Marina Rollman s'apprête à tirer le rideau sur le stand-up. L'humoriste suisse qui tient une chronique sur France Inter est donc revenue, pour TÊTU, sur son spectacle qui jouera une dernière fois à l'Olympia en décembre, et sur son engagement.
On a du mal à joindre Marina Rollman. En pleine tournée, l'humoriste semble passer sa vie dans des trains. Quand finalement elle nous rappelle, elle s'excuse pour le retard. "Je ne sais plus trop comment je m'appelle, où est ma maison, quelle est ma vie." Mais pas besoin de te justifier, Marina, tu étais déjà toute pardonnée.
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Depuis son arrivée sur France Inter, Marina Rollman met le doigt, à chaque chronique, sur les petites hypocrisies des réacs, déploie des argumentations logiques et simples pour expliquer aux auditeurs moins éveillés qu'elle les combats anti-racistes, les questions queers ou le travail du sexe. À quelques semaines de son dernier Olympia, qui mettra un point (final ?) à sa carrière dans le stand-up, elle a accordé du temps à TÊTU.
Marina Rollman, on a pris rendez-vous à la suite de ta chronique sur France Inter où tu disais que l'homophobie avait été créée pour faire bosser les hommes...
En vrai, l'homophobie sert même à faire bosser les homosexuels ! Plein de copains à moi ont lu The Velvet Rage et ça a été une révélation pour eux. Le livre explique le surinvestissement professionnel des mecs gays par une détestation de toi, une envie de se "racheter" auprès de la société, de leur famille, en surperformant dans le milieu professionnel.
Tes chroniques sont super car elles vulgarisent beaucoup des concepts féministes et queers qui ne sont pas forcément mainstream. Tu lis beaucoup ?
C'et une illusion absolue. J'ai l'air cultivée parce que j'ai une excellente mémoire, mais je pense que je lis beaucoup moins que plein de gens plus pointus que moi mais qui n'arrivent pas forcément à ressortir les choses aussi précisément. En vrai, je connais quatre trucs. Un peu comme Zemmour qui connaît six événements historiques et qui donne le change, alors que tous les historiens disent "ah non, il dit de la merde". (Rires).
Tu es un peu la Zemmour de l'humour ?
Exactement, la Zemmour des théories queers et féministes ! (Rires). Pour être plus sérieuse, je suis entourée de plein de gens cultivés, sur les questions féministes, les questions LGBTQI+, et je me nourris de ces gens plus cultivés que moi.
On se souvient aussi d'une chronique essentielle contre la putophobie. Tu es une alliée de toutes les causes ?
J'ai des copains gays, des copines lesbiennes, j'ai des potes trans, des potes musulmans, j'ai rencontré des assos de TDS (travailleurs·ses du sexe, ndlr)... J'ai eu la chance d'être acceptée, aimée et éduquée par des gens qui n'ont pas les mêmes vies que moi. Forcément, ça t'ouvre une porte d'empathie, et assez naturellement tu te dis "ok, c'est pas ma situation, mais je vois où est le réel de ces gens. Maintenant comment je peux les aider ? Qu'est-ce qu'ils ont à m'apprendre ? Qu'est ce que je pensais avoir compris et qu'en fait je n'ai pas compris ?"
Je me remets en question et j'essaie d'amener les autres à faire comme moi. C'est un trait de ma personnalité, de bien aimer faire de la médiation. Quand j'ai l'impression que les gens ne se comprennent pas, j'ai toujours ce réflexe, même avec mes potes. En adaptant ça à mon métier, si j'ai l'impression qu'il y a à un endroit des gens qui sont mal compris, et d'autres qui leur hurlent dessus, je vais toujours essayer de faire le pont entre les deux. C'est mon côté suisse de ne pas vouloir que les gens s'engueulent !
On critique parfois les allié·es qui prennent la parole à la place des personnes concernées. Comment tu te positionnes par rapport à ça ?
Je suis un peu embêtée, car les chroniques que je fais sur France Inter, ce n'est pas moi qui devrais les faire ! On devrait avoir plus de représentation des personnes LGBTQI+, plus de personnes qui ne sont pas blanches autour de la table, plus de chroniqueurs qui sortent d'un schéma bobo-blanc-cis... Je prends la place qu'il y a à prendre, mais la vérité, c'est que je veux bien être "grand remplacée", je devrais d'ailleurs ! (Rires).
Est-ce que tu penses que si c'était une personne concernée, les messages seraient aussi efficaces sur le grand public ?
J'ai peut-être une plus grande chance d'infiltration, je crois, puisque je ne suis pas "l'autre". Aussi touchée que je sois par ces sujets, je ne serai jamais autant touchée que les personnes concernées. Donc la question du compromis avec l'ennemi, de la colère, de la lassitude, je ne l'ai pas. Par exemple quand les hétéros veulent faire une "straight pride", je leur explique gentiment pourquoi ils sont teubés. Mais les personnes LGBTQI+ qui subissent cette violence, et qui font de la pédagogie tous les jours, n'auront pas la même patience que moi pour rester calmes face à des gens qui leur font du mal. Et c'est totalement normal.
Ça fait partie du rôle de l'humoriste, cette vulgarisation de la pensée ?
Il y a plein de façon de faire de l'humour, il y a des gens qui sont très autobiographiques, d'autres très absurdes... Moi j'ai commencé par parler de moi, et puis j'ai assez rapidement vu les limites du sujet. Les gens ont l'impression de te connaître, et je n'avais pas envie de ça. Donc j'ai préféré observer et analyser le réel, sur des sujets qui me touchent, et développer plutôt cet humour qui ressemble un peu à de la sociologie de comptoir ou à de la psychologie de supermarché. Et je suis contente que ça parle à des gens.
Tu crois qu'on peut rire de tout ?
Plus le sujet est grave, plus il va falloir être extrêmement pertinent et drôle. On peut rire de tout, mais aujourd'hui tout le monde a voix au chapitre. Alors il faut être prêt à entendre la réaction de tout le monde.
En tant qu'icône des "islamo-gauchistes" tu t'en es pris plein la tête ?
Écoute, pas du tout ! Mes plus gros bad buzz, c'était une blague sur l'OM et une chronique sur les lévriers. Ce sont les deux endroits où les gens montré la plus grande violence. Et je ne m'y attendais pas du tout.
Les lévriers ?
Il s'avère qu'il y a des milliers de lévriers, en Espagne, qui sont sacrifiés chaque année par des chasseurs. Je ne le savais pas, mais les communautés qui les défendent sont très actives sur les réseaux sociaux. La chronique avait beaucoup tourné, et j'avais même reçu des menaces de mort. C'est drôle internet, parce qu'on sait tous que c'est rarement productif de laisser la place à la colère, mais comme c'est pour une cause noble, on se dit que c'est pas grave d'insulter des gens.
T'es plutôt frontalière du "Wokistan" ou citoyenne ?
Je suis complètement citoyenne du Wokistan. Parfois je suis invitée à des tables rondes sur le "on ne peut plus rien dire" ou la "cancel culture" et j'ai envie de leur dire : euh, les gars, je suis le sheitan en fait ! Le "wokisme", le "politiquement correct", je suis complètement dedans. Les valeurs de fond du mouvement qu'on appelle "woke", à savoir laisser la parole aux personnes concernées, écouter quand quelqu'un dit qu'on le blesse et s'adapter... Je suis très alignée avec tout ça, et il y a vraiment peu de points avec lesquels je ne suis pas d'accord.
Crédit photo : Charlotte Abramow