Le Danois Jonas Poher Rasmussen est l'auteur de Flee, documentaire animé sur le parcours d’un réfugié gay afghan, un film à ne pas rater au cinéma. Il nous raconte sa relation avec Amin et la genèse du projet.
Flee, immense film danois qui a fait le tour du monde ces derniers mois et qui fut nommé pas moins de trois fois aux derniers Oscars, sort enfin chez nous ce mercredi 31 août au cinéma. Dans ce documentaire d’animation, nourri également de quelques images d’archives, Jonas Poher Rasmussen raconte l’histoire de son ami Amin, jeune gay réfugié au Danemark après avoir fui l’Afghanistan. On a rencontré le réalisateur pour en savoir plus sur les coulisses de la création de cette œuvre originale, intelligente et bouleversante.
À lire aussi : "Flee" au cinéma, docu animé bouleversant sur l'itinéraire d'un réfugié gay afghan
Peux-tu nous en dire plus sur ta relation avec le protagoniste de Flee, Amin, et l’envie de raconter son parcours ?
Jonas Poher Rasmussen : J’ai rencontré Amin il y a plus de 25 ans maintenant, il vivait dans une famille d’accueil tout près de l’endroit où j’habitais, au coin de ma rue, et je le voyais tous les matins, seul, à l’arrêt de bus pour aller au lycée. Il m’a dit qu’il venait d’Afghanistan, cela me questionnait beaucoup mais il n’a jamais voulu me parler de cela, de son histoire. Nous sommes devenus amis et allions notamment faire du sport ensemble et partagions les mêmes goûts musicaux, mais nous n’avons jamais évoqué son passé. Il ne voulait pas en parler. Quand j’ai commencé à devenir réalisateur, notamment de documentaires radiophoniques, je lui ai proposé une première fois, il y a une quinzaine d’années, de raconter son histoire et il a refusé tout en me disant qu’il le ferait un jour, quand il serait prêt mais qu’il ne voulait pas s’exposer, qu'il souhaitait rester un citoyen anonyme. Et puis il y a eu cet atelier au Danemark qui était centré sur les possibilités de faire du documentaire avec les moyens techniques de l’animation, et j’ai tout de suite pensé que cela pouvait être la bonne méthode pour raconter le parcours d’Amin. Là, il a été vraiment intrigué par l’idée de devenir un personnage animé. Cette technique a notamment permis d’entendre dans le film sa vraie voix, son récit.
Comment as-tu procédé pour lui permettre de raconter son histoire ? Les scènes d’interview d’Amin, allongé, les yeux fermés, ressemblent aux méthodes des psychanalystes…
Tout d’abord, ces entretiens étaient filmés pour conserver la voix mais également pour permettre au travail d’animation d’être au plus près de la réalité, de ses mouvements, de ses expressions faciales pendant le récit. Le côté "thérapie" des interviews, c’est quelque chose que j’ai développé quand je travaillais à la radio. L’idée c’est que, comme en radio il n’y a pas d’images, on peut demander au témoin de s’allonger, de fermer les yeux afin que ce dont il parle soit le plus descriptif possible, qu’il puisse se remémorer des détails visuels, olfactifs, sonores, s’immerger dans les lieux et les moments de son récit. À chaque fois que le récit se déplaçait, changeait de lieu, je lui demandais de décrire les endroits en premier lieu afin qu’il se replonge dans le moment. Je lui demandais à quoi ressemblaient les gens dont il parlait, ce qu’on pouvait voir par la fenêtre. Cela a permis de rendre plus précis le travail de dessin et d’animation et participait à l’immersion ce qui rendait sa voix plus intense, son récit plus précis. C’est comme revivre une histoire plutôt que de la raconter.
Quel impact a eu la révélation par Amin de son homosexualité sur toi et sur l’histoire ?
Amin a fait son coming out auprès de moi quand il avait 16 ans donc, à mes yeux, cela a toujours fait partie de qui il était. D’ailleurs, au tout début, j’ai pensé que cela ne serait pas une part importante du film. Mais, au fur et à mesure du travail, je me suis bien sûr rendu compte que c’était un enjeu majeur pour une personne venant d’un pays musulman dans lequel il est très difficile de vivre en étant gay. J’ai compris la difficulté supplémentaire qu’il a traversée. C’est l’une des surprises dans le film, la scène dans laquelle il fait son coming out auprès de sa famille ne se passe pas vraiment comme on aurait pu l’imaginer, et j’ai voulu la raconter comme lui l’a racontée, avec cet élément de suspense et de surprise. Il a fallu aussi trouver les moyens cinématographiques adaptés pour que cette scène soit réussie et forte. C’était le meilleur moyen de faire comprendre de façon presque intime au public à quel point c’est un moment de soulagement pour Amin, et une espèce de nouveau point de départ pour lui.
C’est réussi car la scène est extrêmement émouvante ! Cet enjeu autour de la sexualité d’Amin a de fait pris plus de place que prévu dans le film, son importance est apparue petit à petit ?
Oui, le fait qu’Amin soit gay est effectivement devenu un élément aussi important que son parcours de réfugié d’Afghanistan au Danemark. Si le film s’appelle Flee, c’est pour parler de ce parcours physique de celui qui fuit, mais aussi pour évoquer le chemin mental qu’il fait pour pouvoir être vraiment en accord avec lui-même, pour vivre tel qu'il est, sans se cacher. Pour moi, le fait qu’Amin soit gay était un fait, comme le fait qu’il soit brun, mais j’ai compris que pour raconter l’histoire de quelqu’un obligé de fuir son pays, de se fuir lui-même, de se renier, tout ce qui concerne son homosexualité était fondamental, notamment pendant les années d’adolescence où on se construit et on découvre qui on est.
As-tu reçu des nouvelles récentes d’Amin ? Comment a-t-il réagi au film et à son succès international ?
Amin va bien, on s’envoie beaucoup de textos et je dîne avec lui bientôt ! Il vit avec son mari Kasper dans la maison qu’on voit dans le film. Cela lui faisait un peu peur, lui qui a eu l’habitude d’être très mobile et de beaucoup voyager, mais il s’y sent vraiment bien, à la maison. Par rapport au film, je crois qu’il se sent bien de s’être débarrassé de pas mal de choses qu’il gardait secrètes. Il a été très touché par l’accueil incroyable qu’a eu le film dans le monde entier et de voir que des personnes, des spectateurs aient pu se sentir intimement concernés par son histoire sans être ni homos ni refugiés !
Quels sont tres projets ?
J’ai vraiment adoré découvrir l’animation donc je travaille sur un nouveau projet de film animé qui sera l’adaptation d’un roman graphique danois (la trilogie The Dane de Halfdan Pisket, ndlr), nous sommes en train d'en finaliser le scénario. J’ai un autre projet aux États-Unis dont je ne peux pas encore vous parler…
À lire aussi : "Everything Everywhere All at Once" au cinéma : le film queer le plus fou de l'année
Crédit photo : Final Cut