Fini la jeune fille rangée. Sur son deuxième album, Brûler le feu, Juliette Armanet s'enflamme. Pour le dernier numéro de TÊTU, elle revient sur l'amour, thème central de ses chansons, et invoque le droit des artistes à la fiction.
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Quatre ans après son premier album, la délicate Juliette Armanet a décidé de lâcher le clavier de son piano à queue et de s’en servir comme d’un dancefloor pour "Le dernier jour du disco". Dans Brûler le feu, un deuxième disque attendu impatiemment, elle déploie une variété teintée de disco et de soul, et parle d’amour en laissant sa voix, d’habitude tout en retenue, exprimer toute sa puissance.
Sa performance vocale laisse d’ailleurs entrevoir quelque chose de nouveau. Sur Brûler le feu, on entend du Céline Dion autant que du Christophe, du Whitney Houston autant que du Eddy Mitchell. Juliette Armanet prouve une nouvelle fois qu’elle est beaucoup plus qu’une chanteuse ; elle est un pont entre la variété populaire et la musique savante, entre Michel Berger et la Motown, créant une pop méta aussi exigeante que tubesque. Et si ses textes parlent toujours d’amour, l’autrice-compositrice a également bien d’autres choses à dire...
Johnny avait allumé le feu, et toi, carrément, tu le brûles ?
“Brûler le feu”, le titre éponyme du disque, est pour moi une chanson d’insurrection. D’insurrection amoureuse, comme d’habitude ; je n’écris que ça. J’ai toujours besoin que mes chansons se rattachent au sentiment amoureux. Et, en même temps, plus j’avançais dans l’écriture de l’album, et plus je me rendais compte qu’il y avait dans mes chansons un champ lexical emprunté à l’embrasement, au feu : j’allume des allumettes, je rougis comme les coquelicots... En m’interrogeant sur les titres, je me suis aperçue qu’il y avait bien quelque chose de cramé, d’abîmé dans ces nouvelles chansons, mais qui relevait presque aussi de la survie. J’ai bien conscience qu’on ne peut pas brûler le feu, mais j’aimais l’idée que ce titre soit comme un petit poème absurde, un haïku surréaliste.
De plus en plus d’artistes écrivent sur des thèmes sociétaux, toi tu écris sur l’amour...
On a tous notre rapport au politique. On n’est pas tous et toutes obligé·es de l’être à la même échelle, ou de dire la même chose. Si on est obligé de devenir un artiste politique pour avoir quelque chose à dire, c’est une manière un peu bizarre de renoncer à ce que peut aussi être une chanson. Je veux aller chercher d’autres émotions dans mon art musical que mes émotions de citoyenne ou de femme. Ce qui ne m’empêche pas d’interroger, à titre personnel, la place des femmes dans la société. Toutefois, j’ai l’impression qu’il y a plein d’indices dans mes chansons qui racontent un peu comment je me situe dans mon époque.
Notamment dans cette phrase d'"Imaginer l'Amour", “quand je prendrai ton corps”, où tu inverses complètement le rapport masculin-féminin qu’il peut y avoir dans la sexualité – hétérosexuelle en tout cas...
Cette phrase est un bon exemple. J’ai l’impression que, dans la musique, j’ai le droit à la fiction, le droit de m’inventer une vie, et je ne veux pas y renoncer au motif que je devrais prendre la parole sur des sujets de société. C’est la chose la plus sacrée pour moi. La question du genre se pose chez moi davantage dans l’imaginaire : qui vais-je m’autoriser à être ? J’écris souvent au masculin, d’ailleurs je pense que je me vois plutôt comme un chanteur. La vérité, c’est ce que tu te racontes à toi-même.Romain Gary avait créé Émile Ajar parce que s’inventer une vie était ce qui lui ressemblait le plus. Je me reconnais beaucoup là-dedans, et, pour moi, c’est une manière d’être politique. La plus grande des libertés, c’est d’avoir un personnage, de l’habiter, d’en faire ce que l’on veut.
C’est la liberté d’autodétermination finalement ! Alors, c’est qui maintenant Juliette Armanet ?
J’ai l’impression que ce personnage que j’habite est un peu plus féminin que sur le premier album, mais aussi de plus en plus violent, plus primitif. Je suis un peu moins jeune fille rangée, et un peu plus jeune fille en feu... (Elle sourit.)
La jeune fille rangée, n’est-elle pas nécessaire quand on débarque dans cette industrie ?
C’est une bonne question... (Elle réfléchit.) Je ne sais pas si c’est nécessaire, mais je me souviens qu’au début j’étais très réfractaire à tout costume. Je voulais porter un col roulé noir pour qu’on ne s’intéresse qu’à ma musique, et pas à ce que j’avais sur le dos. Je ne voulais pas ouvrir les mauvaises portes. Donc, effectivement, peut-être que j’avais intégré qu’il fallait que je sois rangée pour qu’on me prenne au sérieux !
C’est ton succès ou ton enfant qui t’a donné envie de mettre le feu ?
Je ne sais pas, peut-être un peu les deux ! En tout cas, avoir un enfant est un apprentissage de vie très, très, très puissant. J’ai découvert l’incroyable liberté des enfants, et la difficulté de ne pas toujours ramener cette petite personne à ce que toi tu voudrais qu’elle soit. C’est tout l’enjeu d’être parent. On a toujours envie que notre enfant soit à notre image, mais j’ai pourtant le sentiment qu’il y a quelque chose d’unique, qui nous préexiste, et que c’est cela qu’il faut cultiver au maximum, pour qu’il soit libre d’écrire sa propre fiction. C’est drôle car l’enfant me confronte aussi au sexisme de la société. Je viens de publier mes 80 dates de tournée et j’ai déjà reçu des messages de gens qui me demandent : “Qui s’occupe de l’enfant ?” Bah... son père !
Tu vis bien ton hétérosexualité, ça va ?
Je ne sais pas si je suis vraiment hétérosexuelle ! (Rires.) Mon époque, mes choix de vie, le fait que j’ai fait une famille avec un homme font que mon modèle est hétérosexuel. Mais je suis en train de lire Réinventer l’amour de Mona Chollet, et c’est passionnant. Le modèle hétérosexuel est celui dans lequel il y a peut-être le plus à déconstruire, même de manière très pragmatique. Par exemple, je gagne beaucoup plus d’argent que mon mec. Ça ne devrait pas être une question, et, pourtant, en tant que couple, on s’est interrogés sur ce sujet. C’est une nouvelle preuve que le patriarcat est un ennemi de l’amour, et même de l’amour hétéro !
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