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transidentitésYanis : "C’est épuisant de passer son temps à éduquer les gens"

Superstar des années Myspace, artiste out dans la France pré-mariage pour tous, Yanis a pris son temps avant de livrer "Solo", un nouvel EP pop et personnel. Elle revient pour têtu· sur son parcours artistique et sa transition. Article à lire dans le numéro 230 de têtu·, disponible en kiosque Yanis nous reçoit dans son…

Superstar des années Myspace, artiste out dans la France pré-mariage pour tous, Yanis a pris son temps avant de livrer "Solo", un nouvel EP pop et personnel. Elle revient pour têtu· sur son parcours artistique et sa transition.

Article à lire dans le numéro 230 de têtu·, disponible en kiosque

Yanis nous reçoit dans son petit studio parisien, épuré mais cosy, où trône, sous un imposant néon rouge, le clavier sur lequel iel compose sa musique. Autour d’une ginger beer, on se remémore son arrivée fracassante sur MySpace, en 2009. Sliimy, le personnage qu’iel incarne durant la première partie de sa carrière, s’apprête alors à secouer la pop française. En 2015, l’artiste passe à un registre plus électro, utilise son vrai prénom pour signer ses morceaux, puis revient en 2021 avec un nouveau pronom, iel, et un coming out trans et non-binaire sur Mediapart qui lui vaut d’être nommé·e aux Out d’or 2021. Aujourd’hui, Yanis n’arrive pas non plus les mains vides : dans son sac à main, un nouvel EP, Solo – tiré du single éponyme –, paru début 2022. 

On a attendu sept ans entre Paint your face et L’Heure bleue, puis encore six ans pour Solo…

Le temps, dans mon processus de création, c’est quelque chose de particulier. Je ne peux pas me forcer à me projeter. Et puis, en tant qu’artistes queers, on est aussi moins accompagné·es, on ne passe pas par les mêmes étapes, donc ça avance lentement. Mais je trouve beau, aussi, de prendre ce temps pour se trouver, se retrouver, puis transformer tout ça.

Yanis : "C’est épuisant de passer son temps à éduquer les gens"

Et faire son retour durant une pandémie mondiale, quelle entrée !

J’attendais le chaos pour revenir : mother is back ! En vrai, les premiers mois de la pandémie ont été très difficiles. J’étais perdu·e. Comme je mixe en club, je me demandais ce qui allait survivre. Pendant le confinement, c’est aussi cette urgence qui m’a donné envie de ressortir de la musique, pour retrouver du fun. C’était une énergie assez similaire à celle de l’ère Sliimy d’ailleurs, à composer seul·e dans ma chambre.

Il est loin le temps où tu faisais la première partie de Britney Spears et de Katy Perry…

Eh oui, c’était en 2009-2010. I’m getting old!

Vous êtes resté·es en contact ?

Si c’était le cas, je l’aurais libérée avant !

Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?

Je suis fièr·e de ce que j’ai construit plus jeune, sans comprendre vraiment ce qui s’est passé. Je viens de Saint-Étienne, personne dans ma famille ne fait de musique… On ne m’a pas ouvert de portes, je les ai enfoncées grâce à internet, depuis mon 15 m2 recouvert de posters de Britney. Et d’un coup j’ai basculé vers un autre monde, excitant et triste, celui du star system. C’était absurde ! Aujourd’hui, j’aime beaucoup contempler le grand écart entre mon ancien gros label et celui que j’ai créé, indépendant.

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Tu as fait quoi ces dernières années ?

J’ai pas mal mixé, j’ai fréquenté la scène alternative, notamment berlinoise, et c’était très inspirant, parce que j’ai pu y lâcher des émotions, me libérer… notamment après Sliimy. Même si j’ai mélangé ça avec des choses moins dansantes, on retrouve beaucoup de cette inspiration club dans Solo. Le club est l’un des rares endroits où l’on peut se sentir à ce point libre et safe. C’est peut-être pour ça que la culture queer y est si riche !

Toutes tes publications Instagram avant Solo ont été archivées. Pourquoi ce gros ménage ?

À chaque projet, je repars de zéro. J’aime avoir une page blanche devant moi. Et puis, cette fois, il y a aussi la question de la transition. Avec “Solo”, et l’EP, il s’agit de reprendre le pouvoir sur mon travail et sur ma propre narration.

Tu en avais été dépossédé·e ?

Oui. Je m’en suis rendu compte avec le recul. J’ai fait mon coming out gay à 19 ans, en 2009. Sur les plateaux télé, je me sentais très seul·e, et incompris·e. J’étais juste moi, sans calcul. Puis on m’a demandé que Sliimy soit moins “efféminé”. J’étais désemparé·e. Je ne m’attendais pas à retrouver les mécanismes de cour de récré dans le milieu de la musique. Maintenant, ça va mieux, nous sommes plus d’artistes ouvertement queers en France. Mais c’est épuisant de passer son temps à éduquer les gens. Les artistes cishétéros de la variété française n’ont pas à s’expliquer sur leur vie privée ou à justifier les sujets qu’ils abordent.

Comment ont réagi tes fans lors de ton second coming out ?

J’ai eu de très beaux retours, mais je n’étais pas en attente de ça. Ce second coming out était à la fois hyper intime et évident. Je m’en moque que Solo marche ou non sur le plan commercial. Je l’ai fait parce que j’en avais besoin psychologiquement. Me détacher de la violence de mon père m’a permis de faire ma transition. “Solo” est ma chanson la plus personnelle à ce sujet, une étape qui me permet de passer à autre chose. Maintenant, le fun peut commencer !

Et tes proches ?

J’ai eu beaucoup de réactions différentes. Du soutien et des encouragements, mais aussi beaucoup d’interrogations et de reproches, de personnes qui me demandaient de tout expliquer de A à Z sans pour autant me laisser parler ni me demander comment j’allais. Je me suis entendu dire que ma non-binarité était une lubie, une esthétique, un caprice…

Comment ça s’est manifesté ?

Par exemple, un ami gay de longue date m’a offert un livre sur les transidentités, Une histoire de genres, de la militante trans Lexie, mais dans le même souffle il m’a demandé si j’allais avoir de très gros seins, ou encore si ma transition changeait mon rapport à mon sexe quand je me masturbe. Ce manque d’éducation m’a choqué·e. Le pire, c’est que la plupart des gens ne voient rien de problématique dans ces propos, alors que ce sont littéralement des agressions. Les milieux gays ont encore beaucoup de choses à régler.

Yanis : "C’est épuisant de passer son temps à éduquer les gens"

Tu avais déjà été victime de follophobie avant ta transition ?

Entre ça, qui est une forme de misogynie, et le racisme, j’ai été beaucoup maltraité·e dans le milieu gay ; même au lit, à poil, je me suis pris des remarques. Et je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait insulter, ou taxer de “beurette” en soirées. Je ne comprends pas pourquoi on se fait ça entre nous.

Ça a affecté ton cercle amical ?

J’ai perdu pas mal d’ami·es que je m’étais fait·es en arrivant à Paris, mais j’en ai rencontré tellement d’autres, trans et non-binaires. Avec mes adelphes, je n’ai pas la sensation d’être ce gros point d’interrogation –  ce qui est si déshumanisant –, et ça m’a énormément aidé·e.

Penses-tu qu’un coming out de femme trans aurait été mieux compris qu’un coming out de personne trans non-binaire ?

Aujourd’hui, je n’ai plus peur qu’on ne me comprenne pas. Je suis fièr·e de dire que je suis trans et non-binaire. Et je me laisse l’espace, la possibilité, de changer encore. Qui sait, dans cinq ans, mes pronoms et mon nom auront peut-être bougé. Ma transition m’appartient, et c’est ce qui est beau : on a chacun·e notre parcours, et il y a autant de personnes trans que de transitions !

Tu es récemment intervenu·e dans un collège pour parler des stéréotypes de genre et des LGBTphobies, comment ça s’est passé ?

J’étais au bord de la crise d’angoisse, car, de la primaire au lycée, je ne suis jamais allé·e à l’école sans la boule au ventre. Encore aujourd’hui, à 33 ans, il m’arrive parfois de flipper devant des groupes d’ados dans la rue. Ça montre à quel point le traumatisme perdure… Mais cette intervention était super, les élèves ont posé des questions intéressantes, ont écouté sans couper la parole. Et puis, pouvoir écrire le pronom “iel” sur un tableau de classe, c’était incroyable !

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Tu préfères “iel”, mais tu utilises aussi “elle”…

Les cis choisissent toujours “elle”. Ils galèrent encore avec “iel”, même si ça fait un moment qu’on en entend parler. Après, je sais qu'en français l'expression du neutre n’est pas toujours évidente, et nécessite une certaine gymnastique. Plus globalement, je me sens étouffé·e dans la langue française, hyper genrée… Au début, me genrer au féminin a été étrange. Mais maintenant je suis choqué·e quand je reçois du masculin !

“Solo” est aussi ta première chanson en français…

Avant ma transition, j’avais peur de tellement de choses, et je me sentais écrasé·e par le français, d’où cette évasion vers l’anglais, qui permet le neutre. C’est ce qui, plus jeune, m’a sauvé·e, et de cette période je garde notamment le franglais.

C’est une transition de plus ?

Mais oui, que de transitions j’aurai faites cette année ! Le français ne me fait plus peur, et “Solo” est une chanson très brute. C’est une lettre que j’ai écrite à mon père en revenant du mariage de ma sœur, à Saint-Étienne. Tout est sorti d’un coup.

Ce nouvel EP est rempli de premières fois, dont ton premier featuring avec la rappeuse Lalla Rami, “SMTH” !

Je l’ai rencontrée grâce à Ixpé – des Disques du lobby –, que j’adore, et qui fait beaucoup pour les artistes queers. Lalla et moi, on s’est tout de suite adoré·es, on a pleuré, on s’est donné de la force, et l’on s’est dit qu’on devait faire de la musique ensemble, car nous sommes sœurs. N’oubliez pas d’aller écouter son projet perso et son titre “INCHALLAH” ! “SMTH” célèbre nos corps et nos sexualités. On nous a tellement fait croire qu’on ne pouvait pas plaire… Mais c’est faux. Désormais, on ne s’excuse plus, on se célèbre, et on se répète tout ça comme un mantra. Peut-être que, demain, on se sentira moins bien, mais au moins on aura partagé ça avec nos sœurs, nos frères et nos adelphes !

Le nom de ton label, Mauvais Genre, était assez prémonitoire, finalement…

Je l’ai créé en 2015, car on ne savait jamais dans quel genre placer ma musique. En France, il faudrait se cantonner à faire une seule chose à la fois. Mais moi j’aime autant la pop que la musique alternative, et ce n’est pas incompatible, au contraire. C’est une force. Mais finalement Mauvais Genre ça marche aussi avec ma non-binarité, et cet écho me plaît !

Que penses-tu de la nouvelle scène musicale LGBTQI+ ?

C’est génial, il y a tellement d’artistes incroyables qui ont émergé ces dernières années ! Mais il y en a encore plein d’autres à venir. Il reste beaucoup de portes à défoncer.

Par Olga Volfson le 31/03/2022