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livre"Nom", le nouveau livre de Constance Debré, lame tranchante

Par Guillaume Perilhou le 02/02/2022
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Après les remarqués Play boy (Stock, 2018) et Love Me Tender (Flammarion, 2020), Constance Debré signe en cette rentrée littéraire d’hiver son nouveau livre. Nom, ou une bombe jetée sur sa famille, son milieu, le conformisme de la "saloperie de bourgeoisie".

"Oui, c’est contre l’obscénité de la vie lamentable que je vis comme je vis et que j’écris." La vie lamentable, elle l’a longtemps connue, Constance Debré, plus de quarante années depuis l’enfance à l’ombre de grandes demeures, celles du grand-père Michel, Premier ministre du général de Gaulle, en Touraine ou à Saint-Germain-des-Prés, hôtels particuliers peuplés de domestiques et d’ennui.

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"On voit bien qu’il n’y a que ça à faire, devant les gratins la compote la soupe les entrecôtes, qu’à s’emmerder tellement c’est chiant cette vie-là, les phrases qui vont avec, que ça donne envie de faire valser les plats, de leur dire comme on s’en fout de l’entrecôte et puis du ministre et de leurs fausses phrases sur la France et de cette fausse famille et tous ces faux mots." Tout faire valser, Constance l’a fait, plus tard, le compagnon, la robe d’avocat et l’appartement pour la littérature et le dénuement, la plume et l’ascèse rassemblées dans la même intransigeance, la même violence souvent, celle du coeur, des ruptures pour l’aventure, pour ne pas sombrer, ne pas mourir, rester verticale.

Chez les Debré, c’est pourtant de travers qu’on la perçoit. Avant elle il y avait François, son père, grand reporter à la télé, premier vilain petit canard de la famille. Quand Jean-Louis et Bernard, ses frères à lui, se disputaient des postes de ministres de droite comme leur père, lui parcourait le monde pour des reportages. Il y a découvert l’opium et l’héroïne, une seconde existence faite de cures de désintox et de séjours en HP. Un jour de 2020, François est mort. Constance était là, dans la maison de Montlouis-sur-Loire où il vivait en ermite et où elle venait parfois. Il balançait ses vieux pots de yaourts dans la cheminée et mangeait comme elle, debout devant le frigo, parfois elle ne venait que quelques minutes et puis repartait, ils ne se parlaient pas, n’en avaient pas besoin, ils se comprenaient.

La fille de Guillaume Dustan et de Christine Angot

Là-bas, elle a acheté une vieille Peugeot pour prendre la route, aller à la piscine ; nager est devenu sa "discipline" ou plutôt une obsession, l’une des rares choses qu’elle supporte encore avec Bach et le vélo, elle a trop de dégoûts en elle, a fait tatouer "Plutôt crever" sur son cou, un jour on lui a demandé "Plutôt crever que quoi ?", elle a répondu plutôt crever que le dégoût. "Il y a des jours où le dégout me monte à la gorge, le dégoût des livres, le dégoût de l’amour, le dégoût de tout. Il y a un moment où on est allé si loin dans le dégoût qu’on n’en a plus rien à foutre de rien. Qu’on s’en fout des autres. Que la douleur du monde on s’en fout. Que les pauvres on s’en fout. Que les gens qu’on aime on s’en fout."

Dans les bons jours pourtant il y a l’amour. Un mot qu’elle ne dira jamais, qu’on ne prononce pas. Il y avait l’amour de sa mère, celui qu’elle lui portait, une mère mannequin et magnifique, malade de la drogue elle aussi, venue de châteaux elle aussi, une mère qui avait aimé une femme, une fois comme ça, pour essayer, et qui avait dit à sa fille que si c’était ça son truc "avec les habits de garçon" ce n’était pas grave, qu’il fallait accepter l’homosexualité, ne pas se la cacher. Elle l’accepte aujourd’hui Debré et pas seulement, elle le défend son corps lesbien, son corps maigre et ses cheveux rasés. Dans sa radicalité, elle semble née du mariage de Guillaume Dustan et de Christine Angot, pourrait être une cousine de Justine Lévy qui racontait treize ans avant elle (Mauvaise fille, Stock, 2009) une mère tout autant top model et camée. Debré est l’héritière de cela, de la littérature du cri, de ceux qui comme Duras trouvent en l’écrit le moyen d’"hurler sans bruit". Elle signe un roman puissant qui, malgré quelques répétitions, ne s’essouffle jamais et laisse la marque d’une lame tranchante.

Extrait de Nom :

« Ça me parait important de poser la question de la vie lamentable, de s’attaquer à cette question, plus important que de défendre des pauvres qui de toute façon iront en prison parce que c’est comme ça, parce que la justice est la conséquence de mille conséquences et que ça ne sert à rien de s’occuper des conséquences des conséquences, qu’il vaut mieux s’occuper des causes, alors vu que je ne fais pas la révolution, j’écris des livres, mais je voudrais qu’on me lise bien, je voudrais qu’on ne me dise pas d’être sympa, de faire la fille sympa, polie, qu’il faut faire attention avec mes phrases, qu’il ne faut pas donner l’impression aux gens que je leur crache à la gueule, alors que c’est exactement ce dont les gens ont besoin, qu’on leur crache à la gueule, qu’on leur explique que ça suffit avec la vie lamentable, puisque ça les tue la vie lamentable, puisque ça tue tout le monde la vie lamentable. »

>> Nom, de Constance Debré, éditions Flammarion, 170 pages, 19€

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Crédit photo : Adam Peter Johnson © Flammarion