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musique"Renaissance" de Beyoncé : un pont entre les générations et les luttes

Par Themis Boudraham-Belkhadra le 01/08/2022
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Beyoncé tourne définitivement la page du Covid dans un nouvel album fascinant, qui conjugue toutes les luttes sur un son dancefloor.

Le temps de la renaissance est venu. Après un premier single étonnant et festif, Beyoncé a enfin levé le voile, vendredi 29 juillet, sur son septième album. Plus radicale encore que sur Lemonade, son précédent opus paru en 2016, elle offre 16 tubes qui sonnent comme une seule et même piste grâce à des transitions soignées et une cohérence globale bien ficelée, synthèse de toutes ses explorations musicales.

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Dès les premières secondes de "Break My Soul", paru plus tôt cet été, toute la communauté LGBTQI+ avait senti que Beyoncé s’adressait directement à elles et eux, confirmé par la présence sur le titre de Big Freedia, rappeur·euse fluide. Une intention confirmée par la queen elle-même, quelques heures avant la parution du disque. Sur son site officiel, l'interprète de "Single Ladies" a dédié ce nouvel album à son "oncle" (en réalité son cousin) Jonny, “l’homme gay le plus fabuleux [qu’elle n’ait] jamais rencontré”. “Il était ma marraine ; la première personne à me faire rencontrer les musiques et les cultures qui ont inspiré l’enregistrement de cet album.”

Samples cultes et house music

Dans Renaissance, Beyoncé confirme l'intention prise avec "Break My Soul". Soul, disco, house… Les inspirations de Bey et de sa team sont toutes profondément liées à l’histoire culturelle LGBTQI+ et afro-américaine. Mais la démarche de l'ancienne Destiny's Child est, de bout en bout, davantage une tentative de réhabilitation des grandes figures de quarante ans de révolutions musicales – dont l'histoire a parfois effacé les protagonistes issus de minorités – qu'une appropriation.

Renaissance se construit autour de samples légendaires crédités sur la très longue liste des contributeurs. Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle de Kanye West sur The Life of Pablo ou My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Dès l’ouverture, elle fait référence à Tommy Wright III – l’un des pionniers de la trap music et sur "Alien Superstar", elle réhabilite l’un des tubes queers les plus kitsch et iconiques : "I’m Too Sexy" des Right Said Fred.  Après une référence au mythique "Milkshake" de Kelis – un emprunt qualifié comme du "vol" par l’intéressée qui demande réparation – Beyoncé invoque l’esprit des femmes afro-américaines qui ont laissé leur trace sur l’histoire de la musique. Il y a Robin S ("Break My Soul") ou The Clark Sisters et Lyn Collins ("Church Girl"), jusqu’à la dernière explosion disco de "Summer Renaissance" – et son sample mythique de Donna Summer. 

Collaborations queers

À cette liste de samples s'ajoutent également des collaborations queers, comme celle de Big Freedia – déjà citée – mais aussi de la productrice et DJ Honey Dijon, laquelle a chaleureusement remercié Beyoncé pour avoir fait appel à elle cette semaine : "Ton élégance, ta beauté, ton talent, ton éthique et ta vision ont été une vraie inspiration. Partager, avec le monde et toi, mes origines Chicago house ainsi que ma culture de femme trans, noire et queer a été fort et touchant." Dans les crédits, on retrouve Bloodpop, producteur chéri des deux derniers albums de Lady Gaga dont Chromatica, et si les deux disques s'avèrent assez différents, ils ont en commun de livrer une vision rafraîchie, positive et féministe de la dance music.

La queerness des production de ce disque ultra-référencé frappe à chaque titre. On pense à Sophie, productrice révolutionnaire et pop de la musique électro, mais aussi Charli XCX – dont le producteur A. G. Cool figure aux crédits –, et même cet album de L’Homme Statue, SER, que nous avions adoré l’hiver dernier. Comme si Bey les avait vu·es, écouté·es et entendu·es.

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Un projet intersectionnel et intergénérationnel

Sans doute son projet le plus singulier, Renaissance surprend par la modestie de son exploitation. Un simple single promotionnel et une cover de Vogue : Beyoncé livre son album sans clip ni gros coup marketing. Après avoir dominé l’industrie pendant des années, elle semble prête à s’inscrire dans le cours des choses, sur un pied d’égalité avec ses semblables et, surtout, fidèle à elle-même. Toujours sur son site, elle poursuit : "Mon intention était de créer un endroit safe libéré de tout jugement. Un endroit pour me sentir libérée du perfectionnisme […] crier, me lâcher…"

Renaissance semble signer le début d’une nouvelle ère. La fin d’une époque marquée par l’isolement, l’inquiétude et la peur de l’autre. Beyoncé y aborde des thèmes politiques en évitant l'écueil de l'appropriation, et sans exacerber les fractures qui divisent notre société. Une colère saine, libérée de toute forme de haine ou de cynisme, qui porte la vision d’une vraie révolution solidaire à travers le monde. En plus de marquer la fin d’une longue période traumatisante, Renaissance tient sa promesse de dessiner un chemin vers le monde de demain sous la bannière de l’intersectionnalité, de la confiance en soi et de l’acceptation des autres.

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