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témoignagesVivre trans en Côte d'Ivoire : "Je dois me cacher derrière une identité d'homme cis pour survivre"

Par Elodie Hervé le 14/03/2022
Vivre trans en Côte d'Ivoire : "Je dois me cacher derrière une identité d'homme cis pour survivre"

Pour exister en tant que femme trans en Côte d'Ivoire, Louna a dû fuir sa famille et se réfugier à Abidjan, plus grande ville du pays. Elle a fini par y trouver auprès des travailleuses du sexe une écoute et une sororité qui lui permettent simplement de vivre en attendant, comme de nombreuses personnes LGBT en Afrique de l'Ouest, de pouvoir le faire au grand jour.

Sur son téléphone, les images de violences défilent. Des photos et des vidéos qu’elle tient à conserver comme pour prouver que tout cela est bien réel. "Parfois ça me surprend moi-même que je sois encore en vie", souffle Louna. Femme trans de 41 ans originaire de Yamoussoukro, la capitale de la Côte d’Ivoire (Afrique de l'Ouest), elle s’est installée en 2022 dans un quartier populaire du nord d’Abidjan, la capitale économique du pays. "Avant, je vivais chez mon grand frère. Mais quand il a découvert que je n’étais pas un homme, il a prévenu toute la famille. Le lendemain, ils étaient tous là et m’ont accusé de vouloir les détruire et de leur faire honte."

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Exister comme femme trans

À l’abri des regards, dans l’intimité d’une maison, Louna va être rouée de coups, subir du chantage affectif et une séquestration pendant plusieurs jours. Ses papiers d’identité et ses vêtements vont être détruits. "Je ne pensais pas que j’arriverais à sortir vivante de cette tempête." Par chance, un moment d’inattention d’un membre de sa famille va lui permettre de prendre la fuite discrètement. Son œil gonfle, son nez saigne, ses jambes peinent à la porter. À l’angle de la rue, elle s’effondre. Une de ses amies l'aperçoit et lui vient en aide. C’est elle qui va lui permettre de panser ses plaies, de reprendre des forces et de fuir la ville.

"En-dehors du trottoir, je n’existe pas comme femme."

Depuis, Louna vit du travail du sexe à Abidjan. "Ici, tu peux t’exprimer un peu, exister un peu, mais sans faire trop de bruit tout de même. C’est étrange ce que je vais dire mais bon, c’est grâce au travail du sexe que je peux exister, que je peux m’habiller comme je veux et être une femme trans. Moins de personnes me jugent quand je suis sur mon lieu de travail. Par contre, en-dehors du trottoir, je n’existe pas comme femme. Je dois me cacher derrière une identité d’homme cis pour survivre."

En Côte d’Ivoire, être LGBTQI+ n’est pas pénalement répréhensible. En revanche, la stigmatisation reste très forte. En novembre dernier, les députés de la Commission des affaires générales et institutionnelles revenaient sur le terme "discriminations" dans le code pénal. Une occasion inespérée pour redéfinir les termes et mettre en place de nouvelles sanctions. Le Parlement propose alors d’inclure la notion d'"orientation sexuelle" avant de la retirer à cause d’une opposition digne du côté le plus rance de la Manif pour tous.

Violences anti-LGBT

"Sortir de chez moi, me balader, faire mes courses… Tout est compliqué ici", reprend Louna. Son regard se perd au loin. "Je ne sais même plus combien de mes amies sont mortes parce qu’elles étaient des femmes trans." Dans sa poche intérieure, elle garde une liste de leurs prénoms pour ne pas oublier Sisi, Laeticia et toutes les autres. Des femmes trans tuées par des clients, par un membre de leur famille ou encore par "des personnes qui cherchaient un trophée".

Sur l'une des vidéos que Louna fait défiler sur son téléphone, une femme trans est rouée de coups et déshabillée. Cette humiliation publique sera ensuite partagée sur les réseaux sociaux. "On l'a reconnue mais on a rien pu faire pour dénoncer ces actes. Ici tout le monde se moque de ce type de violences." Alors elles ont fait une cagnotte pour payer ses frais de santé et l’aider à trouver un peu de sérénité. 

"Les personnes transgenres sont tout particulièrement exposées aux crimes de haine et aux incidents motivés par la haine."

Pour tenter de quantifier ces violences transphobes, l’ONG Transgenres et droit a publié un rapport en 2019 sur la "situation socio-politique de la communauté transgenre ivoirienne". Il en ressort que l’absence de droits et de reconnaissance des existences des personnes trans favorise évidemment l’impunité. "Les personnes transgenres sont tout particulièrement exposées aux crimes de haine et aux incidents motivés par la haine", écrit l’ONG. D’autant plus "qu'en 2019, la Côte d’Ivoire a rejeté les recommandations issues de l’Examen périodique universel, visant à renforcer la protection des personnes LGBTQI, ajoute une ONG suisse d’aide aux réfugiés. De manière générale, les autorités font preuve de peu d’empressement et d’efficacité lorsqu’elles doivent répondre à des incidents de violence visant la communauté LGBTQI."

Automédication et invisibilité

Autre difficulté, témoigne Louna, l’accès aux hormones : "On est beaucoup dans l’automédication parce qu’on a pas accès aux hormones". Une fois la transition commencée, "il est difficile pour [les personnes trans] de continuer de vivre dans leur quartier (…) et il devenait nécessaire pour elles de changer du tout au tout de lieu d’habitation et d’entourage pour s’intégrer plus facilement à la société et cela encore de manière discrète au risque de faire savoir leur transidentité", explique l’ONG Transgenres et droit. 

Cette invisibilisation tend à marginaliser et à précariser les personnes trans qui vivent en Côte d’Ivoire. L’accès au marché du travail reste compliqué. Il en est de même pour l’accès aux soins. Des cliniques gratuites, tenues par des associations, dont Espace Confiance, tentent d’apporter une solution pour le côté médical et prévention. Une courte pause qui permet de souffler un instant, avant de retourner dans les difficultés quotidiennes. 

"Quand on a un peu d’argent, on prend un peu de temps, on met nos plus belles tenues et on part faire la fête loin de tout."

"Nous n'avons aucun lieu à nous pour nous retrouver, parler et être entre nous, femmes trans, déplore Louna, amère. Même dans les associations de santé communautaires ou dans les boîtes gays, il n’est pas rare que l’on soit mégenrée." Louna marque une pause, se perd un instant et reprend son récit. "Heureusement que mes copines TDS sont là, elles sont ma bulle d’oxygène. Quand on a un peu d’argent, on prend un peu de temps, on met nos plus belles tenues et on part faire la fête loin de tout, dans une maison ou une chambre d'hôtel, comme ça personne ne nous voit et on peut être nous-mêmes."

En attendant la prochaine soirée, Louna passe ses journées dans la crainte de disparaître et ses nuits à redouter de tomber sur un client violent. Comme cette fois où elle s’est retrouvée avec un pistolet sur la tempe. Elle lève les yeux de son téléphone et lance : "C’est trop dur de vivre comme ça. Je ne pourrai jamais être heureuse ici, il faut que je parte."

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Crédit photo : Carmen Abd Ali