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portraitBukkake de pétales & garçons fleuris : Lazare Lazarus, insurgé esthétique

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 31/08/2022
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Artiste, illustrateur, "jardinier et pute", Lazare Lazarus ouvre depuis maintenant deux ans d’autres horizons désirants, pour raconter la mémoire des corps et nos désirs en lutte au creux des paysages de Marseille.

Ayant grandi à la marge de Paris, "ce qui est toujours un peu galère pour s’assumer en tant que pédé et en rencontrer d’autres", Lazare Lazarus quitte en 2014 la banlieue pour Marseille afin d'étudier à l’École nationale supérieure de paysage. La ville est alors en pleine ébullition. Face à la gentrification et aux politiques de rénovation urbaine, des habitant·es résistent, des collectifs se montent. "J'reconnais plus ma ville, je ne reconnais plus ma rue. Où est mon centre-ville, celui d'avant a disparu", chante Kenny Arcana à propos de la cité phocéenne dans "Capitale de la Rupture". "C’était avant l’état d’urgence, se souvient l'artiste. J’ai ressenti une sorte de bain militant de quartier, avec des personnes concernées par ce qui se passe dans leur quartier, qui n’hésitaient pas à sortir dans la rue pour contester les politiques urbaines après 2013".

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En pleine mutation, la ville et ses chantiers à venir sont un paysage nouveau pour lui : une alliance de béton et de ruines fissurées par la flore méditerranéenne. Et puis surtout la chaleur, celle de la garrigue environnante, lui ouvre les yeux sur d’autres potentiels esthétiques. "J’avais les yeux cramés. Tout était très aveuglant, très chaud", confie-t-il en souriant. À l’école, il développe une pratique du croquis sur le motif qui ne le quittera plus et qui l’accompagne désormais dans ses promenades. Immergé dans cette relation complexe entre le béton, les massifs calcaires et la garrigue, il consigne les traces de cette rencontre : "La garrigue jouxte des usines abandonnées, des immeubles, une autoroute sur pilotis. C’est une espèce de mélange architectural, de frontière, de contact très frontal entre les collines, la chaîne de l’Étoile et la ville qui s’arrête brutalement"

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L'anus solaire, Lazare Lazarus

Ses croquis de terrain lui servent de base pour recomposer en atelier de plus grands dessins où il mêle des bouts de paysages glanés dans les tableaux, de Joachim Patinier à Arnold Böcklin, à des personnages sortis des vieux magazines porno gays BDSM, comme la revue sur les sexualités hard Projet X. Un maillage de références qui confère parfois à ses compositions une religiosité irrémédiablement érotique : monstres et chimères sortis des iconographies médiévales côtoient ainsi des saints pénitents ou figures suppliciées, des stylites et des personnages qui s'aiment et s'enculent dans des jardins.

Jardins et porno

Lazare puise dans les images à Mémoires des Sexualités, le centre d’archives LGBTQI, et son jardin clos qu’il s’empresse de développer avec plusieurs camarades dès 2018. "La découverte des archives m’a beaucoup ému. Avant d’arriver à Mémoires, je ne connaissais pas grand chose de l’histoire LGBT et des années sida. Ma curiosité débordait face à ces cartons et ces articles d’une époque que je n’ai pas connue. J’avais l’impression d‘être une espèce d’archéologue qui fouille dans sa propre identité sexuelle."

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Je t'aime comme un champ d'oponce, Lazare Lazarus

Des orgies de Fessée magazine aux petites annonces érotiques de GaiPied, ces trouvailles produisent de nouvelles figures et motifs, d’autres histoires qu’il réinscrit dans ses paysages recomposés. "Je veux sortir mes personnages du donjon, des darkrooms, des saunas pour les plonger dans la ville et l’environnement, dans d’autres univers."

Sur ses gravures à l'eau-forte dorées, ses dessins à l'encre, ses films porno ou dans plusieurs des zines-herbiers réalisés au cours de l’année dernière, une jungle d’images et de textes surgit alors, nous rappelant à la puissance de nos mémoires minoritaires, à la possibilité de leur sur-vie au présent. Deux hommes nus encagoulés surgissent sur des crêtes en bord de mer ou les îles du Frioul. Des corps s’ouvrent comme des fleurs, se penchent et se courbent comme des tiges. Jutant feuilles et pétales, bandant fleuri, ils hantent ainsi des églises de ruine à ciel ouvert. Superbe et fascinant.

>> Retrouvez Lazare Lazarus sur son site et sur Instagram

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Illustration principale : Le baiser, Lazare lazarus