/10/2021
The L Word

Après une décennie d’absence, les héroïnes de The L Word ont fait leur retour. Le reboot, dont on découvre la deuxième saison, est toujours aussi glam, mais plus inclusif.

Sous ses airs de carte postale gay friendly, Los Angeles, qui a la deuxième plus grande population LGBTQI+ des États-Unis, derrière New York, a vu son dernier bar lesbien disparaître en 2017. Une triste ironie que Shane (Kate Moennig) s’est chargée de corriger dans la première saison de The L Word: Generation Q en rachetant un troquet colonisé par des mâles alpha pour en refaire un lieu de rencontres et de convivialité pour sa communauté. Aux côtés de l’ancienne coiffeuse, que nous avions quittée il y a dix ans, nous retrouvons Bette (Jennifer Beals), qui se présente à la mairie de Los Angeles, et Alice (Leisha Hailey), devenue l’animatrice star d’un talk-show. Autour d’elles papillonne une nouvelle génération Q, comme queer, définitivement plus inclusive.

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Un microcosme lesbien sous le soleil de Californie

C’est en 2004 que la chaîne câblée Showtime lance The L Word. Ce “mot en L”, encore tabou à l’époque dans les médias, et notamment à la télévision, c’est évidemment “lesbienne”. Si, cinq ans plus tôt, l’adaptation américaine de Queer as folk a offert la première représentation d’un couple lesbien dans une série, celui de Lindsay et Mélanie, le temps était venu d’en voir apparaître une autre, où les lesbiennes tiendraient le premier rôle, voire presque tous. Ilene Chaiken imagine alors un microcosme californien (la série était pourtant principalement tournée à Vancouver, au Canada) inspiré de sa propre vie, peuplé de lesbiennes et de bisexuelles glamour et sexy dont les aléas amoureux connaissent autant de rebondissements dramatiques que les plus grands soap operas. Le résultat, addictif et émoustillant, met surtout en lumière à la télévision des femmes queers, à une époque où le mariage pour tous·tes est toujours illégal dans la grande majorité des États américains, et où les personnages LGBTQI+ ne représentent que 2 % des protagonistes du petit écran. Le succès est immédiat et The L Word reste à l’antenne durant six saisons, de 2004 à 2009.

Lorsque Leisha Hailey est engagée la toute première fois pour incarner Alice Pieszecki, elle est loin d’imaginer qu’elle va contribuer à la métamorphose de tout un pan de la pop culture : “Au tout début, je pensais que ce serait un petit projet indé pour une audience de niche, parce qu’il n’y avait aucun programme à la télé pour les lesbiennes. Quand j’ai compris que la série devenait un succès grand public, ça a été un choc pour la jeune lesbienne que j’étais. Participer à un projet qui changeait autant la donne me remplissait de bonheur.”

"L'un des points forts de la série, c'est qu'elle explore la force des amitiés féminines."

Les lesbiennes, s’affichant face caméra sous des lumières cotonneuses et des filtres flatteurs, sont enfin représentées. Leurs amours sont célébrées, et leurs sexualités libérées de la pudeur puritaine des chaînes traditionnelles. Mais The L Word attire également à l’époque un public hétéro avide d’histoires sentimentales bien ficelées et d’héroïnes décomplexées. “L’un des points forts de la série et qui, selon moi, a attiré le public hétéro, et en particulier les femmes, c’est qu’elle explore la force des amitiés féminines”, nous dit Jennifer Beals. Tel un Sex and the City californien en milieu queer, The L Word et sa galerie d’héroïnes sexy permettent alors à chaque femme de s’identifier aux personnages et, en s’émancipant du regard masculin objectifiant, proposent un female gaze plutôt libérateur.

Un première version sans héritière

Après son final en 2009, son empreinte reste indélébile. Toutefois, s’il y a aujourd’hui bien plus de personnages ouvertement lesbiens, d’héroïnes bisexuelles ou de femmes trans dans nos fictions, aucune série ne s’est ensuite imposée comme son héritière. Ilene Chaiken a même produit, de 2010 à 2012, une télé-réalité inspirée de la série, The Real L Word, histoire de prolonger la magie dans le monde réel. Mais le vide qui a succédé à la série originale reste, pour ses actrices mêmes, une énigme.

“Quand la série a quitté l’antenne, en 2009, tout le monde s’attendait à ce qu’une autre prenne sa place. De mon point de vue, c’est ce qui s’est produit, mais pas de la manière attendue, suggère Kate Moenning. S’il y a eu des séries très populaires avec des personnages principaux homosexuels, aucune ne s’adressait à la communauté comme a pu le faire The L Word. Peut-être aussi que c’était impossible sans risquer la comparaison.”

Renaissance…

Alors, puisque nulle autre ne peut la remplacer, autant la ressusciter ! C’est ce qu’ont fait ses trois actrices principales, qui ne s’étaient jamais perdues de vue, avec la bénédiction d’Ilene Chaiken. Cette nouvelle mouture, intitulée Generation Q, cette fois-ci véritablement tournée dans les décors ensoleillés de Los Angeles, tombait d’ailleurs à pic : la télé américaine rebootait à tout va d’anciennes séries cultes, et le climat politique de la présidence Trump, irrespirable pour les minorités, avait bien besoin d’un petit arc-en-ciel à l’horizon.

… et souci d'inclusivité

En dix ans, la société a opéré une lente mais salutaire métamorphose. La créatrice de la série originale, engagée sur d’autres projets, a préféré passer le flambeau à Marja-Lewis Ryan, tout en gardant un œil sur son bébé. Une nouvelle showrunneuse, donc, mais aussi un nouveau cast, plus inclusif que jamais. En son temps, et plus encore avec le recul, The L World a été beaucoup critiquée pour son portrait de Max, un jeune homme trans (le premier de la télévision américaine dans un rôle récurrent). Cette nouvelle génération fait donc la promesse de corriger les erreurs du passé en intégrant dans son casting plusieurs acteur·rices trans : Jamie Clayton, découverte dans Sense 8, Leo Sheng ou encore Brian Michael Smith.

“Entre le moment où l’on a quitté l’antenne et celui où l’on est revenues, la culture avait changé de façon significative, confie Jennifer Beals. Une nouvelle génération réclame le droit de s’identifier comme elle le souhaite, ajoutant plein de mots au vocabulaire pour permettre de se définir comme elle l’entend. Je trouve ça incroyable et tellement inspirant.”

Moins avant-gardiste que son aînée, The L Word: Generation Q (à voir en streaming chez Canal+) a toutefois donné une impulsion salvatrice puisque le service SVOD de Amazon Prime Video lancera cet automne le ­docu-série Tampa Baes, une télé-réalité centrée sur un groupe de lesbiennes.

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