En souvenir des personnes trans mortes en 2021, quelques milliers de personnes se sont donné rendez-vous samedi à Paris. Une journée pour rappeler aussi que les violences transphobes ne pourront être stoppées qu'avec une réelle volonté politique. Reportage.
À la lueur des bougies, sur le parvis d'une église non loin de l'Hôtel de ville de Paris, quelques milliers de personnes se sont retrouvées ce samedi 20 novembre pour la Journée du souvenir trans, (Transgender Day of Remembrance, TDoR en anglais). “Ce jour est important pour toute la communauté, souligne Sasha, 28 ans, parce qu’il nous permet de rendre un dernier hommage à toutes les personnes trans que nous avons perdues. On est ensemble et on ne les oublie pas.”
Au moins 375 personnes trans tuées en 2021
Un à un, les prénoms de celles et ceux qui ont été tué·es ou qui ont mis fin à leurs jours en 2021 sont égrenés. Paola, Ambre, Fouad, Tristan, Ivana, Sasha... La liste est incomplète, souligne l'association Acceptess-T. En 2021 dans le monde, au moins 375 personnes trans ont été assassinées, recense le projet TvT. Soit 7% de plus qu’en 2020. “La transphobie tue, rappelle Acceptess-T. Notre cœur est particulièrement lourd cette année car 2021 est une des années les plus meurtrières depuis l’existence de ce comptage.” 96% des personnes assassinées dans le monde étaient des femmes trans ou des personnes transféminines. En Europe, 43% des personnes trans assassinées étaient des personnes migrantes et 58% connu·es pour être travailleur·ses du sexe (TDS).
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“La violence nous rappelle que cette société ne nous accepte pas, signale OUTrans. Être pro-trans est à la mode, mais nous on continue de mourir.” Acceptess-T pointe directement la responsabilité de l’État dans ces morts : “Avec ses politiques de répression contre les personnes trans, contre les personnes migrantes et contre les TDS, l’État est complice et responsable”.
Ce samedi, dans la pénombre d’un soir d’automne, les messages politiques se mêlent aux cris des proches et des familles endeuillées. Comme Carole, mère de Mathilde, 19 ans. Sa fille s’est suicidée en mai 2020, à la sortie du confinement. "Les institutions ne prennent pas en compte les personnes trans, dénonce-t-elle. À cause de son refus de laisser libres les personnes transgenres, l’État les pousse au suicide. Moi, je ne souhaite qu’une chose aujourd’hui : le dernier TDoR…”
Une minute de silence est demandée pour rendre un ultime hommage aux mort·es. Puis une minute de bruit pour rappeler que le silence tue. Plusieurs personnalités politiques de gauche ont fait le déplacement, dont Sandrine Rousseau (EELV) et le candidat à la présidentielle Philippe Poutou (NPA).
"Criez contre la transphobie"
Paulina, 32 ans, était déjà là en 2019. “Cette fois-ci, on est beaucoup plus. C’est impressionnant ce monde, ces bougies et cette ambiance. En 2019, notre rassemblement était beaucoup plus intimiste, c’était important aussi mais là, je pense que le relais qu’a fait Nous Toutes nous aura permis de plus mobiliser.”
Ce 20 novembre a en effet aussi été le jour choisi par le collectif Nous Toutes pour organiser sa grande manifestation de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Soit une semaine plus tôt qu’en 2019. “Le 20 novembre est la journée mondiale de l’enfance, journée permettant de visibiliser les violences sexuelles que subissent les enfants”, explique Caroline de Haas. Impossible, selon la fondatrice de Nous Toutes, de ne pas marcher ce jour-là l’année du #MeTooInceste.
Accusé d'invisibiliser les personnes trans, le collectif féministe a distribué des pancartes violettes rappelant que la transphobie tue encore. Dès le départ place de la République, le message est donné d'une manifestation intersectionnelle : “Criez contre le viol, criez contre le racisme, criez contre la transphobie.” Une manière de répondre aux critiques.
“C’est important d’être avec Nous Toutes et de montrer notre opposition aux violences, analyse Loan, une femme trans de 65 ans. J’ai envie que l’on se batte toustes ensemble pour faire avancer nos droits, ceux des femmes qu’elles soient trans ou cis. Si on veut que l’État nous écoute, il est nécessaire que l’on soit nombreuses.”
"Mon corps, mon choix et ferme ta gueule"
Un peu plus loin, SOS homophobie. “On marche avec elles avant de rejoindre le rassemblement pour le TDoR, souligne Lucile Jomat, 32 ans, présidente de l'asso. Les violences touchent toutes les femmes, qu’elles soient cis ou trans. Ce que l’on demande, c’est qu’il n’y ait pas de TERFS à nos côtés. Ce mouvement transphobe et discriminatoire n’a pas sa place ici.”
Dans le cortège, pas de TERFS visibles mais des banderoles assimilant le travail du sexe à des viols sont déployées et des slogans abolitionnistes sont scandés. “C’est exactement pour ce type de messages que nous n’avons pas voulu marcher avec Nous toutes”, lâche Cécil, 47 ans, militant à Act-up Paris. Parti de gare du Nord, le cortège d’Act-Up Paris s’est élancé dans la capitale en même temps que le cortège Nous Toutes aux cris de “À bas la transphobie d’État”; “À bas l’État, les TERFS et les fachos” ou encore “Mon corps, mon choix et ferme ta gueule”. Au passage du cortège noir qui arpente les rues de Paris, les magasins ferment les portes, les passant·es sortent leur smartphone. “Ne nous regardez pas, rejoignez-nous”, leur lancent les militant·es.
“Le TDoR est un jour de mémoire et de colère. On ne voulait pas laisser la rue à Nous Toutes“, ajoute Anya, 34 ans, qui milite au Flirt. À ses côtés, Solal, 20 ans, ne comprend pas le choix de la date par Nous Toutes et n’entendait pas marcher avec elles. “Nous toutes est un collectif abolitionniste, souligne-t-iel. On aurait été noyé dans leur manifestation et cela aurait été très éprouvant pour beaucoup d’entre nous d’entendre des messages discriminatoires.”
Après un après-midi à crier leur rage et leur colère, place à l’écoute et au silence. En fin de journée, les marcheur·ses ont retrouvé le rassemblement à l’initiative d’Acceptess-T. Sur les marches de l’église, la cire a fondu. Les Sœurs de la perpétuelle indulgence lancent leur bénédiction. Des lanternes sont allumées. Des mots de colère sont lancés. L'espoir de ne pas revenir l'an prochain illumine les esprits un instant. Un instant seulement. “Car avec la politique actuelle de l'État, oui nous serons là l'an prochain, avertit Acceptes-T. L’État doit changer de politique pour que l'on évite chaque années de compte nos mort·es.”
Crédits photos : Elie Hervé