Abo

musique"Je me demande jusqu'où les hétéros vont me suivre" : rencontre avec Olly Alexander pour son nouvel album

Par Florian Ques le 21/01/2022
years & years,years and years,olly alexander,night call,years and years groupe,olly alexander album

Après une année 2021 marquée par le succès fulgurant de la mini-série It's a Sin, Olly Alexander revient à ses premières amours avec Night Call. Un album pop et décomplexé qui signe le renouveau de Years & Years.

Longtemps un trio, Years & Years n'est plus qu'un projet solo – mais cela n'entache en rien sa superbe. Maintenant que ses acolytes d'un temps Mikey Goldsworthy et Emre Türkmen ont pris des voies différentes, le flamboyant Olly Alexander est seul aux commandes et prouve sa légitimité avec Night Call, un troisième album à la fois dansant, sexy et mélancolique. En bref, un cocktail très gay qui fonctionne. Fort de sa prestation excellente dans la série acclamée It's a Sin l'an dernier, le chanteur britannique se confie sur sa volonté de maintenir Years & Years en vie, la honte avec laquelle il s'est débattu... et son public hétéro. Le tout en 10 questions top chrono.

À lire aussi : 12 albums d'artistes LGBTQI+ qui ont fait du bien à la pop en 2021

Years and Years est désormais un projet solo. Pourquoi as-tu décidé de garder le nom du groupe pour ton nouvel album Night Call ?

Quand Mikey, Emre et moi discutions de ce que nous voulions faire, c'était très clair qu'on avait tous envie de partir dans des directions différentes. Mais je n'étais pas prêt à dire adieu à Years & Years. Je voulais juste que ça continue, dans un vrai élan de nostalgie. Et même si je suis tout seul aux commandes, Years & Years ne se limitera jamais qu'à moi.

En quoi dirais-tu que les titres de Night Call diffèrent de la musique que tu as pu faire avec le groupe ?

Je dirais déjà que chaque morceau est forcément différent puisqu'il est rattaché au moment où tu le crées. Mais cette fois, j'ai essayé de mettre encore plus de moi-même dans les chansons. Concevoir ces musiques et danser au studio m'ont vraiment permis de m'évader pendant le confinement et ces deux dernières années. C'était important pour moi que cet album soit généreux et synonyme de libération – ça reflète en plus mon processus musical où j'avais encore plus de liberté, et il a fallu que je la canalise au mieux.

Maintenant qu'Olly Alexander est le seul visage de Years & Years, ressens-tu une pression supplémentaire sur tes épaules ?

À chaque fois que je sors un titre ou un disque, je me demande toujours si les gens vont préférer ce qu'on faisait avant. Mais si tu passes trop de temps à réfléchir à ça, tu ne sors plus du lit le matin. En vérité, les fans de Years & Years ont été d'un énorme soutien donc je peux me focaliser là-dessus. Bien qu'un peu de pression ne fasse de mal à personne : ça te motive à faire un bon travail !

Dans cet album, deux mouvements s'opposent : une partie très charnelle, très sexuelle et une autre qui dévoile un besoin d'intimité émotionnelle tout en ayant peur de former de réels liens. Dirais-tu que cette dualité fait intrinsèquement partie du vécu gay ?

Il fait déjà très clairement partie de mon vécu personnel. Comment je recherche de l'intimité et comment j'exprime mon désir, c'est très contradictoire. Je vais vouloir quelqu'un, et la minute suivante, plus du tout. Je me demande constamment ce que je recherche au fond de moi et ce que je mérite. C'est mon expérience mais je sais que c'est aussi celle d'un tas de personnes queers.

Penses-tu que ce soit particulièrement difficile pour les gays de créer une vraie intimité ?

Je pense que c'est difficile, que tu sois hétéro, gay ou quoi que ce soit d'autre. C'est dur de forger un vrai sentiment profond d'intimité parce que ça requiert d'être extrêmement vulnérable et de s'ouvrir à l'autre. Pourtant, lorsqu'on grandit, on nous apprend à cacher qui l'on est vraiment. On s'habitue à mettre des barrières pour se protéger. C'est d'autant plus difficile car on n'essaie pas de reproduire le modèle relationnel cis hétéro. Tout du moins, je ne pense pas que l'on doive rentrer dans ce moule-là. Il faut qu'on trouve nos propres manières de maintenir une intimité et une connexion. C'est une vraie épreuve.

"Je me demande jusqu'où les hétéros vont me suivre" : rencontre avec Olly Alexander pour son nouvel album
Crédit photo : Universal Music

Parlons d'amour. Sur ton titre "20 Minutes", tu as l'air de faire une croix dessus. Tu es toujours dans cet état d'esprit à l'heure actuelle ?

Honnêtement, en ce moment, j'ai une perspective différente sur l'amour parce que j'ai réalisé que j'étais amoureux de quelqu'un. Je l'aime tellement et c'est quelqu'un que je connais depuis un bon moment. Ça m'a pris du temps pour prendre conscience de mes sentiments. "20 Minutes" a été écrite à une période où j'étais très célibataire. Et c'est souvent comme ça que ça se passe : un jour, tu te dis que tu ne veux plus toucher à l'amour, et le suivant, tu te dis que vous êtes faits pour être ensemble.

Donc tu envoies un message d'espoir aux célibataires ?

Totalement ! Mais être célibataire, c'est très bien aussi. Je trouve que la romance, c'est surcoté. Tu peux aussi être en relation avec toi-même, c'est parfois encore plus dur à entretenir qu'une relation classique à deux.

À lire aussi : Olly Alexander : "La communauté LGBTQ+ a tout à gagner à maintenir le dialogue entre les générations”

Il y a souvent un sentiment de honte lorsqu'on grandit en tant que gay. Est-ce quelque chose que la musique t'a aidé à appréhender ?

À 100% ! Je pense qu'une immense partie de mon vécu est associée à ce sentiment de honte et au fait de vouloir le mettre en lumière et décortiquer tout le tort que ça a pu causer à ma sexualité et mon identité quand j'étais plus jeune. La musique m'a aidé à faire ce travail de déconstruction. La mode et le maquillage, aussi.

Penses-tu que tes chansons peuvent trouver un écho auprès d'un public hétéro ?

Je n'aurais jamais pensé que ma musique puisse plaire à un public hétéro, ce qui est assez surprenant. Parce qu'après tout, pourquoi ce ne serait pas le cas ? Je me suis retrouvé dans des chansons d'artistes hétéros pendant toute ma vie. Il ne devrait pas y avoir de différence si l'on inverse les rôles. Cela dit, c'est vrai que je me demande jusqu'où les hétéros vont me suivre parce que certaines de mes chansons sont très gays. Ça me travaille parfois l'esprit mais pas suffisamment pour que je les modifie (Rires).

Dirais-tu qu'avoir joué dans It's a Sin a influé la création de ce nouvel album de Years & Years ?

Très clairement, oui. J'ai écouté tellement de chansons des années 80 pendant qu'on tournait It's a Sin. J'ai toujours aimé cette décennie, l'atmosphère de cette époque. Cette idée de libération et d'euphorie, au niveau des instru, qui se mélangeait à des paroles qui brisaient parfois le cœur. C'est une musique qui m'a beaucoup influencé et qui se retrouve par touches sur Night Call.

À lire aussi : "J'avais peur" : Olly Alexander (It's a Sin) raconte son adolescence de jeune gay

Crédit photo : Universal Music