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cinémaQueer Cannes, épisode 3 : rencontre avec Yann Gonzalez et Oliver Sim

Par Franck Finance-Madureira le 25/05/2022
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Notre chroniqueur cinéma et fondateur de la Queer Palm, Franck Finance-Madureira, nous raconte de l'intérieur le Festival de Cannes.

Belle surprise que le film turc Burning Days (Kurak Günler en VO, présenté à Un Certain regard) qui, via le prisme d’un village pétri de mystères sur fond de crise de l’eau, attaque en creux les grands maux d’un pays en proie à la corruption, aux jeux de pouvoir et à l’omerta (entre autres fléaux).

En emboîtant le pas d’un jeune procureur fraîchement débarqué, le réalisateur Emin Alper construit une espèce de polar noir et rural impressionnant au climat extrêmement angoissant. Jouant du trouble qui unira le procureur et le patron du journal local, le cinéaste turc évoque aussi avec beaucoup d’intelligence l’homophobie qui gangrène le pays. Ce film puissant distille quelques éléments fantastiques (la formation soudaine et inexpliquée de cratères géants) qui nourrissent une mise en scène grandiose qui sert admirablement son rythme particulier.

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Le fantastique est aussi au cœur de l’intrigue du deuxième film de Léa Mysius (Quinzaine des réalisateurs) qui construit avec Les Cinq diables un univers extrêmement fort, théâtre de phénomènes surnaturels qui rappellent à la fois Petite Maman, de Céline Sciamma, et la matrice Retour vers le futur. Une petite fille, apprentie sorcière, va découvrir l'histoire d'amour tragique qui a uni sa mère (Adèle Exarchopoulos, magistrale) et sa tante (la découverte Swala Emati). La réalisatrice, découverte avec Ava à la Semaine de la critique en 2017, prouve sa singularité avec ce récit à la lisière du genre qui fait la part belle à une atmosphère inquiétante et fascinante. À découvrir en salles fin août. 

>> La rencontre du jour

Yann Gonzalez et Oliver Sim (The xx) pour le court-métrage Hideous (Semaine de la critique)

Réinventant l’idée même de clip, le prodige Yann Gonzalez et le chanteur Oliver Sim, voix du trio The xx, unissent leur talent pour un trip d’une beauté foudroyante en forme d’ode à l’acceptation de soi. Interview croisée.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Yann Gonzalez : C’est Oliver qui m’a écrit il y a plus de deux ans, en pleine pandémie, pendant le premier confinement. J’étais dans les montagnes mexicaines avec une de mes meilleures amies et j‘ai reçu un mail d’Oliver Sim. J’étais comme un fou parce que The xx, c’est un groupe hyper important, de manière très sentimentale. Quand j’ai rencontré un des hommes de ma vie, c’était sur MySpace et parmi les musiques qu’on échangeait, il y avait celles de leur premier album. Avec Oliver, on a commencé à correspondre, à échanger des références musicales, littéraires, cinéphiles dont beaucoup de films d’horreur.

Oliver, quel était votre objectif quand vous avez contacté Yann ? 

Oliver Sim : Je ne vais pas parler du Covid pendant trop longtemps, parce que j’en ai marre d’en parler, mais pendant le confinement et quand les choses n’allaient pas très bien, j’ai pris conscience que je devais prendre contact avec des personnes inspirantes. Être dans un groupe – je suis dans un groupe avec mes deux meilleurs amis – c’est très confortable, c’est une situation qui me donne de la sécurité. Donc je me suis dit que je devais faire un effort pour me faire de nouveaux amis et dire aux artistes que j’admirais que je les aimais. Et puis je voulais aussi développer plus de contacts avec des personnes queers et surtout des hommes gays parce que je n’ai jamais été autant nourri dans ma vie qu’à travers ces rencontres. Et donc j’ai contacté Yann, et en même temps j’ai contacté Jimmy Somerville à qui j'ai dit "Salut Jimmy, je suis un grand fan…", et il est devenu un très bon ami, comme Yann. Au fond de moi, je voulais aussi collaborer avec Yann mais mon intention initiale était de découvrir son esprit et d’en faire mon ami. 

En quoi Yann est-il inspirant pour vous ? 

O.S. : J’aime ce que Yann fait. J’aime beaucoup me connecter à la fantaisie dans les arts, qui m’enthousiasmait beaucoup quand j’étais adolescent. Ce que fait Yann est tellement parlant et tellement sincère, mais c’est aussi tellement contrarié, tellement fantastique, c’est divertissant et plein d’humour. Ça c’est mon truc préféré, et c’est ce que j’essaie de faire dans la musique. J’ai fait des albums personnels et j’ai partagé beaucoup de moi mais je voulais être humain, aventureux, théâtral. C’est qui je suis et ce que j’aime. Yann a un grand cœur, une imagination sauvage, une imagination perverse – je voulais ça. 

Comment avez-vous construit ce court-métrage ? 

O.S. : On a passé beaucoup de temps à apprendre à se connaître, donc le travail de terrain était déjà fait. Nous savions que nous avions énormément de similitudes, nous savions que nous nous battions contre les gens en tant qu’introvertis mais que nous aimions vraiment les gens. Nous savions que nous apportions des choses similaires. Pour écrire le scénario, je pense que Yann voulait se sentir en sécurité, comme moi. 

Y.G. : Rétrospectivement, je le vois vraiment comme l’écriture d’une comédie musicale sur laquelle j’avais déjà les paroles, les thèmes, donc le travail était vraiment facilité. J’avais le cœur du film, en fait, parce que les chansons y sont une matière narrative cruciale. J’ai l’impression d’avoir imaginé plus des extensions des chansons, d'avoir rajouté des pièces au puzzle, pour faire une espèce de patchwork de fou dont les chansons seraient le cœur. La chance que j’avais, c’est que je suis tombé immédiatement amoureux des chansons : elles ont un impact émotionnel hyper fort pour moi et le pari, c’était de traduire en images les émotions provoquées en moi par les chansons.

Donc j’ai écouté les chansons en boucle, des centaines de fois chacune, pour aller chercher leur âme et essayer d’en extraire l’imaginaire, puis de le pervertir un petit peu en le mettant à ma sauce tout en restant fidèle aux obsessions et aux thématiques d’Oliver. Notamment celle qui était vraiment importante, celle qui était vraiment un statement dans le film, c’est le moment où il parle de sa séropositivité. Il fallait que je sois à la hauteur de ça. C’était très très fort parce qu’on ne pouvait pas tricher avec ça et en même temps, je ne voulais pas que ce soit trop tragique non plus. Donc pour moi c’était important d’apporter de l’humour, du grotesque, ça rend ce moment encore plus émouvant, plus bouleversant. C'est une conclusion presque douce, étrangement. Je voulais vraiment qu’il y ait cette douceur dans cette manière de parler de la séropositivité.

Si vous deviez résumer le film en une phrase ? 

Y.G. : Pour moi, c’est un portrait hyper sentimental et ultra coloré d’Oliver. 

O.S. : Oulah, c’est dur. Je pense que c’est un fantastique voyage à travers la honte et la peur. Et c’est une célébration, ce n’est pas un apitoiement. 

Comment pourra-t-on voir le film ? 

Y.G. : Il est déjà sélectionné dans pas mal de festivals, notamment Outfest à Los Angeles, un des plus gros festivals queers de cinéma. Donc on espère qu’il va faire autant de festivals que possible parce qu’il trouve vraiment sa raison d’être sur grand écran. C’est là qu’il prend toute sa force. C’est un projet global de court-métrage mais aussi trois clips distincts. Donc il y a un premier clip qui est sorti le mois dernier et aujourd’hui sort le deuxième clip, "Hideous". Et il va y avoir une version intégrale, celle qui vient de passer à Cannes, qui va être diffusée en exclusivité sur MUBI pendant deux mois, et après je pense qu’elle sortira sur YouTube. 

O.S. : Je vais faire une tournée et je vais utiliser des morceaux du film pour recréer l’univers que Yann et moi avons créé. Peut-être en mobilisant une partie du casting, en créant des personnages queers évoquant l’amour et la perte. J’espère que je viendrai en juin à Paris.

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Crédit photo : Clément Guinamard