magazineCoco : enquête sur un tchat sauvage, habitué de la rubrique faits divers

Par Hugo Wintrebert le 22/12/2021
Coco.fr, un tchat sauvage en version web et mobile

[Enquête à retrouver dans le magazine têtu· ou sur abonnement] Alors que se multiplient les affaires de viols et de violences que les enquêtes de police relient au tchat coco.fr (devenu coco.gg), ce site gratuit reste fréquenté par des hommes gays à la recherche d’anonymat.

Pascal, 59 ans, a donné rendez-vous au pied de son immeuble, dans le 15e arrondissement de Paris. Dans l’obscurité d’un soir de janvier, il voit s’approcher un délicieux trentenaire, bien charpenté. Coup de chance, l’homme correspond aux alléchantes photos qu’il lui a envoyées quelques heures plus tôt. Ils s’assoient sur un banc, parlent de sport et discutent avec légèreté durant 45 minutes, avant que Pascal ne propose de monter chez lui.

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La porte d’entrée à peine refermée, les deux hommes entament un rapport sexuel. “C’était nul, se rappelle Pascal. Je sentais qu’il n’était pas du tout dans le truc. Aucune motivation, aucune fusion.” Puis, au moment de se rhabiller, son éphémère partenaire lui lance d’un trait : “Mais tu crois que je suis venu ici pour quoi ?” D’un coup, l’homme se montre menaçant. Il gonfle le torse, annonce pratiquer le karaté depuis des années et réclame 100 euros. Pascal tente de négocier, mais l’autre s’agite, commence à élever la voix. “Il criait beaucoup. J’avais peur que mes voisins l’entendent, raconte-t-il. Personne ne sait que je suis gay.” Pascal cède et va chercher l’argent dans un tiroir. Son agresseur, qui aperçoit d’autres billets, lui extorque finalement 350 euros.

Sexe, drague et agressions

Quelques mois plus tôt, Pascal avait déjà été victime du même procédé. Un bref rapport sexuel, un partenaire qui change de visage au moment de se rhabiller, demande à être payé et menace de le frapper. Par chance, la présence de policiers patrouillant dans sa rue lui avait alors permis de s’en sortir. Les deux fois, Pascal a rencontré ses agresseurs sur le site coco.fr. Ce simple tchat, ouvert à tous mais particulièrement prisé des homosexuels, est régulièrement cité dans les colonnes de faits divers des journaux régionaux. En avril, une bande de jeunes Brestois, accusés de vols avec violence sur des hommes gays, ont été interpellés. En juillet, un homme de 23 ans a écopé d’une peine d’un an et demi de prison pour avoir frappé et dépouillé un homme gay sur un parking, à Mouy, dans l’Oise. Un mois plus tôt, un Angevin était condamné à un an de prison pour avoir tendu deux guets-apens homophobes particulièrement violents. Chaque fois, victimes et agresseurs se sont rencontrés sur Coco.

Et la liste, encore longue, s’enfonce dans le sordide. Le 10 septembre, la cour d’assises du Val-d’Oise a condamné à vingt ans de réclusion un homme de 22 ans reconnaissant avoir tué en 2018 un homosexuel de 55 ans rencontré sur le site. Un mari sexagénaire l’aurait aussi utilisé pour rameuter des dizaines d’hommes à son domicile du Vaucluse dans le but d’abuser de sa femme, préalablement assommée à coup d’anxiolytiques. Alors comment Coco peut-il être lié à autant d’affaires atroces ?

Noix de coco et design dépassé

Sur la page d’accueil, une noix de coco entrouverte, d’où dégouline un liquide blanchâtre, donne le ton. Le site ressemble à ceux des années 2000, époque Skyblog et MSN, et son design, où les couleurs pâles dominent, semble d’ailleurs ne pas avoir changé depuis sa création, en 2003. À l’origine, il s’agissait d’un tchat généraliste pour ados désœuvrés et amateurs de jeux vidéo, lequel, en une décennie, s’est transformé en improbable site de rencontres. Ainsi ce tchat à l’ancienne, très gay – où l’on s’envoie des photos de bites pour se dire bonjour –, propose désormais des espaces de discussion collectifs ou privés, et accueille environ 500.000 visiteurs uniques chaque mois, dont seulement 17% de femmes, si tant est qu’elles le soient réellement...

Coco.fr : enquête sur un tchat sauvage, habitué de la rubrique faits divers
Capture d'écran du site Coco

Pour comprendre où l’on met les pieds, rien de tel que de jeter un coup d’œil aux pseudos utilisés. Ici, PassifLope côtoie Ejacprécosse10sec, et Kimasseprostate peut échanger en un clic avec PapaCathoCho. C’est cru, c’est rapide, les discussions privées sont hachées et se résument souvent à : “Salut, ça va ? – Photo ? – Oui, j’ai snap.” D’ailleurs, les salons de discussion sont quasiment tous orientés cul. Certes, on peut parler union des gauches sur le salon “Politique” ou de Mylène Farmer dans le salon “Musik 80”, mais la conversation “MatteMaQueue”, sur laquelle s’échangent des photos de sexes en érection dès 8 heures du matin, a bien plus de succès.

Tchat gay version trash

Sur Coco, tout se mélange : des conversations badines, des “Salut ! Aujourd’hui je suis allé à Carrefour et vous ?”, des récits sexuels douteux, des photos d’hommes à quatre pattes sur le carrelage de leur cuisine... Il y en a pour tous les goûts, et l’on peut passer sans difficulté du salon “Au coin du feu” à celui intitulé “Plaisir tétons”, de la conversation dédiée aux “mamies coquines” à celle regroupant des amateurs d’“odeurs de bite”. Tous les fantasmes peuvent s’exprimer et s’exhiber. “Pour moi, ce tchat s’apparente à un ça freudien”, analyse l’écrivain Arthur Dreyfus, un temps utilisateur de Coco, comme il le raconte dans son Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui. Le ça est le pôle pulsionnel de la personnalité, l’instance obscure et chaotique régie par le seul principe de plaisir.

Ce grand foutoir est permis par l’anonymat accordé aux utilisateurs, dont l’inscription ne nécessite aucune adresse email, et dont la plupart des profils, qui n’ont pas de photo, usent de pseudos explicites et affichent des âges factices. Coco est ainsi devenu un temple à hétéros curieux, à homos discrets, voire honteux, où sont surreprésentés les routiers, les pompiers, les hommes d’origine maghrébine, les militaires ou les hommes mariés qui préfèrent avancer masqués. Sans oublier certains gays assumés fantasmant sur ces catégories de personnes. “On ne sait jamais sur qui on peut tomber, explique Arthur Dreyfus. C’est comme si c’était la backroom d’internet, ou plutôt un espace de cruising sans lampadaire. Tout est sombre. Il faut avoir le goût du risque.” Dans son livre, il en parle d’ailleurs comme du “site des garçons douteux, des lascars, la salle des pas perdus de la Toile sexuelle”.

“Toutes les applis se valent, mais Coco c’est vraiment épouvantable.”

Autant de puissants leviers susceptibles de rendre ce tchat addictif. “J’utilise Coco quatre heures par jour, et j’espère tomber sur la perle rare”, admet Philippe, homosexuel de 54 ans, installé à Angers. Sauf qu’en huit ans d’utilisation il ne l’a toujours pas trouvée et a dû se contenter de quelques rapports sexuels décevants. Bruno, 58 ans, habitant dans l’Essonne, a, lui, découvert Coco au moment de son divorce, après vingt ans de mariage avec une femme : “Je suis arrivé là-dessus avec une naïveté incroyable. Mais j’ai vite compris.” Les mythos, les propositions farfelues, les rendez-vous jamais honorés... “Toutes les applis se valent, mais Coco c’est vraiment épouvantable”, lâche-t-il, désabusé. Pourtant, lui qui habite désormais seul s’y connecte presque tous les jours, quand il fait ses papiers ou son repassage. Le soir, ça lui fait même de la compagnie. “J’ai décidé d’arrêter de chercher des garçons, confie-t-il. Maintenant, je viens surtout pour dialoguer, rigoler.”

Car si l’on vient sur Coco, c’est autant pour se défouler que dans une quête de tendresse, voire juste pour passer le temps. “Ce site est très dégradant. Pourtant, ça m’arrive d’y passer des jours, concède Pascal. Ça me fait du bien sur le moment, mais ça me rend aussi anxieux. Il y a un côté débile à perdre sa journée dessus. Je me demande pourquoi je fais ça. Mais, le lendemain, j’y retourne. C’est en grande partie gratuit, instantané, on n’a pas besoin de s’inscrire pour l’utiliser. Donc on peut faire n’importe quoi.”

Usagers toxiques

La grande majorité des utilisateurs ont pourtant eu de mauvaises expériences. Arthur Dreyfus s’est lui aussi retrouvé face à un homme réclamant avec brutalité un billet de 100 euros une fois un rapport sexuel achevé. Antoine, Stéphanois de 34 ans, a échangé des photos très intimes avec un garçon qui l’a rapidement menacé de les envoyer à sa famille, alors qu’il n’a jamais fait son coming out. Refusant de céder au chantage, il n’a pas payé, et, fort heureusement, les photos n’ont jamais été dévoilées. De son côté, Philippe est souvent confronté à des “brouteurs”, des arnaqueurs du web. Après avoir partagé des photos sensuelles avec un homme, il a reçu plusieurs fois un mail – à l’orthographe approximative et comportant le logo de la gendarmerie nationale en tête – l’accusant de pédophilie, de trafic sexuel ou “d’incitation d’exhibition lors de conversations avec des mineurs”. Il lui était alors demandé de payer pour mettre fin aux poursuites. Lui non plus n’a jamais cédé.

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Tous les utilisateurs interrogés se disent conscients des dangers potentiels de ce tchat. Pour s’en prémunir, l’un n’envoie jamais de photos intimes comprenant son visage, l’autre ne rencontre jamais ses futurs partenaires sans avoir leur numéro de téléphone, quand un troisième donne toujours rendez-vous dans un lieu public. Mais tous savent que le risque de tomber sur la mauvaise personne n’est jamais nul, que le danger est inhérent à toute plateforme de rencontres. Seulement Coco semble tout de même détenir la palme des usagers les plus toxiques. D’ailleurs le tchat traîne aussi la réputation peu reluisante d’être un repère de pédophiles, et plusieurs utilisateurs confirment avoir aperçu, sur des salons de discussion, des photos de trop jeunes garçons. C’est pour cette raison que le site fut attaqué, en 2012, par le collectif Anonymous. Depuis, des “chasseurs de pédophiles” – des internautes se faisant passer pour des mineurs dans le but de traquer les délinquants sexuels et de les dénoncer – ont fait de Coco une cible prioritaire.

Supermarché gratuit underground

“Beaucoup d’étudiants et de garçons de 20 ans sont prêts à vendre leur charme”, souligne Philippe, qui a bien remarqué que le nombre d’escorts a explosé depuis le premier confinement. En parallèle, le site semble aussi être devenu un vaste supermarché de la drogue. Les pseudos explicites comme Vendcoke ou MdCokequalit sont légion. Et le salon “Drogues & dépendance” ressemble plus à une page de partage des meilleurs plans pour trouver de quoi sniffer plutôt qu’à une discussion où confesser ses difficultés à se défaire d’une addiction. En 2018, un trafic de cocaïne organisé via le site a d’ailleurs été démantelé dans la région de Toulouse.

Ainsi Coco, tout en restant facile d’accès, ressemble finalement à un espace du darkweb. Comment un tel site peut-il donc rester ouvert ? Le tchat est-il surveillé ? Contactée, la direction centrale de la police judiciaire (dont dépend la plateforme Pharos, qui sert à signaler les contenus illicites en ligne) n’a pas souhaité s’exprimer. Comme la loi l’y oblige, Coco collabore tout de même avec les services de police. Aux assises du Val-d’Oise, en septembre, lors du procès du meurtre homophobe, le chef d’enquête a d’ailleurs salué le rôle des administrateurs du tchat, lesquels avaient permis de confondre l’auteur du crime en retrouvant son adresse IP.

Impossible en revanche pour les utilisateurs de contacter des modérateurs pour signaler un comportement suspect. D’ailleurs, personne n’a vraiment idée de qui se cache derrière le site ni de pourquoi certains se retrouvent subitement bannis du tchat sans pouvoir y retourner, sauf à devoir payer un abonnement premium à 6 euros. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il appartient à une petite société installée à Toulon. C’est tout. Son responsable n’a pas souhaité répondre à nos multiples demandes d’entretien. Que Coco continue de concentrer les fantasmes et les dangers du web semble donc lui convenir.

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Crédit illustration : Vaadigm Studio