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interviewRencontre avec Dan Reynolds, leader du groupe Imagine Dragons et super allié

Par Antoine Patinet le 30/11/2022
Dan Reynolds, leader du groupe Imagine Dragon

Le beau gosse leader du groupe pop rock Imagine Dragons met sa voix et sa célébrité au service des droits LGBTQI+. Alors que le groupe vient d'ouvrir la billetterie de son concert à Paris La Défense Arena le 22 août 2023, entretien avec Dan Reynolds, que nous avions rencontré pour notre numéro 228.

C’est rare les gens qui vous demandent comment ça va et qui se préoccupent vraiment de la réponse. C’est encore plus rare quand il s’agit du leader d’un des groupes de pop rock les plus écoutés au monde. Mais Dan Reynolds, attrapé au saut du lit à cause du décalage horaire, est de ceux-là. Certes, Imagine Dragons est littéralement 100% hétéro, et le chanteur, avec ses gros bras et son air de fratboy, au mieux colle à un fantasme de porno gay, au pire à l’incarnation de ces mecs qui profitent de leur position dominante pour en faire baver à tout le monde. Mais Dan Reynolds nous arrête de suite : “Je sais que je ressemble au stéréotype du mec qui fait du football américain. C’est un peu ce que je suis, c’est là d’où je viens. Mais je sais aussi que c’est ce qui fait ma plus grande force en tant qu’allié.”

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Car, depuis plus de dix ans, le chanteur n’a jamais cessé de se servir de sa place privilégiée pour défendre les droits des personnes LGBTQI+. En 2017, il a créé Loveloud, un festival et une fondation dont les bénéfices sont reversés à une trentaine d’associations communautaires. En 2020, il a annoncé que sa maison d’enfance, dont il venait d’hériter, accueillerait désormais des jeunes LGBTQI+ virés de chez eux. De mauvaises langues crieront au pinkwashing, mais rappelons toutefois que l’engagement de certaines popstars ne va pas plus loin qu’un post Instagram lors du Mois des fiertés. Son implication a d’ailleurs valu à Dan Reynolds des menaces de mort, et une protection policière par le FBI.

C’est drôle, tu as commencé l’entretien par un “et toi, tu vas bien ?” qui m’a décontenancé. Ça t’intéresse vraiment de savoir comment je vais ?

On va passer un moment à discuter, c’est bien de savoir dans quel état d’esprit tu te trouves, non ?

Tu confirmes ce qu’on avait déjà pu entendre sur le nouvel album d’Imagine Dragons : la santé mentale, tu prends ça très au sérieux !

La plupart du temps, si les artistes se tournent vers l’art, c’est à cause d’une détresse émotionnelle. J’ai entendu une statistique l’autre jour : 75% d’entre eux disent souffrir d’une forme de dépression ou de maladie mentale. Les artistes sont des personnes sensibles et, en cela, peut-être qu’ils font preuve de plus d’empathie. En tout cas, moi, j’ai cette impression. Je suis extrêmement sensible. La première fois que j’ai vu des gens se battre, ça m’a rendu littéralement malade, ça m’a donné envie de vomir.

C’est pour ça que tu défends les personnes LGBTQI+ ?

Je ne supporte pas de voir des personnes qui souffrent. Je ne supporte pas de voir des gamin·es se faire harceler. En tant qu’homme cisgenre, hétéro, blanc, on m’a beaucoup donné. Et je veux utiliser ce que j’ai reçu pour rendre le monde un peu meilleur. Je suis sur des scènes du monde entier tout le temps, souvent dans des endroits qui ne sont pas sûrs pour les jeunes LGBTQI+. Lors d’un concert en Russie, dans un stade de 10.000 places, chaque fois que des fans brandissaient des drapeaux arc-en-ciel, la sécurité se précipitait pour les leur arracher des mains. Alors tout le monde a sorti son téléphone et a affiché une image d’arc-en-ciel dessus. Il y en avait des milliers et des milliers. La sécurité n’a rien pu faire. C’était magnifique.

Chacun·e devrait pouvoir aimer qui iel veut aimer, et être ce qu’iel veut être. Les jeunes comprennent ce principe. Notre génération a grandi avec la haine, la désinformation, des principes religieux datés… Aujourd’hui, les enfants commencent à penser autrement. Il faut leur enseigner l’amour des autres, mais surtout l’amour de soi.

Plus facile à dire qu’à faire…

On dit souvent qu’il est égoïste de se faire passer en premier. Mais, en réalité, on devrait faire passer sa santé mentale avant toute autre chose, parce que vous ne pouvez pas aider les autres si vous n’allez pas bien. Il faut se réveiller chaque jour en se demandant “de quoi ai-je besoin ?”, “quelles sont les choses qui me rendent heureux ?”, et, surtout, ne pas passer du temps avec des gens qui vous jugent ou qui vous rabaissent.

Tu parles de ça dans “No time for toxic people”. Tu trouves qu’il y a de plus en plus de gens toxiques ?

Il y a de plus en plus de gens blessés. Et ils ne savent pas comment gérer cette blessure, comment y faire face. Alors ils se tournent vers la colère, le jugement des autres, la haine, parce qu’au fond ils se détestent. Il faudrait probablement avoir de l’empathie pour eux, essayer de les comprendre. Mais il ne faut pas non plus s’y attarder, notamment si l’attitude de cette personne perdure et influe sur votre moral. Vous êtes prioritaire. Et si quelqu’un ne vous accepte pas pour ce que vous êtes, parle mal de vous ou vous fait sentir que vous ne pouvez pas être vous-même, ne perdez pas votre temps avec cette personne. La vie est trop courte.

Selon toi, quelle est la clef pour être un bon allié ?

Il n’y a pas de réponse simple. Ça commence par ne pas parler de choses que l’on ne connaît pas, par ne pas dire que l’on comprend l’expérience LGBTQI+ quand on n’est pas LGBTQI+, ou ce que c’est d’être un homme noir alors qu’on est un homme blanc. J’ai eu une vie vraiment privilégiée. Mais, tu sais, quand j’étais au collège, j’étais loin d’être une rock star. Je n’étais pas sportif, je jouais dans la fanfare [non, ce n’est pas ce que vous croyez, la vraie fanfare, avec les trompettes et les tambours]. Je me baladais avec un saxophone plus grand que moi, j’avais de l’acné et un appareil dentaire. Comme beaucoup d’enfants, j’ai vécu le harcèlement scolaire… Mais, même si l’on a des expériences humaines qui peuvent paraître similaires, ça ne donne pas l’autorisation de parler au nom des autres.

Quand on te voit aujourd’hui, on a du mal à croire que tu étais cet ado-là…

J’ai deux maladies auto-immunes, et la seule façon de les garder en rémission sans médicaments sérieux est de manger très sainement et de faire de l’exercice tous les jours. Si je ne le fais pas, mes articulations vont fusionner, et je vais mourir. Donc je n’ai pas vraiment le choix ! Les récits du genre “la rock star doit se droguer, être maigre, ne jamais aller au sport”, c’est de la merde. C’est tout aussi toxique que d’enseigner aux enfants qu’ils doivent absolument être minces ou musclés pour être beaux.

Pourtant, tu enlèves souvent ton tee-shirt. On pourrait croire que tu te pavanes…

J’ai grandi dans une famille mormone très stricte. Je devais porter des vêtements très couvrants, et j’ai traversé la vie en ayant l’impression que je devais cacher mon corps. Ce n’est plus qui je suis. Désormais, mon corps, je le célèbre !

Quand tu t’engages en faveur des droits des personnes LGBTQI+, tu engages un peu le groupe dont tu es le leader. Ils sont tous OK avec ça ?

On est très proches, on a eu des centaines de conversations sur le mal que peut faire la religion aux jeunes LGBTQI+. Ils savent que plusieurs de mes amis élevés dans des familles mormones se sont suicidés, persécutés par la croyance de leurs proches. Ils me soutiennent dans tout ce que je fais.

On a souvent l’impression que les groupes ont une date de péremption. Ça vous inquiète ?

Le groupe, c’est comme le couple, ce n’est pas toujours facile. C’est même très compliqué. Vous prenez quatre personnes très sensibles, vous ajoutez la célébrité, les ego, les critiques, les fans, l’argent… C’est la recette parfaite pour un désastre.

Comment avez-vous fait pour tenir dix ans alors ?

La thérapie de groupe ! (Rires.) Je vais en thérapie depuis que je suis adolescent. Pour moi, mais aussi pour les autres membres du groupe, c’est important d’avoir un espace où l’on s’écoute vraiment, où quelqu’un t’aide à dire ce qui se passe vraiment dans ta tête, et à mieux comprendre ce qui se passe dans la tête des autres.

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Photographie Max Wellpoth
Dessin Juan Francisco Bertoni