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interview"Un jour je marierai un ange" : rencontre avec Pierre de Maere, nouvelle pousse belge

Par Florian Ques le 28/09/2022
Pierre de Maere, "Un jour je marierai un ange"

"Un jour je marierai un ange"… Avec sa variété hybride et ses looks bon chic bon gay, le chanteur belge Pierre de Maere a tout pour être la nouvelle sensation de la chanson francophone. Rencontre à retrouver dans le magazine têtu· n°230.

Photographie Victor Laborde

Depuis plusieurs années, la nouvelle garde belge fait du bien à la chanson francophone. Stromae, Damso, Angèle… La liste doit désormais inclure le nom de Pierre de Maere – à prononcer “mare”. À 20 ans, ce Bruxellois de naissance a sorti en janvier Un jour je, un premier EP aux sonorités très pop qui dépoussière la variété française. Une trajectoire bluffante pour ce néodandy au romantisme assumé qui, deux ans plus tôt, se tournait les pouces dans la campagne belge. “Ce n’était pas une si mauvaise chose, puisque le calme a suscité de l’ennui, et cet ennui beaucoup de créativité”, estime-t-il. Ne vous fiez pas à son jeune âge, à sa coupe au bol, à ses yeux clairs et à sa silhouette gracile : Pierre de Maere sait très bien ce qu’il veut.

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Tu n’as même pas encore sorti d’album, et pourtant déjà ton premier gros concert à La Cigale. Ça va ? Pas trop la pression ?

Pierre de Maere : J’ai encore le temps de bien stresser. Mais pour un premier concert, c’est vrai que c’est pas mal. (Rires.) Ma vie, c’est quand même un délire.

Ton EP s’appelle Un jour je. “Un jour, je serai chanteur”, c’est ce que tu disais gamin ?

J’ai l’impression que ma vie a été une succession de “un jour je”. Je ne vis pas dans le présent. La chanson est venue très tôt, quand j’avais une dizaine d’années. J’avais un iPod touch avec l’application GarageBand, et c’est comme ça que je me suis mis à composer mes premiers morceaux. J’ai fait ça pendant plusieurs années. Je m’imaginais déjà star de la chanson. Mais ça n’a étonnamment pas pris. (Rires.)

Tu as mis en pause ta “carrière” ?

Jusqu’à ma majorité. Entre-temps, je m’étais tourné vers la photographie. Certaines de mes photos ont même été publiées dans GQ. Puis à 18 ans je suis tombé amoureux. Cette relation m’a inspiré un morceau dont j’ai écrit les paroles en anglais. Même si j’ai eu de bons retours, je me suis fait un peu lyncher sur mon niveau d’anglais et mon accent pitoyable. On m’a alors conseillé de chanter en français…

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Sur certaines de tes chansons, tu roules les “r”. Ça vient d’où cette diction ?

J’ai conscience que cette diction est spéciale, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai beaucoup travaillé. Je trouve ça simplement plus beau, plus fluide. Mais ce n’est pas un tic qui m’est propre : Stromae l’a fait avant moi, Brel avant lui, et Édith Piaf encore avant eux… Je sais très bien que c’est quelque chose de clivant. On adore ou on déteste.

Stromae, c’est un modèle pour toi ?

Il réussit à travailler chaque aspect de ses projets : la musique, l’image, le stylisme, le personnage, le message… Tout est global et hyper cohérent. Avant lui, il n’y avait pas, à mon avis, un tel investissement de l’image dans la chanson française. Si ce n’est par les Rita Mitsouko. Des ovnis absolus.

Quelles sont tes autres inspirations ?

J’ai des goûts très éclectiques. Durant l’enfance, j’écoutais surtout ce qui passait sur NRJ. C’est de là que vient mon envie, que j’assume, d’avoir dans ma musique une efficacité un peu tout public. Puis, en grandissant, j’ai appris à faire confiance aux goûts musicaux de mes parents : Balavoine, France Gall et Françoise Hardy du côté de ma mère, et Supertramp, Pink Floyd et Bowie du côté de mon père. La créativité de Lady Gaga m’inspire également beaucoup. Elle ne se bride jamais. J’aimerais que mon projet, au moins pour ce qui est de l’image, ait cette idée de “no limit”, tout en conservant un aspect populaire.

Parler de ton amour des garçons en chanson, ça a toujours été une évidence ?

Je le fais depuis que j’écris en français, sans que cela occupe le premier plan. J’aime l’idée d’en faire quelque chose d’ordinaire. Je peux parler d’un garçon dans une chanson dont le sujet principal sera l’amour, et non l’homosexualité.

“Lolita” est une lettre d’amour à ton chat… So gay… Peut-être même plus que s’il s’agissait d’une déclaration enflammée à un homme, non ?

C’est vrai. (Rires.) Les chats et les gays, c’est quand même quelque chose.

En tant qu’homosexuel, tu te sens plus à l’aise en France ou en Belgique ?

Je ne fais pas vraiment de différence. J’ai un copain, mais je ne m’affiche pas avec lui, sans doute parce qu’on est tous les deux assez pudiques concernant les démonstrations d’amour en public. Je le suis d’ailleurs de manière générale, que ce soit par rapport à mon corps, à mes relations…

Tu as passé ton adolescence à Walhain, une petite commune de Belgique. Découvrir et explorer son identité gay en milieu rural, tu recommandes ?

Disons qu’il ne s’y passait rien. Mais ce n’est pas un village aux mentalités arriérées. J’ai aussi eu la chance d’avoir une famille bienveillante. Même si ma mère a reçu une éducation catholique, je savais très bien qu’elle n’allait pas avoir de problème avec mon homosexualité, dont je me suis rendu compte vers l’âge de 12 ans. J’ai alors simplement réalisé que je n’étais pas comme les autres, sans pour autant en souffrir. Finalement, ma sexualité n’est qu’un fait : ce n’est ni une fierté ni une honte. En revanche, on peut être fier d’avoir accepté sa sexualité dans notre société, où ce n’est pas toujours évident.

"Mon public était essentiellement composé de daronnes et de gays. "

Quel public penses-tu toucher avec ta musique ?

Je ne pense jamais à la réception de ce que je fais, mais je me suis aperçu, en sortant mes premiers morceaux, que mon public était essentiellement composé de daronnes et de gays. (Rires.) Mais je le comprends. Il y a un côté variété française dans ma musique, et un côté gendre idéal chez moi, lequel peut plaire, même si je ne l’ai pas vraiment choisi.

A-t-il été difficile de te faire une place en tant qu’artiste out ?

En vérité, je ne me suis jamais posé la question. J’ai eu tellement d’icônes gays, et qui ont eu des carrières magistrales, que je ne me suis pas demandé si ça allait être un frein. Si j’avais voulu faire carrière dans le foot, en revanche, ç’aurait été une tout autre histoire…

Ton style très BCBG (“bon chic bon gay”) parsemé de pièces vintage ne passe pas inaperçu. C’est lié, pour toi, les fringues et la musique ?

C’est indissociable. Le projet Pierre de Maere, c’est autant la musique que le stylisme. Dès “Potins absurdes”, j’avais une esthétique visuelle réfléchie et très marquée. Comme je ne savais pas si je chantais juste, je me rassurais en me disant que si la chanson ne fonctionnait pas, l’image rattraperait le coup.

Voir quelqu’un comme le rappeur américain Lil Nas X s’assumer autant, que ce soit dans ses looks, ses performances, ses morceaux… Ça t’inspire ?

C’est un génie, il a tout compris. Et sa réussite passe aussi par le fait qu’il s’assume pleinement, parce que les gens ont envie de s’accrocher à des modèles qui soient restés eux-mêmes, authentiques. Mais ils ont aussi envie qu’on leur vende un peu de rêve, et du spectacle. Lil Nas X, dès son arrivée, a fait preuve d’une folie créatrice énorme. Il me donne envie de porter ce que j’aime, fièrement, et d’oser les extrêmes. Moi, ce qui me parle, ce sont plutôt les costumes des années 1970, couverts de strass… 

Si tu te mets au rap, tu te vois devenir le prochain Lil Nas X francophone ?

Je ne pense pas… (Rires.) Et d’ailleurs je ne pense pas savoir rapper ! Mais je serai le prochain Pierre de Maere, ce qui est déjà pas mal. Je dis toujours que Stromae a inspiré beaucoup de jeunes artistes qui, comme lui, accordent de l’importance à l’art et au visuel. Je ne sais pas encore comment, mais j’espère qu’il y aura une génération de petits Pierre de Maere dans dix ans. Ça, ce serait cool.

>> Un jour je, de Pierre de Maere. Wagram.

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