Ce 26 avril 2022, on fête la journée mondiale de la visibilité lesbienne. L'occasion de (re)découvrir Alice Austen, photographe à la fin du XIXe siècle, pionnière de la visibilité lesbienne. Portrait.
Quand on pense photographie lesbienne, on pense immédiatement à Joan E. Biren ou encore Donna Gottschalk, qui ont marqué les années 70. Pourtant, bien avant elles, des femmes s'étaient emparées de l'outil photographique pour visibiliser leurs vécus lesbiens. Au premier rang desquelles, Alice Austen.
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Alice Austen, libre et fidèle
De la photographe née le 17 mars 1866 à New York, il reste plus de 8.000 clichés de la vie privée ou publique, documentant 40 ans de vie lesbienne. À 18 ans, la jeune Alice est déjà une photographe expérimentée. Elle a installé une chambre noire dans le grenier de la maison familiale et vit, quotidiennement, en femme libre. Elle aura notamment été la première femme de Staten Island à conduire une voiture et apprendra à plusieurs autres figures féminine à faire du vélo.
Alice Austen ne s’est jamais mariée, n’a jamais eu d’enfants, et a passé sa vie à explorer ses passions (la photographie, le jardinage, le sport, les voyages). Un privilège permis par la richesse de sa famille – richesse qui n'a toutefois pas résisté au krach boursier de 1929. En 1899, elle rencontre Gertrude Tate, une institutrice, qui sera l’amour de sa vie. Quelque 53 ans de vie commune, et presque autant pour Alice à apporter, chaque matin, le petit déjeuner au lit pour Gertrude. Malgré l’enfermement de leur société et les difficultés de la vie, les deux femmes ne se sépareront jamais, même quand Alice Austen, jugée indigente, sera admise à la New York City Farm Colony.
Photojournaliste humaniste
Si Alice Austen est connue dans le milieu de la photographie pour avoir été une précurseure du photojournalisme et des photos de rue, elle a surtout été l'une des premières à prendre en photo les homosexuels et les travestis de New-York, posant les jalons de la photographie humaniste. Elle a surtout documenté sa propre intimité, posant à la fois les bases de la photographie autobiographique, mais aussi lesbienne.
"À mes yeux, Alice Austen est notre Sappho de la photo", raconte Mylène Comte, qui photographie de nos jours la diversité de la communauté lesbienne actuelle à travers son projet "The Lesbianist", afin de "continuer de rendre l’invisible visible". "Cent après, explique l'artiste à têtu·, j'ai la sensation que l'on poursuit le même combat qu'Alice Austen."
Car le travail d'Austen est comme une boîte à secrets, une intimité restée longtemps protégée par les murs de sa maison de famille. Le secret comme seule garantie de pouvoir continuer son travail, qui inspire aujourd'hui les artistes lesbiennes comme Mylène Comte. Austen photographie évidemment Gertrude, mais aussi ses amies lesbiennes qu’elle libère et qu’elle émancipe, comme dans "The Darned club", l'un de ses clichés les plus célèbres.
Une photo culte pour Mylène Comte, qui trouve incroyable "de voir ces quatre femmes s’étreindre à l’extérieur, à la vue de tous, droites et fières, faisant face à une époque qui les auraient dénigrées si elles avaient été aperçues ainsi. Grâce à ses photos, nous pouvons voir des lesbiennes de l'âge victorien, elle les a fait exister". Rendues visibles, en somme, bien avant l'ère de la visibilité.
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