Cumulant la drogue et le sexe, le chemsex s’est répandu dans la communauté gay, comblant parfois le mal-être d’une époque difficile. Alors oui, le cul sous produits peut être cool. Mais beaucoup trop d’entre nous restent sur le carreau. Dans le dernier magazine têtu·, nous consacrons 30 pages à l'analyse du phénomène et à des conseils de réduction des risques.
Par Mathias Chaillot et Thomas Vampouille
Illustration : Clément Louis
Vincent*, pétillant garçon de 34 ans qui n’a jamais vraiment eu de problèmes avec le sexe, les mecs ou la drogue, débarque un soir dans une partouze où on lui propose du GBL, produit euphorisant aux forts effets secondaires. Au cours de la soirée, il fait un “monumental G-hole” (perte de conscience liée à une surdose), mais se souvient tout de même d’une chose : “Je n’ai jamais autant pris mon pied.”
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Puis, après une rupture, la déprime s’installe, les plans s’accélèrent, les prises de produits aussi, et les descentes s’aggravent. “Une expérience infinie de la tristesse”, résume-t-il avec le recul. Se voyant glisser assez rapidement dans l’addiction, il s’impose un garde-fou : une seule session chemsex (contraction de “chemical sex” en anglais) par mois, maximum.
Mais depuis sa première expérience, ses plans sans produits psychoactifs font l’objet d’angoisses nouvelles : “Avec la drogue, je peux passer huit heures à quatre pattes ; aujourd’hui, sans prod, je ne sais même pas si je vais réussir à tenir cinq minutes.” Il sait que, désormais, il lui faut apprendre à composer avec deux parties de soi, “celui qui veut rester raisonnable, et celui qui se chauffe dès qu’on lui propose un peu de chems”.
Comment Vincent, à l’origine plutôt méfiant avec les drogues, a-t-il rejoint les 13 à 14% d’hommes gays et bi qui disent pratiquer le chemsex ? Si chaque parcours est unique, ce phénomène est celui d’une époque, le fruit de facteurs sociaux, communautaires, technologiques et chimiques dont la conjugaison a des conséquences potentiellement dangereuses, voire dramatiques. Les autorités sanitaires seraient d’ailleurs bien inspirées d’établir un bilan sérieux du nombre de victimes.
3-MMC, GHB/GBL…
L’utilisation de désinhibants à des fins sexuelles est aussi vieille que les produits stupéfiants. Mais ce qui a changé depuis une quinzaine d’années est l’arrivée des cathinones, au premier rang desquelles la 3-MMC (aussi appelée “3”), qui ont la faculté à la fois de lever les inhibitions, de couper la fatigue, de créer une excitation sexuelle et d’accroître considérablement l’impression de vivre une partie de sexe intense. Synthétisées dans les années 1920, ces molécules sont restées discrètes jusqu’à ce qu’internet s’en mêle.
“La plupart des produits consommés dans le chemsex, GHB/GBL et cocaïne en tête, l’étaient déjà de longue date parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) qui fréquentaient certains espaces festifs, détaille Maitena Milhet, sociologue chargée d’études à l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et rédactrice du rapport Apache, l’étude actuelle la plus complète sur le chemsex. Ce qui est nouveau, c’est l’apparition de nouveaux produits [parmi lesquels les cathinones] qui n’ont pas les mêmes effets, avec des dépendances qui peuvent être plus rapides.” Comme elles sont synthétisées, elles sont plus aisément fabricables et transportables. Dans la deuxième partie des années 2000, ces drogues deviennent accessibles en ligne, et leur coût abordable, entre 15 et 30 euros le gramme. Quand Julien, après un sevrage de cocaïne de cinq ans, remet le nez dans la poudre, il y voit une aubaine : “Ça faisait un trou dans mon budget, et un ami m’a dit : « Tu devrais essayer la 3. » Je croyais que ça ressemblait à la coke, mais pas du tout. Pendant un an et demi, je n’ai plus eu de sexualité sans ça.”
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Grindr, accélérateur de molécules
Les dealers traditionnels, qui repèrent le filon vers la fin des années 2010, modifient le marché en profondeur, et le sachet de 3-MMC se retrouve vite à côté de la fiole de GHB/GBL. L’un est un excitant, l’autre un sédatif ; ils font la paire. “Il n’y a rien de pire que d’avoir le produit posé sur l’étagère de la salle de bain. Dès que tu as un coup de mou, tu en prends”, signale Fred Bladou, référent chemsex chez Aides. “Avant, en soirée, on consommait de la MDMA ou de la kétamine, confirme Joseph, qui écrit une pièce de théâtre sur le sujet. Maintenant, c’est G et 3 partout. Et comme c’est beaucoup plus dur de s’arrêter tant que le pochon n’est pas fini, quand tu rentres de teuf, tu allumes Grindr… et tu ressors les produits.”
La culture du plan cul facile s’est dans le même temps trouvée boostée par les applis, qui permettent de se dégoter en quelques minutes un compagnon de jeu. “Comme les cathinones, il s’agit d’une hyperconsommation pouvant générer des addictions, relève Fred Bladou. Les chemsexeurs en difficulté ont également souvent une addiction massive aux applis.” En facilitant le recrutement de nouveaux partenaires adeptes des paradis artificiels, Grindr et consorts collent parfaitement à la pratique du chemsex.
"Les applis ouvrent un accès aux produits beaucoup plus large, ce qui peut amener des HSH qui ne consommaient pas à commencer à le faire."
L’utilisation de produits s’est d’ailleurs tellement banalisée que les utilisateurs ne la mentionnent même plus systématiquement dans les discussions préalables à la rencontre. Nicolas, qui essaie d’arrêter, replonge toujours de la même façon : “Un gars vient directement avec des produits, sans avoir prévenu, et je n’arrive pas à dire non.” “Le développement des applis a introduit un changement majeur dans les modalités de rencontres et va de pair avec le chemsex, confirme Maitena Milhet, de l’OFDT. L’offre de produits y est omniprésente, et elles ouvrent également l’accès à un public beaucoup plus large, ce qui peut amener des HSH qui ne consommaient pas à commencer à le faire.” Une tentation à portée de pouce, 24h/24. Ce phénomène n’a d’ailleurs pas échappé à Virginie Despentes, qui le mentionne dans Cher connard, paru en août : “Je constate que la combinaison chemsex Tinder a fait des ravages : ils sont nombreux, et ils sont jeunes pour déclarer un problème avec la drogue.”
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S’ajoutant à ces évolutions, un changement de paradigme a récemment modifié le rapport de la communauté gay au sexe et aux risques associés. Après trente ans de tragédie sida, et donc d’une sexualité sous la menace, contrainte par la capote, la France a ouvert en 2016 l’expérimentation de la PrEP (le traitement préventif permettant d’empêcher la contamination au VIH), laquelle, en cinq ans, s’est démocratisée chez les HSH, notamment dans les centres urbains. Au début, la capote était souvent négligée en soirée chems – les produits faisant facilement oublier tous les réflexes de prévention. Depuis, et c’est tant mieux, la nouvelle pilule bleue permet à ceux qui le souhaitent d’abandonner sans crainte le préservatif.
Covid, confinements et couvre-feux
Une épée de Damoclès envolée, de nouvelles drogues dans le tiroir, un smartphone à la main : le jeu de quilles est en place. Ne manque qu’une boule pour faire basculer nombre de consommateurs irréguliers dans l’addiction ; elle débarque en mars 2020 sous la forme d’un événement inattendu. Thomas a tapé de la 3 pour la première fois au début de cette année-là, avant de se retrouver confiné avec son copain pour cause de Covid-19. “Au bout de deux semaines, on a voulu se faire une petite soirée. Puis on a recommencé une fois par semaine, puis deux, puis trois… Ça n’a pas arrêté depuis.” Joseph aussi estime qu’il y a “un avant et un après” la pandémie. Lui est passé de quelques expériences de chemsex pas forcément concluantes à des “nuits de 72 heures”. Entre les deux, les soirées de couvre-feu en appart. “Mes potes en prenaient de manière festive, se souvient-il. À force d’être entouré de personnes défoncées, j’ai de nouveau consommé.” Pour le docteur Alexandre Aslan, les confinements ont été un accélérateur du phénomène, une étincelle qui a embrasé nos nuits. Les rencontres se font alors plus que jamais via les applications, et les restrictions de circulation “obligent” à rester la nuit entière chez les mecs. Résultat : “Après les déconfinements, la dynamique s’était amplifiée.”
"Le seul moyen que j'ai trouvé pour rencontrer des gens, c'est le chemsex. C'est ça qui m'a fait plonger."
La période est venue accentuer un fait déjà connu : la sociabilité gay passe largement par la fête et le sexe. Tandis que nos amis hétéros quittent le dancefloor pour fonder des familles, nombre d’entre nous continuent d’explorer leur liberté à 30 ans passés. Parfois, la fête vient aussi combler une solitude profonde. Quand Mathieu, fraîchement débarqué à Paris, a rompu, ses week-ends ont vite commencé à se dépeupler. “Mon ex avait plein d’amis, moi non. Le seul moyen que j’ai trouvé pour rencontrer des gens, c’est le chemsex. C’est ça qui m’a fait plonger.” À l’OFDT, Maitena Milhet a identifié cette dimension : “On pense drogues, mais l’expérience des personnes interrogées est bien plus vaste. Ce qui ressort de nos enquêtes, c’est que dans le chemsex est recherchée, parfois même avant le sexe, une dimension de sociabilité : rejoindre un collectif, avoir des échanges, rompre l’isolement.”
Le poids des complexes
Aujourd’hui suivi par un psy, Éric cherche à détricoter ce qui l’a amené à enchaîner week-end après week-end les sessions de chemsex. Aux difficultés déjà identifiées, il ajoute les complexes : “Tu es rejeté par la société, tu trouves ta famille d’adoption, et eux te rejettent à leur tour parce que tu ne baises pas assez, que tu n’as pas une bite assez grosse, pas assez d’abdos… Alors qu’avec le chemsex, d’un coup, ta bite est bien, ton cul est bien, et les mecs veulent de toi.” Julien renchérit : “Quand on a 40 ans et qu’on n’a plus un corps de gym-queen, c’est compliqué de s’assumer. Perché, on se met à poil devant n’importe qui. Mon cerveau me disait : « Tu n’y arriveras pas sans 3. »”
Sous chems, Nicolas s’est ainsi découvert “passif par facilité, parce qu’actif c’est une grosse pression”. Depuis qu’il a arrêté les produits, redevenu actif, il a du mal à ne pas être brutal : “Je suis encore imprégné de ce culte de la performance. Le porno m’a aussi influencé à mort, et plus largement la société, qui valorise les beaux gosses ultra-virils. C’est aussi ce que veulent les gars sur Grindr.” Alexandre Aslan insiste sur l’impact de la pornographie sur nos sexualités : “Quand on est un jeune ado, qu’on est attiré par des personnes du même sexe et qu’on ne peut pas en parler, on va sur internet. Le porno est alors le seul accès à la sexualité, le seul modèle, vers lequel les hétéros vont se tourner plus tardivement. Et n’oublions pas les applis de rencontres, avec le fait d’envoyer des photos de parties de son corps, comme si ces morceaux ne faisaient plus partie d’un tout, reproduisant par là même des codes pornographiques.”
D'un chemsex libérateur à l'addiction
Dans ce monde normé placé sous le signe de la performance, difficile d’assumer, par exemple, qu’on n’arrive pas à se faire sodomiser. Beaucoup d’hommes racontent comment la 3-MMC a été le “remède miracle” à cette difficulté : quelques lignes et la douleur s’envole avec les doutes, pour laisser place au plaisir. Des actifs, on exige qu’ils soient bien durs, bien droits et très endurants. Ce qui n’est pas toujours chose aisée. Alors on mélange des produits psychoactifs avec un Viagra, et hop ! Plus de problème ! De son côté, Tom a pu expérimenter le fist : “C’est une pratique tellement complexe… Le chems permet de rallonger les sessions, qui peuvent durer jusqu’à huit ou dix heures, et de rester excité.”
Pour passer d’un chemsex libérateur à un comportement addictif, la marche est bien moins haute qu’on peut, a priori, le penser. Souvent, il suffit d’un accroc, parfois d’un simple hasard. Beaucoup d’utilisateurs en ayant fait l’expérience invoquent pêle-mêle le stress au travail, le vide du vendredi soir, une rupture suivie d’un sentiment de “plus rien à foutre”… Bien sûr, beaucoup de chemsexeurs parviennent à garder les pieds sur terre. Mais il faut garder en tête que les hommes gays sont en moyenne deux fois plus nombreux que les hétéros à connaître un épisode dépressif ou à avoir des idées suicidaires, et qu’ils consomment également plus d’anxiolytiques et d’antidépresseurs. En 2020, 0,9% des gays et bi français ont fait une tentative de suicide, contre 0,3% des hétérosexuels (selon Santé publique France). En parallèle, un HSH sur deux en moyenne consomme des produits psychoactifs, contre 12% des hommes dans la population générale, d’après une enquête datant déjà de 2004. La cocaïne est, par exemple, six fois plus consommée chez les homos, l’ecstasy neuf fois. Avec la fête et la recherche d’extase, c’est aussi via ces fragilités et ces blessures que le chemsex s’insinue dans nos vies.
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Santé mentale
Évidemment, il n’y a rien d’intrinsèquement “cassé” en nous. Mais l’histoire gay, marquée par la honte et la dissimulation, laisse des traces dans la communauté au rayon santé mentale. “Assumer une orientation non hétérosexuelle, ça veut dire faire face à différentes formes d’homophobie, à un contexte social qui favorise le mal-être”, rappelle Maitena Milhet. Fred Bladou, chez Aides, observe chez beaucoup de chemsexeurs en souffrance “un contexte d’homophobie familiale et d’homophobie intériorisée, avec détestation de soi”.
"Une grande partie des personnes que l'on rencontre nous confient avoir déjà eu des problèmes sexuels avant le chemsex."
Mathieu, lui, pense avoir cherché à réparer “le gros traumatisme de l’adolescence”, quand il n’arrivait pas à choper dans son village et qu’il était sans horizon. “Quand tu te dis qu’en allumant ton téléphone tu vas trouver de quoi occuper ton week-end entier avec des mecs canon, c’est le fantasme qui se réalise, raconte-t-il. Après avoir éjaculé, au bout de trois jours, tu rentres chez toi un peu fier. Puis ça se transforme en habitude.” Et cette fierté ressemble au besoin de validation que décrit le psychologue américain Alan Downs dans son livre The Velvet Rage, où il évoque la figure du petit garçon gay qui, pendant des années, doit se cacher, et dont les validations sociales qu’il retire de son camouflage lui donnent l’impression de ne pas être aimé pour ce qu’il est. C’est ce vide, souvent inconscient, que nous serions nombreux à vouloir combler une fois parvenus à la vie adulte. Par la réussite professionnelle, la beauté de notre appart ou notre “tableau de chasse”, comme si notre amour-propre était consubstantiel au nombre de nos partenaires.
Selon les professionnels, chez 20 à 30% des chemsexeurs en difficulté s’ajoutent d’autres troubles psychologiques. “On sait que les troubles bipolaires ou les troubles de l’attention avec hyperactivité entraînent beaucoup plus d’addictions, note Alexandre Aslan. Une grande partie des personnes que l’on rencontre nous confient aussi avoir déjà eu des problèmes sexuels avant le chemsex. Elles ont d’ailleurs parfois le sentiment de les « soigner » avec les drogues. Mais si ces dernières semblent faciliter les contacts physiques, elles éloignent en revanche de ceux plus sensibles, émotionnels.”
La spirale addictive
Sur cette pente, addiction aux produits et addiction au sexe s’entremêlent jusqu’à se confondre. “En [trois semaines], je suis devenu accro au cul, sex-addict. Le chems[ex] engendre une double addiction, deux dépendances liées l’une à l’autre, constate Zède, le narrateur de Chems, de Johann Zarca, publié en 2021, premier roman sur le chemsex. Je m’aperçois que la simple perspective de mater un porno sous 3-MMC et GBL devient plus excitante que celle de baiser sans l’aide d’un produit.”
Et c’est justement quand la sociabilité s’efface que la spirale addictive s’emballe. “L’accoutumance a fait loi, et le sexe est devenu prétexte à l’usage de drogues”, analyse Laure Westphal, psychologue clinicienne et psychothérapeute, dans un article intitulé Quel peut être le rôle du chemsex dans l’homosexualité masculine ?, paru en 2017. Lorsque les chemsexeurs viennent consulter, explique-t-elle, “ils nous disent avoir besoin de plus de produits pour obtenir les mêmes effets, ou même se focaliser sur l’usage de drogues au détriment des relations sexuelles, dont ils ne font que se souvenir avec nostalgie.”
"Certains déplorent ne plus concevoir de relations sans drogues mais refusent d'envisager la mort que serait une vie sans désir."
Désocialisation, impact sur la vie personnelle ou professionnelle… Cet engrenage est décuplé par la pratique du slam (injection de drogue), particulièrement addictive : “Un orgasme puissance 10, le Nirvana. (…) Après ça, bon courage pour baiser sans produits. Le jour où tu slammes, tu signes l’arrêt de mort de ta sexualité”, lit-on dans Chems. Les effets de cette pratique peuvent rapidement être dévastateurs sur le corps, voire mortels : infections aux points d’injection, formations d’abcès, phlébites liées à la dégradation des voies veineuses, risques d’embolie pulmonaire.
Si les usagers du chemsex sont souvent conscients du danger que représente l’overdose, ils connaissent peu ces autres conséquences. Jusqu’à ce qu’apparaisse, note Laure Westphal, “la prise de conscience que le corps est arrivé au bout de ses limites, qu’ils ne peuvent aller plus loin, donc qu’il faut s’arrêter ou revenir en arrière pour jouer avec les limites à nouveau.” Problème, signale-t-elle : les addicts “déplorent ne plus concevoir de relations sans drogues mais refusent d’envisager la mort que serait une vie sans désir.” Johan Zarca constate lui aussi cette difficulté d’envisager la vie sans chemsex : “Quand je pense à l’abstinence, je me dis « merde, je vais en chier ». (…) Le sexe sous drogues va trop me manquer. Le sexe, ce ne sera plus jamais pareil, plus aussi intense…”
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Un phénomène d'ampleur aux causes profondes
C’est toute la difficulté du phénomène chemsex, qui est venu répondre à nos aspirations autant qu’à nos difficultés. Ouvrant à beaucoup la possibilité d’explorer leurs pratiques, voire leur identité, il offre également un refuge contre l’homophobie, qu’elle soit extérieure ou intériorisée. Mais nous récoltons aussi ce que notre société de consommation, de performance, de sexualisation et de stigmatisation a semé. Aujourd’hui, la sexualité du chemsex impacte tout le monde. Combien de propositions de plans chems avez-vous reçues sur les applis ? Sans y avoir nécessairement pensé, le chemsexeur place celui qui ne consomme pas devant une décision : refuser le rapport ou essayer d’atteindre un niveau de performance sexuelle totalement inaccessible sans drogues.
"Comment nous, une communauté qui devrait se serrer les coudes, pouvons-nous foncer dans le mur sans rien dire ?"
Alors que faire ? Avant tout, en parler. Individuellement, à la moindre inquiétude, à ses amis et à des professionnels. Collectivement aussi, sans détourner le regard des victimes de plus en plus nombreuses d’un phénomène qui les entraîne par le fond. “Comment nous, une communauté qui devrait se serrer les coudes, pouvons-nous foncer dans le mur sans rien dire ?” interpelle Éric, qui se souvient pourtant avoir conseillé à son meilleur ami d’essayer, lui expliquant à quel point c’était génial. “On a tous un pote qui gère et qui va gérer, mais les autres sont en sursis, alerte-t-il aujourd’hui. La difficulté est d’accepter qu’il y a un mal-être, et de retrouver un amour-propre qui ne soit plus dépendant de la consommation de drogues. J’ai encore envie de m’éclater, mais j’ai aussi envie de m’aimer à nouveau…” En conclusion de son analyse clinique du chemsex, Laure Westphal écrit : “L’enjeu devient peut-être, pour le sujet, d’envisager l’amour comme un danger aussi excitant que l’association du sexe et de la mort.” Joli défi.
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*Prénom modifié