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Nos villes queersMarseille, le bon coin queer au soleil

Par Tom Umbdenstock le 23/02/2022
La vie gay à Marseille est vivace

Marseille, ce n'est pas qu'une météo ou l'OM. Dans les rues du Panier, le bruit court : la ville attire de plus en plus de personnes LGBTQI+. La nouvelle équipe municipale multiplie les initiatives tandis que le monde de la nuit se fait de plus en plus queer.

Au-dessus d’une plage de rochers lisses située au sud de Marseille, entre les Goudes et la Pointe- Rouge, une dense verdure camoufle quelques hommes solitaires avançant, le pas lent, à la recherche d’un regard complice, et plus si affinités. L’odeur estivale des pins et des corbeilles d’argent accompagne l’été indien. La plupart des touristes ont quitté la région et, comme à la mi-octobre la tiédeur se maintient encore à cette latitude, les habitués commencent à se réapproprier la plage du Mont-Rose. Ambiance “Inconnu du lac” au coucher du soleil.

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Dans ce lieu gay mythique, on croise un familier, qui ne déclinera pas son nom. “Il y a quelques années encore, à cet endroit, je pestais de voir toujours les mêmes têtes”, se souvient le quinquagénaire. Assis sur une pierre, un peu plus haut, Danny*, 46 ans – dont vingt-quatre passés dans la cité phocéenne –, est en compagnie d’un homme qui lui pose tendrement la main sur le cou. Ce dernier a constaté ces derniers temps pas mal de nouveaux visages : “Des garçons que je croise ici me disent qu’ils viennent d’arriver et qu’ils cherchent un logement à Marseille.” Dans la ville, nombre d’habitants remarquent que les Parisiens et autres citadins venus du nord sont de plus en plus nombreux à s’installer. Parmi eux, une population LGBTQI+ en quête d’un nouvel eldorado. “Ça fera plus de garçons”, se réjouit Danny.

"La ville ne se résume pas à Jul et à l’OM”

Dans le centre-ville, à quelques kilomètres de la plage du Mont-Rose, Jérémy, 27 ans, est attablé au café La Muse, prisé des LGBTQI+. Selon lui, l’image de Marseille est en train de changer. “Les gens sont venus voir d’eux-mêmes et se rendent compte que la ville ne se résume pas à la grève des poubelles, à Jul et à l’OM”, explique-t-il. Les rues fourmillent en effet d’une jeunesse aux gestes libres, aux cheveux colorés, et aux boucles d’oreille pour toutes et tous. D’ailleurs, dans les quartiers du Camas, de la Plaine ou encore Saint-Charles, les queers ont pris leurs marques. Ibrahim, 36 ans, confirme avoir vu débarquer “énormément de personnes LGBTQI+ en un an”. En mai, il a ouvert le Mino Mina, un café et bar à mezze franco-libano-égyptien situé à la Plaine. “Dès les premiers jours, tout le monde a défini cet endroit comme LGBT-friendly. On n’a même pas besoin d’un drapeau. Ils savent qu’ils sont les bienvenus”, observe, sur sa chaise colorée, le patron, les ongles peints en rouge.

Sur l’une des terrasses du Vieux-Port, Théo Challande Névoret, élu municipal chargé de la lutte contre les discriminations, fait un bilan d’étape des initiatives de la nouvelle équipe socialiste (Benoît Payan a été élu en 2020) et cite les drapeaux arc-en-ciel déployés sur les mairies pour la Pride, ainsi qu’une campagne d’affichage, “Être et ai- mer”, pour déconstruire les clichés LGBTphobes. L’adjoint souligne également le quintuplement des subventions accordées aux associations LGBTQI+, parmi lesquelles Pride, Flag! ou encore Transat. Des actions qu’il compare au bilan de la précédente mandature, qu’il juge sévère- ment : “On partait de presque zéro sur les luttes contre les discriminations, en termes de services, de budgets, de sensibilité et de compréhension par rapport au sujet.” Il évoque également le centre interassociatif LGBTQI+ à venir, visible et identifié, où “une attention particulière sera portée aux personnes trans et aux jeunes”, ainsi que la création d’environ 25 places d'hébergement réservées aux personnes LGBTQI+ majeures expulsées par leur famille.

"Aujourd’hui, on fait des projets ouverts aux meufs, aux personnes trans, aux minorités de genre."

Évidemment, Marseille n’a pas attendu la nouvelle équipe municipale pour tendre la main aux LGBTQI+. D’ailleurs, dans son petit appartement du Panier, Lee, homme trans de 24 ans et cofondateur, en 2018, de Transat – dont les membres multiplient les actions de sensibilisation dans les concerts, auprès d’internes en médecine, etc. –, nous explique que le but de l’association est de “recréer du dialogue entre des gens qui ont la réputation de ne pouvoir ni vivre ni communiquer ensemble”, une action nécessaire, sinon primordiale.

Quant à l’association Baham Arts, créée en 2017 par Paulo et Erika, elle organise entre autres les festivals Umoja et Intersection, ainsi que des ateliers de productions artistiques et des événements autour des identités minoritaires de la communauté LGBTQI+, “c’est-à-dire les personnes queers, racisées, afrodescendantes et les personnes trans”, précise Paulo, homme trans de 30 ans. Avant de s’asseoir à la terrasse du Chapitre, sur la place des Réformés, les deux compères saluent des amis à une table voisine. “Quand on est arrivé·es à Marseille, on voulait faire des scènes non-mixtes entre meufs, personnes trans et personnes queers racisées, se souvient Erika, 28 ans. À force de persévérance, on a bousculé quelque chose. Aujourd’hui, on fait des projets ouverts aux meufs, aux personnes trans, aux minorités de genre. Ça aurait été inimaginable pour la mairie à l’époque.”

Tourisme gay et visibilité

Ces initiatives queers viennent compléter l’offre des quelques lieux de convivialité gays installés dans la ville depuis longtemps. Un vendredi soir, en face de la place des Réformés, à l’étage du bar L’Annexe, la fête bat son plein. Sur un écran de télévision accroché à un mur de briques rouges défilent des photos d’habitués. Jean-Luc, 65 ans, sirote son verre au bar. Marseillais depuis quinze ans, il a “l’impression que la ville est presque devenue gay-friendly”. “Maintenant, dans la rue, on voit des couples d’hommes ou de femmes ; je n’en voyais pas lorsque je me suis installé ici”, relate-t-il.

Le sexagénaire en est à sa cinquième tournée, et ira ensuite au New Cancan, la plus vieille boîte gay de la ville, créée en 1991. Vestige d’un autre temps, il faut encore y sonner pour entrer. On y trouve Michel Piacenza, boucle d’oreilles, chaîne longue, chemise fleurie de blanc et de rouge. La figure historique des nuits gays marseillaises souligne “la grosse progression” de la ville : “En 1978, quand j’ai ouvert un autre bar, le 1900, l’homosexualité était encore pénalisée. Désormais, l’été, on a plus de touristes d’année en année.” Romain, le patron du bar Le Pulse, confirme avoir trois à quatre fois plus de clients en saison estivale. Une faune qui participent à rendre la ville plus queer.

Sur le cours Julien, le samedi soir, s’il considère que la ville est “bien plus tolérante”, il confie toutefois à demi-mots que “le monde gay recule”. Un constat qui s’applique à toute la France, la nouvelle génération de jeunes LGBTQI+ préférant ses espaces de fête spontanés et inclusifs. Ces dernières années, on les a notamment trouvés à la Dar, au Chapiteau, à la Belle de mai ou encore à l’Embobineuse, lors de soirées organisées par Error TPG. Le collectif dédie ses soirées techno “assez violentes, plutôt hardcore” au public transpédégouine depuis 2019. Mais ces événements sont parfois difficiles d’accès : “Si tu ne fais pas partie du milieu très marseillais, tu peux ne jamais en entendre parler, déplore Noémie, 30 ans, membre du collectif. On voudrait que les personnes les plus isolées soient au courant de nos soirées”, et profitent ainsi des messages d’inclusion, de consentement et de soutien aux travailleur·euses du sexe qu’Error TPG met en avant durant ses événements.

Gentrification ou rénovation

Le même mot d’ordre “déconstruction, consentement, sécurité et lâcher-prise” accompagne les soirées Mouillettes, lancées en 2018 à l’initiative du collectif Laboratoire des possibles, dont les places des dernières éditions se sont vendues en une seule journée. Pourtant, il existe un point noir à ce tableau rainbow : face aux nombreuses initiatives, il devient de plus en plus compliqué de trouver des lieux. Croisé au Mino Mina, Vincent, la trentaine, boucles d’oreilles, veste de jogging violette et fier mulet, précise que “les lieux de nuits sont trop peu nombreux”. “Il faudrait vraiment un investissement des politiques sur le prêt de salles et une réflexion sur les espaces dans lesquels faire la fête dans cette ville, parce que ça devient trop petit pour contenir toutes les envies”, explique-t-il.

"Ça donne envie à d’autres personnes de rejoindre un espace où existe cette visibilité-là, où cette vie est possible.”

Marseille, trop petite ? Ce qui est sûr, c’est que la ville fait partie des métropoles prises d’assaut par les habitants de la capitale depuis la crise du covid. Selon la chambre des notaires des Bouches-du-Rhône, citée par Libération, “les Franciliens représentent 7,3 % des acheteurs de logements à Marseille entre juillet 2020 et juin 2021”. Quant aux loyers des arrondissements du centre-ville et de sa bordure, ils ont augmenté cette année de 5 % au premier semestre. Dans cette même période, le prix au mètre carré a augmenté de 14 % dans le quartier Saint-Charles, de 11 % dans le quartier Cinq-Avenues et de 10 % dans le quartier Camas, selon les chiffres de l’Observatoire immobilier de Provence.

“En tant que personne queer, tu participes un peu à la gentrification malgré toi, observe Vincent. Ça donne envie à d’autres personnes de rejoindre un espace où existe cette visibilité-là, où cette vie est possible.” Un constat que ne partage pas tout à fait Michel Peraldi : “Je ne conteste pas le fait qu’il y ait certaines arrivées. Le phénomène existe, mais n’est pas massif”, note le sociologue et anthropologue, auteur de Sociologie de Marseille et de Marseille en résistances. Ce fin connaisseur de la ville rappelle surtout que, “depuis cinquante ans, une sorte de guerre à la pauvreté a été menée par les institutions – municipales, locales ou nationales – pour se réapproprier le centre-ville contre les mondes populaires”. Selon lui, c’est cela qui, d’abord, provoque l’augmentation des loyers, plutôt que l’arrivée de Franciliens.

Luttes solidaires à Marseille

La transformation de la ville est d’ailleurs au cœur des luttes menées par les queers de Marseille, et, à la fin du mandat de Jean-Claude Gaudin, les conflits provoqués par la rénovation de la Plaine, qui devait en chasser les commerçants, l’ont d’ailleurs parfaitement illustré. Pour résumer, Noémie considère que “de façon globale, la solidarité ne s’organise pas qu’entre personnes queers, en tout cas à Marseille. Les habitants se viennent en aide les uns les autres et aident les populations qui en ont besoin”. Ce qui explique qu’on ait vu des personnes LGBTQI+ protester contre les conditions de détention devant le centre de rétention administrative, mais aussi lever des fonds au Dar Lamifa, organiser des maraudes par le biais du groupe Facebook La Menace Queer ou encore offrir des places aux soirées Mouillettes à un collectif de migrants LGBTQI+. À la Pride de Marseille, les travailleur·euses du sexe et les personnes racisées étaient d’ailleurs au centre des revendications, comme en témoigne la campagne d’affichage menée dans les transports en commun.

Les moins optimistes pourront cependant objecter qu’à Marseille – comme ailleurs – les agressions LGBTphobes ne diminuent guère. La préfecture de police des Bouches-du-Rhône en a recensé 56 en 2018, 59 en 2019, 56 en 2020, et 40 au 30 septembre de cette année. Mais ne vaut-il pas mieux voir le verre à moitié plein ? Comme Charles, ancien gérant du Play, bar gay ayant fermé ses portes cette année, et croisé sur la terrasse du Polikarpov, sur le cours Honoré- d’Estienne-d’Orves. Lui se félicite de cette nouvelle diversité LGBTQI+ qui change le visage de Marseille : “On était tellement au sous-sol qu’on ne pouvait que remonter.”

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Crédit photo : Eddie Junior