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sexoComplexes, shaming, chemsex, applis… Quand le sexe redevient compliqué

Par Tom Umbdenstock le 18/08/2021

Entre les applis et l’acceptation de l’homosexualité, baiser aurait pu devenir hyper simple. Mais pour beaucoup le sexe est source de discriminations, d’exclusion et de blessures.

Texte Tom Umbdenstock, avec Élodie Hervé
Photographie Antoine Henault

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Finies les pipes rapides dans les pissotières entre deux ratonnades de flics. Finies les amours clandestines dans le jardin des Tuileries ou sur les aires d’autoroute. Finis aussi l’époque des branlettes sur cassettes vidéo et les magazines pornos cachés sous les matelas. L’acceptation de l’homosexualité par la société aurait pu laisser croire à une victoire collective : celle d’une sexualité se vivant sans secret, d’une sexualité aussi légitime que la sexualité hétéro. Mais, surtout, d’une sexualité plus simple. De ce côté-là, c’est raté. “Ce qui a été gagné ces trente dernières années, c’est la bataille de la normalisation, de la reconnaissance sociale”, abonde Gabriel Girard, sociologue de la santé à l’Inserm. Mais force est de constater que loin d’être plus simple, le cul serait même devenu presque plus compliqué.

D’abord avec l’apparition du VIH, qui a modifié en profondeur notre rapport au sexe. La crainte de tomber malade a complexifié pour longtemps la sexualité des gays. Aujourd’hui encore, le VIH charrie son lot de technicités biomédicales : généralisation de la capote, arrivée des trithérapies, du TaSP, puis de la PrEP. Autant d’acronymes et de savoir-faire dont il faut comprendre le sens pour conter fleurette l’esprit tranquille. Rien d’inné, ici tout s’apprend. Depuis 2008, on diffuse le message selon lequel une personne vivant avec le VIH, dont le traitement fonctionne bien et dont la charge virale est indétectable, ne peut plus transmettre le virus. Une chose de plus à retenir, qui ne va pas encore de soi pour tous : “La sérophobie reste élevée dans les rencontres entre hommes”, dit Gabriel Girard.

“La PrEP aussi vient complexifier les choses”, note le spécialiste des enjeux de prévention, de santé LGBTQ+, du VIH et des IST chez les gays, pour qui l’arrivée de ce traitement préventif est “un des grands bouleversements récents dans la sexualité des hommes homosexuels”. Aujourd’hui, ce médicament, bien que très utilisé, ne l’est pas encore massivement, et est essentiellement adopté par des hommes urbains et de classe moyenne. “Un tas de gens n’y ont pas accès, ne le perçoivent pas comme un outil pertinent ou craignent encore les préjugés qui y sont associés (sexualité débridée, inconscience du risque) : le slut shaming reste malheureusement fort parmi les gays”, précise-t-il.

Et le chemsex est venu rappeler que le sexe invite à se pencher sur sa santé comme sur celle des autres. Ce qui implique, là encore, de la prévention, de surveiller son corps, d’entendre la solitude de l’autre et de lui porter secours. Le sexe, qu’il soit pratiqué avec une ou plusieurs personnes, c’est compliqué parce qu’il faut communiquer. Même en bonne santé, il faut encore sonder les goûts de l’autre et, bien sûr, lui plaire. Quand on considère avoir des kilos superflus, trop d’années au compteur ou pas assez d’expérience, il devient presque plus simple de se dire que, la sexualité, finalement, c’est pour les autres. Et davantage encore quand on est en situation de handicap.

Sous le grand couvercle des luttes pour les droits des LGBTQ+ et leur accès à la santé se situent donc d’autres combats. Ceux des minorités dans la minorité, dont la sexualité est affectée par les stéréotypes et autres fétichismes dont elles doivent en permanence se départir, qu’il s’agisse des personnes racisées, trop souvent désirées pour une image qui leur échappe, ou des personnes trans, parmi lesquelles des hommes gays qui souhaiteraient qu’on cesse de regarder dans leur slip avant de s’intéresser à eux.

Là où elles pourraient faciliter les choses, les applications de rencontres ajoutent à la confusion. “La mise en scène du corps y prend beaucoup de place. Il s’agit d’un grand marché sexuel dans lequel les critères sont scrutés”, remarque Gabriel Girard. Comme le miroir déformant d’une communauté qui paraît se regarder de travers, où les propos violents frappent plus vite et plus facilement ceux qui “osent” vouloir accéder au marché des plaisirs.

Dernière venue, et la bienvenue, la question du consentement redéfinit le rapport au sexe. “Le MeeTooGay, porté notamment par les aspirations de la nouvelle génération, a percuté le milieu”, se félicite Gabriel Girard. Car de nombreuses épreuves ont tourmenté la sexualité de beaucoup d’hommes, et nul ne peut désormais ignorer que, pour qu’il y ait rapport sexuel, chaque partenaire doit en avoir envie.

Alors, pour simplifier les choses, il faut parler, et parler beaucoup, avant, pendant, après les rapports. Il faut rappeler qu’on n’est pas seulement un corps ou une couleur de peau. Il faut expliquer ce qu’est la PrEP, ce que signifie être I=I [Indétectable = Intransmissible], qu’on a le droit d’être bi, pan, gros, en situation de handicap, et d’avoir une vie sexuelle enthousiasmante. Si nous nous sommes jusque-là plutôt focalisés sur le sexe gay, les difficultés ne s’appliquent évidemment pas qu’aux hommes, mais aussi aux femmes de la communauté.


Samuel : Indétectable et intransmissible

À 39 ans, Samuel annonce encore souvent sa séropositivité aux hommes avec qui il songe à coucher. Avant qu’il soit possible de préciser son statut sérologique sur les applis, il l’indiquait par un petit “+”, ce qui lui épargnait quelques “t’es clean ?” auxquels il a encore droit. “En dehors, j’annonce aussi la couleur, confie-t-il. Les premières années de traitement, quand je rencontrais les gens, je leur montrais parfois ma boîte de médicaments pour expliquer leur fonctionnement.” Sa charge virale est indétectable. Doit-il encore annoncer son statut sérologique alors que le risque qu’il transmette le VIH est nul ? S’il ne le fait pas, Samuel craint d’avoir à subir de mauvaises expériences. “Je fais partie de la génération des années 1980, celle qui a grandi avec la peur du VIH”, précise-t-il, expliquant toujours anticiper “la peur du rejet après l’annonce”. Un mois après le début de son traitement, qui avait montré son efficacité, il avait couché avec un couple. “Le lendemain, je leur ai dit la vérité. J’avais ça sur la conscience, raconte Samuel. Ils m’ont dit : ‘À cause de toi, on va devoir prendre un traitement d’urgence.’ J’ai donc eu un dialogue pédagogique avec eux.” Sa dernière expérience du genre, c’était en 2020, aux Tuileries : “Le gars me fait une fellation. Il me dit ‘t’as rien ?’, puis ‘ça veut dire quoi séro-indétectable ?’ Il avait un peu peur.” Samuel lui explique calmement la situation : “Je te donne mon numéro de téléphone si t’as la moindre crainte.” Pour que le sexe soit plus simple, l’info à transmettre c’est : Indétectable = Intransmissible. C’est peut-être ça le petit “+”.


Vincent : Je ne suis pas ton fétiche

Dans les lieux de drague, Vincent est trop souvent ramené à sa couleur de peau, et il n’est d’ailleurs pas rare que certains le touchent sans même lui en demander la permission. “En soirée, t’as toujours une main qui touche mes cheveux, raconte-t-il. Et jamais autant de monde n’a voulu toucher ma tête que depuis que je vis en France.” Quand on lui parle de racisme et de sexualité, il mentionne très vite le compte Instagram @pracisees_vs_grindr, qui recense propos violents et micro-agressions envoyés sur l’appli de rencontres. Il montre ainsi des dizaines de captures d’écran prises au fil des ans : quelques “tu es monté combien”, et d’autres messages plus brutaux, comme “si tu es passif, tu vas dans le cocotier. Si tu es actif, je te secoue le cocotier” (nous non plus, on n’a pas compris, ndlr). Cette ambiance générale l’a rendu méfiant. Il se rappelle encore ce “plan avec un mec blanc” qui lui avait dit : “J’aime l’odeur et le goût de votre bite.” L’intéressé ne fréquente d’ailleurs que des hommes racisés. Désormais, il reste sur ses gardes afin d’éviter les mauvaises surprises, comme cette autre fois où un garçon, durant un rapport sexuel, l’a appelé “timal”, “ce qui désigne les garçons des Antilles”. Alors, quand on est dans la peau de Vincent et qu’on veut partager le lit d’un autre, il faut être attentif, jusque dans l’intimité du couple. “Mon premier mec m’a sorti un jour : ‘Tiens, c’est bizarre, tu sens pas’”, raconte-t-il. À 30 ans, il les voit maintenant venir les faux compliments, les mauvais amants, et est bien obligé d’être précautionneux s’il veut être désiré pour autre chose que sa couleur de peau et pouvoir s’abandonner avec quelqu’un.


Sébastien : L’envie et le handicap

“En tout, au cours de sa vie, Sébastien a eu une dizaine de rapports sexuels. Et pourtant ce n’est pas l’envie qui manque. C’est vrai que le handicap est un frein terrible”, énonce Pierre, 47 ans, son assistant de vie. Sébastien, 41 ans, souffre d’infirmité motrice cérébrale. Comme cela lui cause d’importants soucis d’élocution et de coordination des mouvements, Pierre reformule ce que Sébastien dit. Son dernier rapport sexuel remonte à janvier. Il s’agissait surtout de “caresses”. À cause du handicap, qui contraignait son corps et celui de son partenaire, atteint d’une myopathie, ils n’ont pas pu aller plus loin. Sébastien précise qu’il serait en mesure d’avoir des rapports “avec des hommes dont le handicap est moins lourd, ou avec des personnes valides”. La difficulté vient surtout du regard que les autres portent sur lui. Pendant une dizaine d’années, il n’a eu aucun rapport sexuel. Après quoi “il s’est rendu compte qu’à travers la rencontre il pouvait revenir à une vie sexuelle, notamment avec des hommes qui n’ont pas le tabou du handicap”, souligne l’assistant de vie. Mais ce n’est pas forcément plus facile. Sébastien a-t-il eu l’impression d’être fétichisé ? Il dit que non. Pierre, en revanche, estime qu’il l’a été. De toute manière, ce que Sébastien a en tête en ce moment, c’est la prochaine soirée, déjà organisée, avec son amant de janvier.


Sarah : Sortir du sexe hétéro

Sa première expérience avec une femme ? Un plan à trois avec son copain de l’époque. “Ça s’est transformé en plan à deux, sans lui”, lance Sarah, 29 ans. Dans la foulée, elle ajoute des filles sur Tinder et se lance : “Je ne savais pas comment me présenter, et je voyais bien que ça jetait un froid quand je disais que je n’étais pas lesbienne.” Ses premières histoires s’esquissent entre rencontres, désirs et difficultés à trouver sa place. Aujourd’hui, deux ans plus tard, elle se questionne surtout sur la difficulté à réinventer sa sexualité sans retomber dans du sexe hétéro “fainéant”. “Par exemple j’ai envie d’acheter un gode-ceinture, mais je m’interroge beaucoup sur la place à donner aux bites dans une histoire lesbienne, explique-t-elle. Au début, quand on rencontre une fille, il n’y a pas besoin de sextoys parce qu’on a trop de choses à découvrir. Et je veux que l’on garde ce truc entre meufs, rien qu’à nous, ce sexe queer avec beaucoup d’écoute et de consentement. Et puis, par moments, j’ai juste envie d’avoir les mains libres pour étreindre une fille. Il va juste falloir que j’arrive à ‘débitifier’ les sextoys”, lâche-t-elle en riant. 


Victor : Sans applications, je suis un garçon

“Salut, tu cherches quoi ?” Entre Victor et les applis, c’est un peu tendu. “Je télécharge Grindr, j’y vais, je fais un tour, je discute avec deux ou trois mecs, puis je désinstalle. Dans l’année, je dois faire ça une quinzaine de fois”, raconte-t-il. Alors pourquoi y retourner ? “Parce que j’ai envie d’avoir des rapports sexuels”, répond-il laconiquement. Et, pour y parvenir, encore faut-il subir la tyrannie numérique : “Grindr, ça dit aux autres quand t’es en ligne, et si c’est le cas on te harcèle quand tu ne réponds pas. Je trouve ça hyper angoissant. Et puis on voit qui tu as vu et qui est allé te voir.” Pourtant, depuis quelques années, Victor poursuit ses allers-­retours sur l’appli. “T’es un morceau de viande, on te chope, et puis basta… Ton cul, ta bite, et c’est fini, estime-t-il. Sur Tinder, c’est plus élégant.” D’ailleurs, il y a même rencontré un garçon, qu’il a fréquenté durant un an et demi. Cependant, même sur cette appli, les déconvenues ne sont pas rares : un jour, pour ne pas le rejoindre, un de ses matchs a prétendu que le chat de sa coloc était mort. “J’ai un côté un peu androgyne”, explique-t-il. Avec ses cheveux longs et son look excentrique, il sent qu’il ne correspond pas aux stéréotypes, parmi lesquels “un peu musclé mais pas trop”, ou encore “petit minet bien propre, bien sage”. Alors Victor est assez remonté contre les applis. “Au mieux, on m’envoie des messages pour être la salope de la soirée”, se désole-t-il, lui qui ne cherche que des rapports simples. “Finalement, je me rends compte que les applis ne me servent à rien, estime-t-il, lassé. Juste à perdre confiance en moi et à me sentir encore plus seul.”


Loïck : Toujours PrEP

“Cela te sert à quoi exactement d’être sous PrEP ? Je t’avoue je ne connais pas.” Le mec avec qui Loïck, 49 ans, flirte sur Messenger ne s’est semble-t-il jamais informé sur le traitement préventif contre le VIH. Pour consommer ensemble, encore faut-il s’accorder sur le menu. Alors Loïck doit régulièrement avoir ce genre de discussion, parfois “une ou deux fois par semaine”. Un mois auparavant, alors qu’il tchate sur Scruff : “Au début, le mec me dit qu’il préfère la capote, parce qu’il croyait que la PrEP n’était pas efficace.” Loïck a donc enregistré des liens prêts à l’emploi dans son iPhone : “Ça explique en quoi ça consiste, les modes de prise, l’efficacité…” Cette nécessité constante de pédagogie face à la méconnaissance de la PrEP ou aux doutes sur son efficacité a de quoi mettre un frein à sa sexualité : “J’essaie d’avoir un discours bienveillant, sans juger, de façon à expliquer simplement les choses, comme j’aurais voulu les entendre au début de mon traitement.” En novembre 2020, il a même dû avoir cette conversation avec son mari ! Après 15 ans de mariage et cinq ans de PrEP, Loïck a dû le convaincre qu’il ne prenait pas de risques avec les autres hommes qu’il fréquente. “Sans capote ? T’es sûr que ça marche ?” lui a alors demandé son époux. Jusque-là, ils n’avaient pas discuté de la façon dont Loïck se protège en dehors de la maison, son mari préférant ne pas trop en savoir sur ses aventures. Mais ça, c’est un autre problème.

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Stéphane : Plongée chimique

Le sexe est fait d’une chimie complexe dont on cherche encore à percer les mystères. Et l’on peut être tentés d’y ajouter quelques ingrédients pour en trouver la composition idéale. “Au tout début, c’était du GHB et du GBL”, raconte Stéphane*, 32 ans. Puis c’est à son insu qu’il prend de la Tina, de la méthamphétamine. Il se retrouve “limite un peu inconscient”, et subit un viol. “À cette époque, en 2018, j’étais en dépression. J’ai été addict très vite”, raconte-t-il. Puis il essaie la 3MMC avec un pote, durant un rapport sexuel : “C’était génial. On était dans le même état d’extase.” Plus qu’un plaisir physique, “tout se joue dans le mental”, décrit-il. Il remet ça “une fois par mois, puis une fois par semaine, puis chaque week-end”.Le sexe était devenu un prétexte pour trouver de la drogue. Le sexe sans chimie me paraissait fade”, confie-t-il. Il devient slameur (prendre des drogues par injection). “J’étais constamment sur Grindr pour trouver plusieurs mecs avec qui assouvir des fantasmes.” Aujourd’hui, ça fait plus d’un an qu’il n’a plus pris de drogue. “Certes ma vie sexuelle est plus calme, admet-il, mais j’ai retrouvé un plaisir différent en ne prenant plus de drogues.”

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Loïc : Big Bertha

Je suis un bon gros gabarit, dit tout de go Loïc, 35 ans. Le gros, c’est toujours l’ami, le copain, le nounours, celui qui est gentil, qui est adorable.” Des qualités que trop de garçons n’associent pas à la sensualité. “Il y a des mecs qui, au moment de l’acte, te disent : ‘En fait, non, je peux pas’, raconte-t-il. Ils n’arrivent pas à gérer ce volume, ils n’arrivent pas à gérer ce corps et, finalement, ils n’ont pas d’excitation sexuelle.” Dans l’intimité, il doit se débattre pour ne pas être cantonné à des rôles auxquels il refuse de se soumettre. Il fut un temps où ses dimensions l’enfermaient dans un rôle d’actif. “Maintenant, ça me fait chier, parce que je ne me limite pas à être actif ou passif. Donc je l’exprime très directement, j’annonce la couleur, ajoute-t-il. Ça me ferme des portes, mais je m’en fous, je passe à autre chose.” Pour qu’on puisse apprécier davantage les corps comme le sien, il considère que les gros devraient avoir plus de visibilité : “C’est la raison pour laquelle je fais du burlesque.” Drag-queen de profession, Loïc pratique l’effeuillage et se dévoile sur scène sous le nom de Big Bertha. Ce qui préjugerait encore, selon certains, de son attitude au lit. “T’as des mecs qui disent : ‘C’est pas du tout mon truc.’ Parce qu’une drag-queen, forcément, ça sort toute la nuit, ça boit, ça se drogue et ça baise dans tous les sens.” Pour d’autres, il devient un fantasme à disposition : “Des gars deviennent dingues et me disent : ‘Je débarque chez toi, tu mets une perruque, et on baise.’” Ce quil refuse catégoriquement, car “Bertha est un personnage sexué. Mais pas sexuel.”


Julien : À quand le consentement ?

Julien* n’est plus d’humeur sensuelle. Entre les confinements et son travail, et surtout certains des épisodes de sa vie qui ont ressurgi, le jeune homme dit s’être posé beaucoup de questions sur sa sexualité. “Je n’ai quasiment pas eu de rapports sexuels pendant un an. Ce n’est d’ailleurs pas un truc léger d’en avoir. Je pense que MeTooGay a joué un rôle, même si ce n’est pas le seul facteur, confie-t-il. J’ai été abusé par mon premier mec. Un soir, il m’a forcé. J’avais 18 ans. J’ai dit plusieurs fois non, mais il continuait”, raconte-t-il. Le terme d’abus, il ne l’a posé que récemment, après y avoir repensé : “Il avait la quarantaine. J’étais jeune, je lui faisais confiance.” Plus tard, c’est un ami qui outrepasse son consentement : “On rentrait de soirée, on avait pas mal bu, il était excité. J’étais en week-end chez lui, à Paris. Je n’ai pas eu le choix, sinon j’allais me retrouver à la rue.” Malgré le refus de Julien, son ami lui oppose : “Toi aussi t’as envie, je sais que t’as envie.” Puis, la troisième fois, il est agressé par un amant régulier. Aujourd’hui, son rapport aux hommes est compliqué. Réaliser qu’il a été victime d’abus a mis à mal sa santé mentale. Tout sauf un détail pour être épanoui sexuellement.


Raphaël : Pédagogie trans

Souvent, je cherche juste des plans ou des mecs avec qui ça puisse bien se passer, parce que je n’ai pas envie que ça tourne autour de ma transition”, raconte Raphaël, 33 ans, qui considère avoir assez fait de pédagogie comme ça et en a assez que les préliminaires relèvent toujours du cours d’anatomie. “Quand, à partir de deux ou trois questions, ça tourne seulement autour de ma transition, je me casse. C’est pas ce que je cherche.” Aucun problème par contre pour aborder l’aspect pratique : “À partir du moment où je dis que j’ai un vagin, si la question c’est ‘est-ce que je m’en sers ou pas ?’, c’est OK pour moi d’y répondre.” Passé ce stade, il voudrait que sa sexualité ne tourne plus autour des questions ou des attentes de ses amants sur ce qu’il a dans le pantalon. “En général, je ne drague pas dans la vraie vie, note-t-il. Clairement à cause de ça. J’ai la flemme. Je me dis : ‘Il va falloir lui expliquer, il va probablement se casser’… Et à la fois peut-être pas, mais je ne me sens pas de gérer un rejet.” Il y a ceux qui ne comprennent pas, et ceux qui ne veulent pas comprendre. “Une fois, un mec avec qui je faisais un plan a commencé à me dire : ‘Ça fait longtemps que j’ai pas baisé avec une meuf.’ Je lui ai dit que je n’étais pas une meuf, et il m’a répondu : ‘Oui, enfin bon…’” Le sexe représente même un danger pour Raphaël : “Sur Grindr, des gens ont déjà cherché à me rencontrer dans le but de m’agresser.” Quand les mecs sont ouverts, Raphaël aime les accompagner au sauna. “Si je veux juste sucer, est-ce que c’est vraiment nécessaire que je dise que je suis trans ?” se demande-t-il. Là où c’est compliqué, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance sur quel type on va tomber.


Jan : Avec le temps va…

Si on se souvient bien souvent de sa première fois, il n’en va pas toujours de même pour la dernière. Jan soupire et lève les yeux au ciel. À 76 ans, ça ne lui revient pas. C’était peut-être il y a une dizaine d’années ou quelque chose comme ça, avec son dernier copain. Les années ont simplement passé, sans un baiser. “Le désir ne baisse pas en proportion de la séduction”, regrette-t-il. Jan n’aime plus son corps ni les corps de son âge. Sur Grindr ou Hornet, il se trouve trop vieux. Il a essayé “un site pour vieux”, mais ce n’est pas son truc. “Si on m’avait dit qu’à 76 ans je banderais encore…” proteste-t-il presque. Il a toujours une sexualité, mais solitaire – “je me console comme je peux, à la main” –, qu’il voudrait bien partager avec d’autres, seulement : “J’ai tendance à renoncer avant d’avoir essayé. Parce que j’ai peur qu’on me refuse”, reconnaît-il. Se pensant trop âgé pour plaire, il n’ose plus draguer, ne veut pas être ce vieux courant après des hommes bien trop jeunes pour lui. “Je suis devenu transparent pour eux, déplore Jan. Même si je parais bien plus jeune que mon âge. On ne peut pas vivre les mêmes choses à tous les âges de sa vie.” Mais, en raison des interdits induits par la pandémie de Covid-19, il nous confie : “Je commence à me dire que, le jour où les choses vont redevenir possibles, je tenterai peut-être ma chance.” L’interdit lui aurait-il permis de dépasser ses craintes ?

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*Les prénoms ont été modifiés

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