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préventionChemsex : la réduction des risques expliquée à Grindr

Par Mathias Chaillot le 11/10/2022
chemsex illustration

Application gay de rencontres incontournable, et donc haut lieu de recrutement pour partouze, Grindr est au premier rang concernant la prévention des risques associés au chemsex. Mais l'appli peine à assumer ses responsabilités.

Paramètres > Aide > Community Resources > LGBTQ People and drugs. Voilà où l’utilisateur de Grindr peut trouver des “infos” sur le chemsex, en tout et pour tout deux phrases renvoyant vers un site spécialisé. Pourtant, toute la littérature scientifique sur le sujet considère que l’application de rencontres joue un rôle clé dans la diffusion du phénomène, et que le simple fait d’allumer l’application provoque un craving (envie de consommer) chez certains chemsexeurs, qui replongent alors inéluctablement. Certes, les dealers, auparavant très présents, ont largement disparu, mais les consommateurs, eux, peuvent toujours préciser “perché”, “high”, “chill” ou encore proposer un “plan chems” sans aucune difficulté. Ce qui pose question : comment faire de la réduction des risques (RDR) dans ces conditions ?

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Les applis et le phénomène chemsex

En permettant à des personnes qui ne consommaient pas de drogues d’en entendre parler, les applications ont favorisé le phénomène”, note le psychiatre Dorian Cessa, coordinateur principal de l’étude Sea, sex and chems. Pourtant, il refuse d’entendre parler de censure. “Ce n’est pas la mission d’un réseau social de bloquer les profils des consommateurs. Si l’on commence à rentrer dans ce genre de logique, on pourrait bloquer certaines pratiques considérées comme potentiellement dangereuses. Est-ce leur rôle d’entrer dans le domaine des jugements de valeur ? De plus, on sait que les usagers trouvent toujours des solutions de rechange”, développe-t-il. D’après les acteurs de la santé communautaire, la solution résiderait plutôt du côté l’accompagnement. Mais encore faut-il pouvoir être visible.

"On pourrait s'attendre à ce que ces applis agissent, mais ce n'est pas leur objectif premier."

Nicolas Derche, directeur national de la santé communautaire au Groupe SOS

Il n’y a pas de volonté de la part de ces applications de participer aux efforts communautaires sur les politiques de santé”, juge Nicolas Derche, directeur national de la santé communautaire au Groupe SOS (actionnaire de têtu·, qui gère aussi le centre de santé sexuelle Le Checkpoint, à Paris). Pire, les profils créés par les assos pour sensibiliser au VIH ou aux risques du chemsex sont régulièrement bloqués par Grindr. “On a essayé de les contacter pour obtenir des explications, et ils se sont contentés de répondre « c’est interdit par notre règlement », car on n’a pas à démarcher leurs utilisateurs directement sur ces sujets”, confirme Sébastien Cambau, délégué régional auprès de l’Équipe nationale d’intervention en prévention et santé (Enipse, anciennement Syndicat national des entreprises gaies) en Auvergne-Rhône-Alpes, qui a rencontré les mêmes difficultés. “Ils veulent qu’on achète des pop-ups, mais ça ne suffit pas. Ce qui fonctionne, c’est quand on va toquer à la porte de l’utilisateur”, insiste-t-il. Travaillant depuis 2013 avec Grindr, il a vu la situation se dégrader : “À une époque, c’était très facile, ils avaient des correspondants en France, et l’on pouvait acheter des bannières à des prix raisonnables.” Aujourd’hui, alors que les comptes des militants et des associations se font bloquer, la seule possibilité reste l’achat d’espaces publicitaires à prix d’or.

Puisque ces applis sont utilisées pour faire des rencontres mais aussi pour organiser des soirées chemsex, on pourrait s’attendre à ce qu’elles agissent, ajoute Nicolas Derche. Mais ce n’est pas leur objectif premier, bien que cela leur donnerait une image assez positive.” À Enipse, Sébastien Cambau propose la mise en place d’“algorithmes qui repèrent les mots clés et délivrent une bannière de réduction des risques avec les lieux de prise en charge à proximité, ou le numéro d’une ligne d’urgence permettant d’obtenir un soutien psychologique”. Grindr n’aurait qu’à coconstruire les campagnes renvoyant vers les acteurs de terrain historiques. Techniquement, ce n’est pas insurmontable, mais les associations n’ont malheureusement ni le temps ni l’énergie pour engager un bras de fer avec la plateforme.

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Les acteurs de terrain désemparés

Contactée, Grindr assure “travailler en étroite collaboration avec des groupes tiers pour que [leurs] utilisateurs trouvent les informations dont ils ont besoin pour rester en sécurité et en bonne santé”, mais aussi “prendre des mesures” contre les comptes sollicitant l’achat de produits, sans toutefois donner plus de détails. En France, aucun des acteurs de terrain que nous avons sollicités n’est pourtant parvenu à travailler avec l’appli sur ce sujet.

"L'appli a bougé pour l'escorting car elle pouvait tomber pour proxénétisme. Quand elle est soumise à la loi, elle agit."

Sébastien Cambau, délégué régional d'Enipse

On aimerait qu’une grosse structure internationale puisse plaider auprès de Grindr”, espère Sébastien Cambau, qui rappelle que la plateforme n’a pas toujours fait la sourde oreille… quand elle y fut contrainte : “Ils ont bougé pour l’escorting, car ils pouvaient tomber pour proxénétisme. Aujourd’hui, on ne voit plus de profils d’escorts. Quand ils sont soumis à la loi, ils agissent.” 

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Illustration : Paul-Antoine Bernardin - Vaadigm Studio