Dans son deuxième film, Great Freedom, sorti cette semaine au cinéma, Sebastian Meise revient sur le passé funeste de l'Allemagne et sur la persécution des gays au début du siècle. Entretien.
Avec son deuxième long-métrage de fiction, le réalisateur autrichien Sebastian Meise frappe fort. Récompensé par le Prix du jury de la section Un certain regard au festival de Cannes en mai dernier, Great Freedom est un film de prison qui met en lumière le passé funeste de l’Allemagne et son fameux paragraphe 175 qui permettait d’incarcérer les homosexuels. Pour TÊTU, il évoque ses inspirations pour le film dont l’action se situe sur plusieurs époques, et l’importance que revêt encore aujourd’hui un tel récit.
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Comment est née l’envie d’écrire un film comme Great Freedom sur la persécution dont ont souffert les homosexuels dans l'histoire de l'Allemagne ?
Sebastian Meise : Le point de départ, c’est que je me suis rendu compte que je ne connaissais pas grand-chose de ce paragraphe 175 et de son histoire. J’en avais entendu parler mais cela me semblait très loin. Tout ceux à qui j’en parlais, chez moi en Autriche, n’étaient pas non plus vraiment au courant de l’ampleur de cette persécution d’État. On a donc commencé à faire des recherches sur les nombreuses histoires d’hommes gays qui ont été emprisonnés et, pour certains, "détruits".
Vous avez réussi à rencontrer des témoins de l’époque ?
Nous avons rencontré pas mal de témoins, à Berlin notamment, nous avons aussi visionné des vidéos de témoignages. Nous avons aussi poussé la porte d'un très vieux bar gay dans lequel il y a toujours quelques hommes plus âgés. Personne ne leur parle vraiment et pourtant ils ont tous connu de près ou de loin ces persécutions. Nous avons rencontré un couple qui vivait une relation depuis 40 ans et quand l’un d’entre eux a évoqué ses séjours en prison dans les années 60, son compagnon n’était même pas au courant ! Il ne lui avait jamais parlé de cette période de sa vie, c’est très difficile pour nous de nous rendre compte de ça. Ce que le film raconte, c’est comme un angle mort de l’histoire de la communauté gay, même en Allemagne.
"A l'époque, ça n'a choqué personne qu'on emprisonne, qu'on torture, ou qu'on assassine les gays !"
Sebastian Maise
Le plus fou dans cette histoire, c’est que les homosexuels qui avaient été déportés par l’Allemagne nazie se sont retrouvés aussitôt emprisonnés par les Alliés après la libération des camps…
C’est vraiment cet élément qui m’a donné envie de faire le film. J’avais lu un livre sur cette histoire et le fait qu’ils aient été libérés et réemprisonnés sur le champ m’a semblé tellement surprenant ! Mais il faut savoir que du côté des Alliés, les Américains et les Anglais avaient des lois similaires donc cela n’a, à l’époque, choqué personne qu’on emprisonne, qu’on torture ou qu’on assassine les gays !
On sait que c’est toujours le cas dans certains pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie ou même en Tchétchénie, aux portes de l’Europe. Est-ce une des raisons qui ont motivé à revenir sur cette histoire aujourd’hui ?
Oui, absolument ! Se dire qu’aujourd’hui l’homosexualité est encore passible de peine de mort dans 11 pays, je crois, c’est absolument fou. On vit une forme de retour de bâtons dans nos sociétés démocratiques, les forces conservatrices reviennent en force et menacent nos droits démocratiques et tout peut changer très vite que ce soit sur les droits acquis par les LGBT+ ou sur d’autres sujets comme l’avortement ou la liberté de la presse. C’est de pire en pire au sein même de la communauté européenne et c’est très effrayant.
Pourquoi avez-vous choisi de situer l’action du film sur différentes époques ?
Nous souhaitions commencer l’histoire juste au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la libération des camps de concentration. Mais nous voulions évoquer toute la période qui a duré jusqu’en 1969, avec l’abrogation du paragraphe 175, et montrer l’intemporalité de ce qu’ont vécu les homosexuels pendant tout ce temps. Au départ nous avions écrit un récit biographique de la vie de Hans, le héros du film. Mais nous avons réalisé que sa vie entière était une prison, qu’il n’y avait aucun moyen qu’il change et qu’il devienne quelqu’un d’autre qu’un criminel aux yeux de la loi. Il était voué à l’illégalité. C’est à ce moment que nous avons décidé que le film se passerait presque uniquement dans la prison pour qu’on éprouve cet enfermement du personnage. L’idée de casser la chronologie permettait aussi de faire ressentir cet enfermement sur la durée.
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Et comment est venue l’idée de construire une relation très forte entre Hans et Victor, un meurtrier hétérosexuel emprisonné ?
L’idée est venue car à chaque fois que nous faisions revenir Hans en prison, Victor était là puisqu’il était condamné à perpétuité pour meurtre. Il s’est introduit dans le scénario comme il s’introduit dans la vie de Hans d’une certaine façon. Et nous avons réalisé, au fur et à mesure, que toute l’histoire est centrée sur cette relation entre ces deux déclassés, ces deux marginaux condamnés à vie.
Pour terminer, un mot sur Franz Rogowski qui incarne Hans et qui est absolument incroyable dans le film ?
Il est extraordinaire. Dans tous les rôles qu’il interprète, il fait preuve d’un engagement impressionnant. Il est toujours à la recherche de moment où il n’a plus à jouer du tout pour incarner son personnage. Il a perdu près de 12 kilos pour le film pour qu’on ressente à travers son corps que l’action s’étale sur près de 25 ans, c’est un perfectionniste du jeu.
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