Avec son premier single, "INCHALLAH", la rappeuse marocaine Lalla Rami offre un hymne d’amour et d’espoir inspiré par ses blessures et son parcours, révélant une artiste à la plume affûtée dont on va entendre parler cette année.
En Afrique du Nord, le terme Lalla décore le patronyme des saintes et des femmes qui trônent au sommet de la société. Un titre dont Lalla Rami, rappeuse originaire de Rabat, au Maroc, et installée en France depuis trois ans, s’est anoblie elle-même. Une façon pour cette jeune femme transgenre et immigrée de forcer le respect que d'aucuns voudraient encore lui nier. En décembre dernier, elle se révèle au travers d’un premier titre intitulé "INCHALLAH" ("si Dieu le veut" en arabe), dans lequel elle ravive des souvenirs d’enfance, pèse le poids de son quotidien et entrevoit l’espoir à l’horizon.
Après avoir adressé quelques mots à son père, blessée par ses silences, elle invective "Marguerite STerf" et fait le tour des menaces qui planent toujours sur sa communauté. Dénonçant violences, assassinats et fétichisation, Lalla Rami célèbre la force et le courage dont elle et ses soeurs doivent faire preuve afin d’exister librement. Un texte foudroyant qui trouve son apothéose quand l’artiste aborde son rapport au religieux et à sa propre foi. À celles et ceux qui lui refuseraient le droit de croire, elle répond : "Vous oubliez trop souvent que Dieu n’est pas méchant ; qu’on est tous ses enfants ; que c’est lui, pas toi, le jugement".
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"On m’a empêchée d’être, de croire, d’avoir foi en ce monde et en Dieu parce que je suis la personne que je suis, nous confie-t-elle. Pendant mon adolescence, j’ai eu un rejet de la religion car je m’en sentais exclue. On m’avait expliqué que je ne pouvais pas être croyante puisque Dieu lui-même ne croyait pas en moi. Je le pensais aussi avant de comprendre que Dieu aime tout le monde et qu’il est aussi à mes côtés." Affranchie de la stigmatisation dont sont victimes les personnes trans, Lalla Rami prêche l’amour et clôt son premier titre dans une prière : "Inchallah, les gens ne s’aimeront plus tout bas. Inchallah, c’est la haine que l’on cachera. Inchallah, un jour je chanterai à Rabat…"
"Manger tout le gâteau et ne laisser aucun reste"
Si la jeune femme porte son regard sur sa ville natale, c’est qu’elle ne compte pas se limiter à des terrains déjà conquis : "Je pense qu’il est important d’être présente sur des scènes qui ne sont pas réservées aux personnes queers. Mon message ne concerne pas que les Arabes, les musulman.e.s, les trans ou les pédés : je veux qu’il soit universel. Je ne suis pas là pour prendre l’espace que l’on m’autorise à occuper, mais pour manger tout le gâteau et ne laisser aucun reste". Une ambition motivée par l’envie d’incarner "d’autres possibles" et de poursuivre l’éveil des consciences. Pour Lalla Rami, il est nécessaire de confronter nos différences afin d’évoluer ensemble. "Rencontrer mes beatmakers, c’était un grand moment, se souvient-elle. Ce sont des mecs qui n’avaient jamais rencontré une fille comme moi. Pourtant, lorsque je suis entrée dans la cabine et que j’ai pris le micro, ils m’ont immédiatement comprise. Le fait d’être reconnue et respectée par des gens aussi différents de moi, ça signifiait quelque chose."
Depuis sa rencontre avec DJ KennyBoy, Sébastien Boumati et BuldozBeats – aka. "Mehdi, Seb et Khalid" – il y a un an, Lalla Rami a passé le plus clair de son temps en studio pour enregistrer des dizaines de titres dont quelques-uns devraient voir le jour cette année. Un début de carrière qu’elle vit comme une renaissance, la fin d’un cycle tumultueux et un nouveau départ sous la bannière d’"INCHALLAH". "Cette chanson, c’est l’histoire de ma vie, ma philosophie, mon hymne, conclut la musicienne. Le monde va mal mais nous avons le droit d’aimer, d’avoir la foi, de nous battre et de croire qu’un jour les choses iront mieux."
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Crédit Photo : Lalla Rami