Avec Le Premier Sexe, le comédien et auteur Mickaël Délis livre un seul-en-scène à la fois amusant et intelligent qui part de son expérience personnelle pour démonter les assignations faites aux hommes. Un spectacle à voir à Paris jusqu’au 18 juin avant, on l’imagine, une grande tournée partout en France. Rencontre.
"Ramener à l’universel par le prisme du personnel" : voilà comment le comédien, auteur et plus globalement artiste touche-à-tout Mickaël Délis résume l’ambition de son spectacle Le Premier Sexe, explicitement sous-titré "la grosse arnaque de la virilité". Seul sur le plateau, il revient avec force d’anecdotes, et surtout de scènes très drôles, sur son évolution de gamin peu à l’aise avec les codes de la masculinité à adulte homosexuel "bien dans ses pompes". "L’humour est une des façons de rendre digestes des choses qui peuvent être un peu effrayantes", nous résume-t-il à la terrasse d’un café parisien, quelques jours après la première représentation de cette aventure qu’il peaufine depuis plusieurs années.
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En 1h15, Mickaël Délis raconte différentes étapes de sa vie en convoquant à ses côtés plusieurs personnes qui l’ont accompagné depuis sa naissance : les membres de sa famille, des camarades de classe, son psy, son premier amour… Des hommes et des femmes qu’entre deux adresses au public, il interprète lui-même afin de donner vie et corps à ces figures particulièrement théâtrales. À l’image de sa mère, l’un des personnages les plus réussis qui ne peut décemment pas être comme ça dans la vraie vie !
Mickaël Délis, sa mère etc
"Ma mère comme tous les autres personnages sont des projections fantasmatiques de ce qu’ils sont vraiment", précise Mickaël Délis dans un grand éclat de rire. Et d'avancer le chiffre de "70% de personnel" dans l’écriture, "en partie fictionnalisés", le reste étant de l’invention pure. "Après, j’ai toujours été entouré de gens 'bigger than life' ! Ma mère est un phénomène par exemple. Sa sœur jumelle est venue voir le spectacle un soir, elle m’a dit : c’est bien mais tu as oublié de dire ça, et ça, et ça ! Je n’ai donc pas eu à pousser le curseur tant que ça. Mon psy, pareil, il était complètement déjanté !"
Sans cesse sur le fil entre l’humour féroce, et parfois graveleux – "Oui, j’ai des parties potaches avec des blagues bas du fond, mais j’assume !" – et la tendresse, Mickaël Délis n’épargne personne au fil de son récit, que ce soit lui-même ou ses proches. Comment sa mère a-t-elle réagi face à cette caricature hilarante ? "J’avais peur car elle est très fragile, bipolaire – quand ça va bien, tout ce que je fais est génial ; quand ça va mal, je suis juste un monstre qui veut l’humilier. Mais finalement, elle était très heureuse, très fière… À la fin de la représentation, elle voulait même se lever et crier dans la salle qu’elle était ma mère !"
On ne naît pas homme, on le devient
Le Premier Sexe évoque le rapport de Mickaël Délis "à la masculinité, au corps, aux hommes, aux femmes", avec un clin d’œil plus qu’appuyé au Deuxième Sexe, l'ouvrage féministe culte de Simone de Beauvoir sorti en 1949 et qui contient notamment la fameuse phrase "on ne naît pas femme : on le devient". La référence n’est-elle pas écrasante ? "Non, parce que jamais je n’ai essayé de me placer à hauteur du talent de Simone de Beauvoir, de la force de son analyse. Je l’ai plus vue comme une sorte de marraine que comme un totem effrayant !"
Un totem qui a inspiré jusqu’à la construction de son spectacle. "Dans une première version, je projetais certains sous-titres du deuxième tome, L’Expérience vécue, qui est moins théorique, plus empirique. Il commence par 'Enfance', puis 'La jeune fille', 'L’initiation sexuelle', 'La lesbienne', 'La femme mariée', 'La mère'… Jusqu’à, à la fin, 'La femme indépendante'. Ça faisait une super chronologie, transposée à l’échelle de garçon." Ce découpage n’apparaît plus formellement aujourd’hui, mais reste présent en creux, sorte de colonne vertébrale implicite.
"J’avais besoin d’être nourri avant d’évoquer ma vie personnelle, afin que l’intime permette au spectateur de toucher à l’universel."
Bien sûr, Mickaël Délis n’a pas lu que Simone de Beauvoir. Il cite pêle-mêle Françoise Hériter, Olivia Gazalé ("Le Mythe de la virilité, quelle claque !"), Virginia Woolf, Marguerite Duras, Pierre Bourdieu… "Les lire a été comme des sortes d’épiphanies. J’ai par exemple découvert Refuser d’être un homme de John Stoltenberg, livre fondateur de 1989 traduit récemment par la maison d’édition de Christine Delphy : c’est absolument passionnant."
Mais son envie d’aborder la masculinité de son point de vue d’homme vient également de l’ouvrage King Kong Théorie (2006) de Virginie Despentes, et de cet extrait qu’il nous cite presque in extenso : "Ils aiment parler des femmes, les hommes. Ça leur évite de parler d'eux. Comment explique-t-on qu'en trente ans aucun homme n'a produit le moindre texte novateur concernant la masculinité ? Eux qui sont si bavards et si compétents quand il s'agit de pérorer sur les femmes, pourquoi ce silence sur ce qui les concerne ?" Mickaël Délis : "J’avais besoin d’être nourri avant d’évoquer ma vie personnelle, afin que l’intime permette au spectateur de toucher à l’universel comme je l’expliquais précédemment."
Miroir élargissant
D’où son refus de simplement résumer son spectacle à : un homosexuel disserte sur la masculinité. Même si, bien sûr, il a conscience que son histoire et son propos résonnent fortement avec le public LGBT. "De nombreux ex et copains pédés sont venus. Naturellement, ils se sont pleinement reconnus dans certains tableaux !" Citons celui du jeune garçon qui préfère les tutus aux costumes de super-héros, ou celui autour des sites de rencontre, amené de manière détournée.
"En fait, mon spectacle, c’est l’histoire d’un mec qui se débat pour essayer de panser ses plaies et d’être libre. Ça peut donc concerner un peu tout le monde, même si oui, je suis homosexuel !" Une logique qui l’a poussé à gommer un passage pourtant attendu : celui du coming out. "Je l’ai délibérément esquivé, je ne voulais pas que mes réflexions sur le genre masculin soient réduites à une question d’orientation sexuelle. Bien sûr, mon homosexualité fait partie du récit, au même titre que 'La lesbienne' est un chapitre de Simone de Beauvoir, mais ce n’est pas le sujet."
Après avoir retracé sa jeunesse sentimentale compliquée avec les filles, il parle donc, simplement, de son premier amour – un garçon – en continuant sur le chemin qui lui va si bien : celui de l’introspection joyeuse portée par une écriture imagée soignée. L’ensemble fait un bien fou et risque, on prend les paris, de rencontrer un grand succès !
>> Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité, au théâtre de La Reine Blanche (Paris 18e) jusqu’au samedi 18 juin
Crédit photo : Marie Charbonnier