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musiqueRencontre avec Aurora : "La première fois que je suis tombée amoureuse, c'était d'une fille"

Par Florian Ques le 04/02/2022
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Avec son troisième album The Gods We Can Touch, la jeune chanteuse norvégienne se lance dans une quête d'humanité et défend sans détour la communauté LGBTQI+ à laquelle elle appartient. Interview.

Bien qu'on puisse aisément la qualifier de popstar au vu de sa discographie, Aurora ne colle pas à l'archétype que beaucoup ont en tête. Avec sa garde-robe digne d'une prêtresse divine, sa coupe de cheveux singulière et son imagerie très influencée par les astres, la chanteuse scandinave est un personnage à part entière. Comme une fée à l'apparence humaine qui voudrait autant nous faire danser autant que réfléchir sur l'état du monde. Deux choses qu'elle accomplit sans mal avec son troisième disque, The Gods We Can Touch, sorti le 21 janvier. À cette occasion, elle a fait une escale à Paris et a bien voulu revenir sur les prémices de cet opus très spirituel, où l'identité queer occupe une place prépondérante. Rencontre avec une musicienne inspirée et inspirante.

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Tu sors des nouveaux morceaux depuis l'âge de 19 ans. Maintenant que tu as 25 ans, ta façon de créer de la musique a-t-elle évolué ?

Aurora : Ça a changé mais, en même temps, pas tant que ça. J'ai l'impression d'être plus déterminée aujourd'hui. J'écris aussi davantage sur le monde et sur les gens. J'ai commencé par écrire sur moi-même au tout début. C'est seulement quand tu as travaillé sur toi-même que tu peux devenir une guerrière pour les autres. Maintenant, je vois tous ces gens qui traversent des choses pas toujours évidentes et j'ai envie de leur montrer qu'ils ne sont pas seuls.

Ton nouvel album est grandement inspiré des mythes et de la religion. Ça occupait une place importante dans ta vie ?

En vérité, j'ai commencé à m'intéresser à tout ça en 2019. Un jour, je me suis demandée comment on avait pu oublier de protéger notre terre nourricière. J'ai pensé aux anciennes cultures indigènes et à leur façon de respecter Mère Nature encore aujourd'hui. À l'époque, ils avaient tous cette croyance qu'un Dieu existait et qu'il était présent dans la terre, dans les arbres, dans le soleil, dans notre prochain. Et puis la religion s'est installée et on a enlevé Dieu de la terre pour le mettre loin, tout en haut dans le ciel. C'est devenu petit à petit un outil de contrôle pour que les gens se sentent honteux. Et c'est triste qu'on en soit arrivé là car les racines de la religion sont si pures.

As-tu dû faire beaucoup de recherches sur la mythologie pour concevoir cet album ?

J'ai dû beaucoup lire et j'ai énormément été inspirée par la mythologie grecque, dont je trouve l'imagerie sublime et très symbolique. Ça me paraissait aussi suffisamment lointain pour que personne ne soit offensé. À l'époque, ils célébraient toutes les formes d'amour. Être gay ou lesbienne n'était même pas une question. Puis, tout à coup, c'est devenu un problème. Mais pourquoi ? Je m'imagine toutes les histoires bouleversantes de gens au fil du temps qui n'ont pas pu être eux-mêmes ou aimer qui ils avaient envie d'aimer.

Rencontre avec Aurora : "La première fois que je suis tombée amoureuse, c'était d'une fille"
Crédit photo : Decca

De plus en plus de jeunes, et notamment des jeunes queers, se tournent vers la spiritualité à travers les astres et donc l'astrologie. C'est quelque chose qui te parle ?

Je n'y comprends pas grand-chose mais je suis curieuse et j'aimerais en savoir davantage. Par contre, je devine souvent le signe astrologique des gens du premier coup, même si je ne sais pas ce que ça symbolise. (Rires.)

Devine mon signe !

(Elle marque un temps de pause.) C'est dur car je ne sais quasiment rien de toi et je ne veux pas te vexer. Je dirais que tu es Verseau ? Ou Poissons ?

Je suis Cancer.

Mais c'est un signe d'eau donc je n'étais pas loin (Rires.) J'ai envie d'en savoir davantage. Mais ça a du sens que beaucoup de gens s'intéressent à l'astrologie. Le monde nous déçoit, alors on cherche du sens ailleurs.

Ton single "Cure for Me" est une référence directe aux "thérapies de conversion". Pourquoi as-tu décidé de t'emparer d'un tel sujet en musique ?

On a besoin de savoir qu'on est soutenu par la loi. On a besoin de légaliser le mariage entre couples de même sexe. On a besoin que l'armée accepte les personnes trans. Quant aux "thérapies de conversion", il est important qu'elles soient formellement interdites dans les textes de loi. On ne peut pas suffisamment insister sur tout ça.

Ce morceau est beaucoup utilisé dans la saison 7 de Druck qui est centrée sur un personnage non-binaire. Et Druck est le remake allemand de Skam, une série à succès norvégienne... et tu es toi-même Norvégienne. C'est un peu comme si la boucle était bouclée.

Je ne savais même pas ! Mais je suis tellement honorée que cette chanson soit associée à une personne non-binaire. C'est merveilleux. Il faut que j'y jette un œil !

Comment expliques-tu qu'il y ait encore tant de discriminations contre les personnes LGBTQI+ de nos jours ?

On me dit souvent que la Norvège est un pays moderne auquel beaucoup se réfèrent. Je l'entends mais le problème, quand on s'autocongratule en tant que pays en se disant qu'on est parfait, c'est qu'on n'avance plus. Pour certains, le progrès qui a déjà été fait est suffisant. Ils se disent que comme certaines choses vont mieux, alors il n'y a plus besoin de se battre. Et ça fait peur de se contenter d'un travail qui n'est pas terminé.

Tu es toi-même bisexuelle. C'était facile pour toi de prendre conscience de ta sexualité ?

J'ai la chance d'avoir un cerveau qui ne se demande jamais "pourquoi ?" lorsque je ressens quelque chose. (Rires.) Par exemple, quand on se moquait de moi à l'école, je n'en avais pas conscience. Donc je pense que ça m'a beaucoup aidée. La première fois que je suis tombée amoureuse, c'était d'une fille. Je ne l'ai pas questionné.

Rencontre avec Aurora : "La première fois que je suis tombée amoureuse, c'était d'une fille"
Crédit photo : Decca

As-tu dû faire face à du jugement ou de l'incompréhension par rapport à ta sexualité ?

Je viens d'une petite ville et je me rappelle qu'on était seulement onze dans ma classe. Et personne n'était comme moi. Je me rappelle des blagues sur le fait d'être gay, mais elles étaient surtout destinées aux garçons. Quant à mes parents, je n'ai jamais eu à vraiment sortir du placard. En revanche, mon coming out médiatique en Norvège s'est fait quand j'avais 19 ans. Un journal important avait mis en gros titre que j'aimais tout, les femmes comme les hommes barbus. C'était assez traumatisant parce qu'ils m'ont volé mon coming out, d'une certaine manière.

Dirais-tu que ton identité queer nourrit ta musique ?

Je le pense, oui. Ça m'aide dans ma façon de voir le monde et d'être compréhensive de ce que peuvent traverser les gens. Je dirais surtout qu'être différente me rapproche de tous ceux qui se sentent différents dans le monde.

Tu as récemment collaboré avec Pomme. C'est clairement le featuring 100% queer que personne n'attendait !

Je sais ! (Rires.) Je l'adore, elle est incroyable. J'ai découvert sa musique par hasard. J'étais allée chez un disquaire et je lui ai demandé de me sélectionner dix albums d'artistes féminines françaises. Pomme faisait partie de la sélection, c'était son premier disque.

Comment vous est venue l'idée de travailler ensemble pour "Everything Matters" ?

J'avais déjà écrit la chanson. J'avais loué un petit château en Norvège en novembre 2020. J'y suis restée pendant un mois dans l'objectif d'enregistrer l'album sur place. Et ce château a une histoire : il appartenait il y a près de 400 ans à un Français qui adorait la musique et invitait des artistes à venir créer chez lui. J'ai voulu inclure un morceau de la chanson en français pour lui rendre hommage. C'est là que j'ai tout de suite pensé à Pomme.

Y a-t-il d'autres artistes LGBTQI+ avec qui tu aimerais collaborer ?

De toute évidence, j'adorerais travailler à nouveau avec Pomme. J'adore aussi Troye Sivan. Et Doja Cat ! Je veux travailler avec elle. Je sais qu'elle aime ma musique et j'adore la sienne aussi. Ce serait explosif.

Au-delà des enjeux LGBTQI+, tu fais aussi beaucoup attention à l'environnement. Dirais-tu que c'est ta responsabilité, en tant qu'artiste, d'utiliser ta plateforme pour sensibiliser tes fans ?

Je crois personnellement que c'est ma responsabilité car c'est une cause qui me tient à cœur. Mais c'est parce que je n'ai pas peur de me tromper, j'ai envie d'apprendre. Je veux faire partie du changement. Cependant, je ne mettrais jamais ce poids sur tous les artistes. Mais je veux que les gens comprennent qu'ils ne doivent pas avoir peur de s'engager. Le but, ce n'est pas d'être Greta Thunberg. Simplement d'agir, que ce soit en achetant des fringues de seconde main ou en consommant par des circuits courts. Il n'y a pas besoin d'être irréprochable.

Beaucoup de jeunes sont déprimés face à l'état actuel du monde. Toi, tu te sens comment ?

Pleine d'espoir. Vraiment. Aujourd'hui, ce sont les plus âgés qui dirigent le monde et on a l'impression d'être impuissants. Mais c'est toujours le peuple qui est en contrôle. On doit se rappeler de ça. Bientôt, nous serons les parents, nous serons les PDG, nous serons les décisionnaires. Il faut juste patienter. Et surtout, je pense que c'est primordial de rendre le militantisme sexy ! (Rires.)

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Crédit photo : Decca