Quand on a proposé à Pomme de faire la couverture de têtu·, elle n’a pas hésité longtemps. Une heure à peine après avoir téléphoné à son attachée de presse, elle disait "oui", nous autorisant enfin à rêver au grand jour… Rencontre à retrouver dans le magazine actuellement en vente chez votre marchand de journaux.
Photographie Christopher Barraja
Stylisme Nikita Vlassenko
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En 2017, elle nous avait offert un premier album propre et sans bavure. Elle chantait les chansons des autres avec cette voix laser qui transperce le corps en visant directement le cœur, et avait conquis son public sur scène. Ensuite, seulement, Pomme a eu le pouvoir de devenir libre. Un coming out lesbien et un apprentissage féministe et queer plus tard, elle a imposé ses textes, ses chansons et ce monde qu’elle habite, un monde enfantin fait de rêves, de cauchemars et d’anxiété comme des monstres cachés sous le lit. Les Failles, son deuxième album, connaît par la suite un succès que personne n’avait vu venir, et une chanson sur le désir d’enfant, “Grandiose” – qui résonne chez toutes les femmes lesbiennes qui attendent à l’époque la PMA pour toutes –, achève de faire d'elle la nouvelle idole d’une France que l’on ne voit pas assez à la télé.
Sacrée artiste féminine de l’année aux Victoires de la musique en 2021 face à Aya Nakamura (“Aya aurait dû l’avoir”, concédera-t-elle à la polémique), la petite rebelle de la nouvelle scène française s’est désormais transformée en femme forte de l’industrie. Elle a réussi son hold-up et kidnappé les enfants qui veillaient à l’intérieur de nous, pour qu’ils fassent la paix avec leurs idéaux fragiles, leurs rêves déçus, et ce sentiment persistant de ne pas être à la bonne place. Quand on écoute Pomme, on sait qu’on est là où l’on doit être, mais, surtout, qu’on est en sécurité, qu’on soit dans une forêt enneigée ou une plaine déserte du Canada. Dans Consolation, produit par Flavien Berger, elle nous emmène une nouvelle fois en voyage et crée un cocon rassurant à l’effet quasi anxiolytique. Alors qu’elle luttait avec son “Anxiété”, elle lui trouve désormais des remèdes.
“Je ne sais pas pourquoi, mais les stylistes veulent toujours m’habiller en punk”, dit-elle en riant alors que Nikita, celui de la séance photo, lui tend un collier à clous, en cuir. Peut-être parce que Pomme semble dire ce qu’elle pense, qu’elle a levé le tabou de la santé mentale avant qu’une pandémie vienne nous faire réaliser qu’on en avait une, qu’elle défend un monde plus éveillé et plus juste, qui respecterait chaque humain et chaque être vivant. Sans doute aussi parce qu’elle a dit merde à la jolie petite fille qu’on voulait qu’elle soit, pour être simplement ce qu’elle voulait être. Pomme est une warrior de la douceur, un chemin vers l’émancipation, vers la liberté et vers soi. Et notre entretien ne fait que le confirmer.
Tu commences ton album avec “Jardin”, un titre nostalgique où tu sembles partir “à la recherche du temps perdu”. C’est quoi cet endroit ?
Pomme : J’ai grandi à côté de Lyon, et, dans la maison de mes parents, on avait la chance d’avoir un grand jardin dans lequel j’adorais jouer, mais aussi m’enfuir. C’est là que je me suis réfugiée quand la petite fille que j’étais pensait que ses parents n’étaient pas les siens. J’en ai des souvenirs incroyables. Ce jardin revient souvent dans mes rêves, mais aussi dans mes cauchemars.
Tu sembles regretter ton enfance. Elle était si heureuse que ça ?
Non ! C’est pour ça qu’elle m’obsède et que j’essaie de me rappeler d’absolument tout ! J’ai l’impression d’avoir été hyper malheureuse, alors que sur le papier tout roulait. Donc je veux essayer de connaître la vérité. J’ai raconté dans un podcast que j’avais mal vécu le jour où mes parents ont raconté, à table, comme un drame, que ma tante était lesbienne. Cet événement a longtemps conditionné ma vision de l’homosexualité, que j’ai assimilée à une bêtise, à un truc grave. Ma sœur, elle, n’en garde absolument pas le même souvenir, et ne se rappelait même pas qu’ils nous avaient rassemblées autour de la table. C’est cette ambivalence, je crois, qui fait que je suis obsédée par l’enfance. Je cherche obstinément la vérité sur ce qu’elle fut vraiment.
L’enfance est un lieu qui peut être violent pour qui commence à se découvrir queer. On prend de plein fouet de nombreux stéréotypes…
C’est surtout que ces stéréotypes, enfant, ont un écho énorme dans notre construction. J’ai l’impression d’avoir su assez tôt que j’aimais les filles, et pourtant cette annonce formelle ou les imitations que l’on faisait dans ma famille pour rigoler de mon cousin gay m’ont conduite à être, par honte, bien plus homophobe que mon entourage. Au lycée, une copine m’a un jour annoncé qu’elle était avec une meuf, et j’ai eu une réaction épidermique. “Vu ta réaction, tu dois être lesbienne”, m’avait-elle dit. Elle avait raison…
Les adultes queers cherchent-iels toustes à savoir ce qu’aurait été une enfance à être “soi-même”, selon toi ?
C’est vraiment ce sentiment, essayer de savoir ce qui serait arrivé si je réécrivais l’histoire. Mais je ne sais pas si je peux parler pour d’autres. Je sais seulement que mon enfance me manque, alors qu’elle ne le devrait peut-être pas. Je pense qu’il y a beaucoup d’enfants, queers ou non, qui souffrent d’un manque de liberté, par exemple lorsque tu es un petit garçon et que tu veux jouer à la poupée. L’enfance, c’est apprendre à savoir qui on est sous la contrainte de ce que ses parents veulent que l’on soit. C’est un défi énorme pour eux de mettre en place un cadre qui permette quand même à l’enfant de se découvrir.
Tu as appelé l’album Consolation, c’est parce que tu es en train de faire la paix avec ton enfance ?
Ce que j’aime chez les enfants, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’explications rationnelles. S’ils ont du chagrin, ils voudront juste un câlin, qu’on leur lise une histoire ou qu’on joue à un jeu. Les adultes n’ont plus le même rapport aux problèmes. On a vécu – avec la pandémie – et on vit encore des choses qui méritent que l’on soit consolé, parce ce ne sont pas des problèmes auxquels on peut vraiment apporter des solutions. Toutes les chansons de Consolation sont comme des lettres de réparation. Certaines me sont adressées, d’autres le sont à des femmes qui ont eu des vies difficiles, ou encore à des ami·es. J’ai même fait une lettre d’amour à mon chien… Sur ce disque, j’ai voulu aller davantage vers les autres, sortir de mon intériorité, pour qu’on répare et qu’on se console ensemble. On a toustes besoin d’un câlin en ce moment, non ?
“Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu s’en souviennent”, écrivait l’auteur du Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry. Tu crois, toi, que l’on devrait davantage s’en souvenir ?
J’ai la conviction qu’on peut devenir adulte, en tout cas la définition que l’on s’en donne – responsable, mature –, tout en conservant son âme d’enfant. Je suis très organisée, je travaille beaucoup, je peux faire trois semaines non-stop sans aucun jour de répit parce que mon emploi du temps ne me le permet pas ou parce que j’ai oublié de prévoir un jour off. Pourtant, je crois que je n’ai jamais été aussi proche de l’enfant que j’étais, surtout parce que je me suis rendu compte que mes passions d’enfant sont toujours celles qui me rendent heureuse aujourd’hui : la musique, les travaux manuels, les animaux… Plonger dans mon enfance me fait me souvenir de ce que j’aimais, et ces activités sont toujours celles qui m’aident, adulte, à me sentir bien.
Tu t’empares de sujets qu’on entend rarement en chanson. Par exemple, le désir d’enfant d’une femme lesbienne dans “Grandiose”, qui est devenu un peu l’hymne de l’ouverture à la PMA pour toutes…
Je n’ai jamais écrit une chanson politique pour être politique. À l’époque de “Grandiose”, je venais de rompre avec une meuf, et je ne voyais absolument pas comment – alors que c’était déjà difficile d’avoir un enfant avec une femme – j’allais pouvoir en avoir un en étant seule. Cette chanson, je l’ai écrite deux ans avant la sortie des Failles et du débat sur la PMA, et je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle trouve autant de résonance. Elle est devenue quelque chose qui ne m’appartient pas, et je trouve ça génial, mais je ne crois pas y avoir mis d’intention politique. Alors que “Nelly” [chanson dédiée à Nelly Arcan, autrice et travailleuse du sexe québécoise qui a interrogé dans ses livres le rapport des femmes à leur corps, à leur image et à la chirurgie esthétique, et l’influence des hommes dans cette construction. Elle s’est suicidée en 2009], qui est peut-être la chanson la plus politique que j’ai écrite, ne trouvera sûrement pas le même écho, car on ne discute pas à l’Assemblée des ravages de la dictature de la beauté sur la santé des femmes.
Féminisme, climat, droit des personnes LGBTQI+… Tu es très engagée sur les questions sociétales, notamment dans ta musique et sur les réseaux sociaux. Est-ce que tu te considères woke ?
Si c’est “woke” dans le sens littéral d’“éveillé”, je crois que je le suis et que je fais partie de ces wokes que les boomers détestent ! (Rires.) Mais ce qui m’intéresse, c’est de dialoguer, et ça semble impossible en France. Je veux m’asseoir à table avec des gens qui ne sont pas forcément du même avis, et qu’on puisse discuter sans tenter de se convaincre à tout prix. Avec “Nelly”, je voulais lancer un sujet de conversation, qu’on réfléchisse collectivement à ce qui a mené cette femme, poussée toute sa vie à se conformer à un idéal esthétique, à se donner la mort. Et je veux qu’on tente ensemble de trouver des solutions pour que ça n’arrive plus jamais, et non qu’on s’écharpe pour savoir qui a raison ou tort.
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