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théâtreNicolas Petisoff : Parpaings et secrets liés

Par Morgan Crochet le 30/09/2022
Nicolas Petisoff

Après une interruption causée par la pandémie de Covid-19, Nicolas Petisoff, comédien et auteur limougeaud installé à Rennes, reprend Parpaing, son seul-en-scène – premier volet de sa Trilogie des monstres – dont les éditions Koïnè ont publié le texte en septembre.

Si la représentation théâtrale est une expérience inégalable – et ce n’est pas trop de le rappeler dans les temps difficiles que structures et compagnies traversent depuis l'épidémie de covid –, la lecture d’une pièce n’a rien à envier à celle de toute autre œuvre littéraire. Un avis partagé par les éditions Koïnè, lesquelles ont publié en septembre Parpaing, le monologue de Nicolas Petisoff, comédien, metteur en scène et auteur limougeaud installé à Rennes depuis 2018 – cofondateur en 2019 de la 114Cie avec son binôme Denis Malard –, lequel a d’ores et déjà bouclé une tournée d’une cinquantaine de dates à travers la France. 

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Parpaing, c’est son histoire, qui débute à 3h30 à la clinique des Émailleurs, à Limoges, un jour de 1979. Celle d’un jeune garçon qui se déguise tous les mercredis après-midi, en l’absence de ses parents, en "Samouraï-Catin" – avec le peignoir en satin et les pantoufles à talons de sa mère, un drap enrubanné autour de la tête "pour faire les cheveux longs" et une épée en plastique à la main –, et qui apprend, par hasard à l’âge de 10 ans, qu’il est un enfant adopté. Un secret sur lequel il décide de veiller à son tour pour protéger ses parents, fragiles, et la vie qu’ils se sont construite, leur vie à eux, dans une maison à Phénix de Rilhac-Rancon, en banlieue de Limoges, une maison où parpaings et secrets de famille s’entrelacent pour former la trame d’une vie. 

Le poids des secrets

Et les secrets, ce dont on ne doit pas parler, sont nombreux. L’adoption, dont l’auteur-interprète ne découvrira les circonstances réelles que bien plus tard – peu avant de rencontrer une partie de sa famille biologique –, la dépression paternelle, la fragilité de sa mère, et son attirance pour les garçons, qu’il va entre autres éprouver à 13 ans à la vue d’un pompier intervenant le soir où, après une violente dispute entre ses parents, il découvre son père pendu à la charpente de leur maison avec un câble électrique, qu’il parvient à sectionner à temps avant d’appeler les secours. 

Un pompier-sauveur qui fera place, plus tard, à bien d’autres figures fantasmées, de MacGyver aux meilleurs potes, aux pères des copines de sa classe, à Kurt Cobain aussi en passant par Brad Pitt, bientôt remplacés à leur tour par les rencontres initiées par le minitel et le cruising – "Ma voiture me conduit dans les lieux de drague sombres et discrets à l’extérieur de la ville. Un monde de routiers, de pères de famille en mal d’amour, d’homos cachés s’ouvre à moi" –, sans oublier le policier qui prendra sa déposition après qu’il aura tenté de briser, un soir de désolation, son propre reflet en balançant un panneau de fer à travers une vitrine – "Il est là, devant moi, il est attentif, il a l’air assuré, rassurant, il est beau, putain !".

"Pourquoi faut-il forcément savoir d'où on vient pour exister ? Je n'en avais pas eu besoin jusque-là."

"Je suis adopté, j’en parle pas, je sais que je suis pédé, je n’en parle pas. Les secrets sont bien gardés", écrit celui dont le cours de l’existence va prendre une dimension nouvelle après son coming out, compliqué – "Depuis le temps, je devrais savoir que quand on dévoile un secret, c’est presque toujours une bombe qui éclate" –, et le voile levé sur son adoption – "C’est bien hein ? Ceux qui balancent leurs secrets sont toujours soulagés, mais quand on est celui qui les reçoit, on en fait quoi ?"

"J’avais deviné tôt que j’étais adopté, mais je l’ai su, de manière effective, assez tard. Donc cette question des origines m’a toujours un peu piqué, confie l’auteur, pour qui Parpaing est avant tout un texte sur la quête de soi. Pourquoi n’y aurait-il qu’un seul chemin pour apprendre qui on est ? Pourquoi faut-il forcément savoir d’où on vient pour exister ? Je n’en avais pas eu besoin jusque-là. Ça s’est imposé à moi. Et ce que j’ai découvert n’a pas détruit ce que j’avais construit. Voilà, c’est ça, moi, qui m’a intéressé."

Une écriture intime à portée universelle

Aussi, avant de s’atteler à l’écriture de son monologue, Nicolas Petisoff a dû batailler contre lui-même. "J’avais envie d’écrire, mais je ne me sentais pas légitime. Je ne comprenais pas pourquoi ce que j’avais à raconter sur moi pouvait être important pour quelqu’un d’autre. Je me disais : 'Le monde entier n’en a rien à foutre de ta petite histoire.' Et puis, pour moi, ce statut d’auteur n’était pas évident. Je viens d’une famille pour qui la lecture, la culture, n’était pas une priorité. Les priorités, c’était de payer la maison et de manger."

Le Rennais d’adoption s’y attelle pourtant et décide d’envoyer, fin 2018, une première ébauche de son texte à Richard Morgiève, un de ses auteurs favoris. "Il m’a simplement dit : 'Écoute Nico, arrête de croire qu’il faut écrire bien, ça ne te ressemble pas. Quand je te lis, je ne t’entends pas, je ne te retrouve pas. L’écriture, c’est du plaisir, il faut que ça jaillisse.'  Il a fini par cette phrase : 'En fait, il faut que tu écrives comme tu te masturbes.' C’est ce que j’ai essayé de faire, de trouver du plaisir, d’avoir une écriture haletante, et en est sorti ce texte, que j’ai également travaillé aux côtés de Ronan Chéneau [auteur édité par Les Solitaires intempestifs], lequel m’a permis de comprendre que Parpaing avait une portée universelle et dépassait le simple récit de mes anecdotes intimes. Je pensais que l’écriture était une contrainte. Et j’ai découvert qu’il s’agissait d’une liberté. Qu’il n’y a pas qu’une façon de le faire, qu’on a chacun notre façon d’écrire."

Et Nicolas Petisoff, qui, tout en abordant son enfance, la filiation, le temps qui passe et son milieu d’origine, parvient à purger ces thèmes d’une mélancolie qu’on leur pensait irréductible, semble avoir trouvé la sienne. Parpaing après parpaing, ceux qu’il empile pour construire ce mur qui ne semble pas très solide mais "a l’air de tenir le coup", l’auteur-bâtisseur – qui invoque également la figure de Christiane Taubira par le biais de son discours prononcé à l’Assemblée nationale après le vote de la loi en faveur du mariage pour tous – s’aventure ainsi avec succès sur la ligne de crête d’une écriture claire, frontale, soucieuse du mot juste, créant entre lui et nous de profonds et sensibles échos. 

"Avancer et construire", écrit-il. Très bien, alors, une pierre après l’autre, et tant que certaines puissent être lancées sur les surfaces planes et sournoisement immobiles de nos "vérités tues vénéneuses"

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Crédit photo : Julie Glassberg