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humourFanny Ruwet, la stand-uppeuse bie et belge qui veut nous faire rire (et réfléchir)

Par Florian Ques le 26/05/2021
fanny ruwet

Armée d'anecdotes désopilantes et d'une authenticité devenue son credo, Fanny Ruwet mérite votre attention. Chroniqueuse, humoriste et même podcasteuse, cette ex-misanthrope de 26 ans est sur tous les fronts – et ce n'est que le début. Portrait.

À 26 ans, Fanny Ruwet sait comment faire glousser et provoquer le malaise. Et, très souvent, parvient à faire les deux en même temps. Dès le 9 juin, ce sera tous les mardis et mercredis soirs que la Nouvelle Seine sera investie par cette stand-uppeuse belge au timing comique affûté. Sur la chaleureuse péniche du 5ème arrondissement, elle enchaîne les historiettes et les vannes teintées d'humour noir. Son spectacle, Bon anniversaire Jean, est son tout premier. Pourtant, on jurerait qu'elle est rodée à l'exercice depuis belle lurette. On ne pourrait pas plus faire fausse route.

Un pari audacieux

"À la base, j'étais dans les relations publiques, nous explique Fanny. J'ai fait ça pendant six mois avant de réaliser que je détestais ce métier". Réaliser que sa vocation initiale n'est, au bout du compte, pas celle qui nous convient, ça peut être grisant. Après s'être essayée à différents petits boulots peu stimulants, elle se fixe un objectif, "histoire de sortir de ma léthargie" : participer à une scène ouverte, au Kings of Comedy Club de Bruxelles. C'est ici que tout commence.

"J'ai eu envie de mourir avant de monter sur scène mais c'était relativement plaisant", reconnaît-elle. Ce petit goût de reviens-y la pousse à renouveler l'expérience. Encore et encore. Avec, à chaque fois, la volonté tenace de corriger les bavures et de s'améliorer. Fanny demande conseil à ses proches stand-uppeurs, dévore les specials de Netflix. Un peu comme si elle se préparait à rendre un devoir maison. "J'aime bien l'exercice intellectuel de l'humour, détaille-t-elle. J'aime me demander ce qui fait que cette blague fonctionne, pourquoi tel mot fonctionne mieux que tel mot. Je vois un peu ça comme des formules de maths, mais avec de la sincérité dedans".

La sincérité, c'est un peu le mot d'ordre de son premier spectacle. Spectacle qu'elle a façonné en un temps record, moins d'un an après ses premiers pas dans le stand-up. "Je suis partie deux jours à Ostende pour aller écrire et être loin de tout, confie l'humoriste. Et surtout avoir l'impression d'être dans un pays étranger, parce qu'ils ne parlent pas la même langue, tout en gardant un forfait pas éclaté parce que je ne change pas de pays [rires]".

Mais avant de foncer tête la première dans la création de son one-woman-show, la jeune Bruxelloise reconnaît avoir eu quelques préjugés sur ce milieu bien particulier. "J'avais des a priori sur la paresse intellectuelle des gens dans le stand-up, concède-t-elle. Il y a peu ce réflexe de prendre des sujets qui font déjà rire. Je trouve souvent que ça manque de fond. Pour moi, les meilleurs spectacles, ce sont ceux où, après, tu as appris des choses que tu peux ressortir dans des discussions totalement sérieuses". Un peu comme les sketchs de Daniel Sloss, l'humoriste écossais qu'elle admire. "Même si tu lui enlèves ses blagues, ça reste intéressant", assure-t-elle.

Bisexualité et santé mentale

Son premier bébé, Bon anniversaire Jean, dure environ une heure. Soixante minutes durant lesquelles Fanny Ruwet revisite les moments gênants de son enfance, évoque sa passion éphémère pour les phasmes et mentionne ses histoires d'amour foireuses. Avec des hommes comme avec des femmes. "J'ai assez vite compris que j'aimais les filles et je n'ai pas vraiment fait de coming out en fait, remarque-t-elle. Je ne l'avais même pas dit à la plupart de ma famille. Ils l'ont découvert dans le spectacle". Sur scène, elle se définit comme "lesbienne à mi-temps".

Fanny Ruwet, la stand-uppeuse bie et belge qui veut nous faire rire (et réfléchir)
Crédit photo : Hadrien Hanse

"J'étais persuadée que j'étais lesbienne, avoue la jeune stand-uppeuse. Puis, vers 20 ans, j'ai commencé à rencontrer des hommes un peu plus âgés que moi, plus matures et intéressants. J'ai alors vraiment réalisé que ce n'était pas une question de genre mais de personne, même si c'est très bateau dit comme ça". À l'aise avec sa propre sexualité, elle s'estime plutôt chanceuse de n'avoir jamais été victime de biphobie. Mais reconnaît bien qu'une certaine stigmatisation persiste dans notre société. "C'est toujours assez bizarre d'être vue comme une hétéro quand t'es avec un gars et comme une lesbienne quand t'es avec une meuf", souligne-t-elle.

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Parler aussi librement de sexualité est quelque chose d'important pour Fanny Ruwet. Mais ça n'est pas tout. La santé mentale est aussi l'une de ses marottes, faisant d'ailleurs partie intégrante de son premier spectacle. "C'est un sujet qui me tient à cœur parce que j'ai des gens qui m'ont aidée à des moments où je n'étais pas bien dans ma vie et qui m'ont fait comprendre que ce n'était pas un échec de voir un psy, de prendre des antidépresseurs, de ne pas aller bien…, justifie l'humoriste. Donc j'essaie de parler de ça pour que ce soit en plus en plus banalisé et accepté".

Pile électrique

Au-delà de sa petite notoriété acquise grâce au stand-up, Fanny Ruwet est également bien connue des auditeurs et auditrices de France Inter. Un temps embauchée pour réaliser des remplacements çà et là, elle est désormais détentrice d'une chronique chaque semaine sur les ondes. Un billet d'humeur hebdomadaire qu'elle élabore "avec beaucoup de sueur", bien qu'on lui donne à chaque fois carte blanche. "On ne m'a jamais demandé de parler d'un sujet ou interdite de parler d'un autre, précise-t-elle. J'envoie mon texte une heure avant, surtout pour vérifier les équivalences Belgique-France car j'oublie parfois qu'on a des mots qui ne sont pas exactement les mêmes. Mais ce sont des modifications sur la forme, pas sur le fond".

Et parce qu'être stand-uppeuse et chroniqueuse n'est vraisemblablement pas suffisant, Fanny est aussi podcasteuse. Depuis le printemps 2019, elle est aux commandes de Les gens qui doutent, un podcast sous forme de dialogue où elle converse avec des personnalités telles que Kyan Khojandi, Pomme ou encore Cœur de Pirate. "C'est le projet dont je suis le plus fière parce que j'ai l'impression que ça touche beaucoup de gens et ça m'apporte aussi énormément sur le plan humain", avoue-t-elle. Pas de doute : cette ex-misanthrope autoproclamée a fait du chemin.

"J'ai beaucoup pris confiance en moi sur ces deux dernières années parce qu'il y a ce truc de légitimité, de validation de l'extérieur, explique la stand-uppeuse. Je suis moins tout le temps en train d'essayer de me prouver à moi-même que je vaux quelque chose. Dans le spectacle, je parle beaucoup du fait que je suis misanthrope. Mais ça a quand même pas mal évolué. J'ai pas le choix que de sortir de chez moi, donc il fallait bien que je m'y fasse [rires]". Et les contacts humains, elle n'a pas fini d'en avoir, puisque les nouveaux projets commencent petit à petit à s'aligner.

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"On me propose plein de trucs, laisse-t-elle entendre. C'est à la fois fantastique et horrible parce que je dois arrêter des projets que j'aime pour des projets que j'aime encore plus". Il y a peu, Fanny Ruwet a inauguré Imagine ça parle de ça, un podcast littéraire au concept improbable : elle devine le synopsis du prochain bouquin qu'elle va feuilleter. Ainsi, Les Chiennes savantes de Virginie Despentes devient, dans l'imaginaire de la jeune humoriste, "l'histoire de la création de la première université pour chiennes".

En parallèle, et à en croire ses stories Instagram, elle est impliquée dans le développement de Drôle, la prochaine série de Fanny Herrero (Dix pour cent). Et peut-être même qu'elle créera un jour sa propre série – idéalement dans la veine de Fleabag ou I May Destroy You, ses deux grosses inspirations. En clair, Fanny Ruwet n'est pas près de se tourner les pouces. "Il faudra bien s'occuper pendant un nouveau confinement", conclut-elle avec son humour noir caractéristique.

Crédit photo : Aaron Godfroid