interviewCalendrier têtu· 2023 : "J'adore jouer à la poupée avec des hommes"

Par Tessa Lanney le 05/12/2022
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Alice Moitié est à la fois photographe, réalisatrice, et une alliée qui n'hésite pas à remettre en question les stéréotypes de genre dans le couple hétéro. Pour têtu·, elle a photographié un calendrier mêlant personnalités LGBTQI+ et alliées. Rencontre.

Alice Moitié est une photographe et une réalisatrice incontournable, coqueluche du monde de la mode, mais pas seulement. "Je fais tout et n’importe quoi, j’ai seulement envie de m’amuser, déclare-t-elle d’un ton malicieux. C’est super de se dire qu’aujourd’hui je fais un calendrier pour têtu·, qu’hier je faisais une pub de Noël pour Bouygues et que, demain, je ferai une pochette d’album. Quand un projet me plaît, je fonce."

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Le 15 décembre sort le calendrier NFT shooté par Alice Moitié. Un NFT, c’est un objet numérique unique et non interchangeable, un art digital dont on acquiert le certificat d’authenticité. Chaque NFT s'accompagnera d'une photo, mais attention, leur nombre étant limité, seules 50 personnes pourront recevoir chez eux le précieux calendrier.

Dans la sélection de la photographe, on trouve des personnes LGBTQI+ et des alliés. "Je voulais que ce soit à la fois éclectique et divers. J’ai privilégié les talents aux modèles. Il y a des acteurs, une modèle, des tiktokeurs. Je ne voulais pas uniquement des grosses stars." On retrouve par exemple Lalla Rami, Yassin Chekkouh ou encore le danseur Guillaume Diop. Le but, avoir quelque chose d’arty mais d'accessible. "Ni trop attendu, ni trop intouchable", une devise qui sied parfaitement à l’artiste.

C’est différent de shooter des personnes queers et des personnes cis hétéros ?

Alice Moitié : Je n’ai pas fait de distinction. Je n’ai pas envie de devoir rassurer un hétéro en lui disant "non tu ne feras pas gay". C’est stupide comme état d’esprit, je préfère travailler avec des gens ouverts d’esprit. Bon si vous regardez les photos, vous remarquerez que Yassin Chekkouh est plus dénudé, mais c’est parce qu’il est coach sportif, pas parce qu’il est gay. C’est son métier, alors il montre un peu d’abdos, et donne à voir au public !

Ça t’arrive de puiser dans la culture queer quand tu shootes ?

D'une certaine manière, dans le sens où je ne genre pas vraiment mes modèles. J’aime déguiser les garçons, tout comme j’aime déguiser les filles. J’ai toujours déguisé mes copains, par exemple. Je n’oblige personne à adopter un style qui ne lui correspond pas, mais j’insiste toujours sur le fait qu’il faut savoir s'amuser, se décoincer. J’ai également un rapport à la nudité qui n’est pas sexualisant. Je pense que le sexy ne vient pas forcément de là. En tout cas, il est certain que la nudité est plus complexe pour les femmes, et qu'il est également plus difficile pour nous d’accepter de ne pas être sexy. Pour les hommes, c'est différent. S'ils se baladent les fesses à l’air, ça fait rire les gens, et personne ne trouve ça vulgaire. Il faut qu’on se détende avec la nudité, qu’on la normalise pour tout le monde.

Comment tu t’y prends pour te détacher des stéréotypes de genre ?

Qu’on se le dise, on est arrivés au bout des clichés du féminin et du masculin. Les femmes fragiles dans des postures lascives, de soumission, avec de grands yeux de biches apeurées, c’est totalement ringard. Même chose pour l’homme d’affaires qui remet son bouton de manchette, le regard tourné vers le bas. Si on peut éviter de faire croire que le monde se divise entre les petites filles fragiles et les banquiers, ce serait pas mal. Quitte à utiliser les clichés, autant faire comme Jean-Paul Gaultier avec ses pubs de parfum lorsqu'il exagère la virilité et fait des travelling dans des vestiaires. Jouer avec les codes c’est drôle, c’est sexy, c’est amusant. Évitons de trop nous prendre au sérieux.

Tu aimes jouer avec les codes de la virilité ?

En fait, j’adore jouer à la poupée, alors je me fais plaisir, je maquille les hommes, je leur mets des jupes. C’est plus rigolo que d’habiller une fille en garçon, d’autant plus que le vestiaire masculin reste assez basique. Il y a une époque où ils s’amusaient un peu plus. Sous Louis XIV, par exemple, si on veut remonter loin, mais même dans les années 1970. Ce que je trouve sexy, c'est quand un mec ne craint pas qu’une pose ou un habit remette en cause sa sexualité ou son idée de la virilité. La jeune génération, qui est bien plus à l’aise avec cette fluidité et se met beaucoup moins d’étiquettes, est bien plus fun.

Comment fais-tu pour capturer la personnalité de tes modèles ?

Je mets un point d’honneur à ne pas tout de suite diriger les modèles. Je les laisse faire, j’observe les domaines où ils sont à l’aise, ce qui leur vient naturellement, ce qui me permet de mieux cerner leur personnalité. Si un mannequin est timide, sensible, je veux que ça transparaisse. Et puis je discute avec eux du choix final. Je leur montre ma sélection et je leur demande si l’une des photos les met mal à l’aise, s’il y en a une qu’ils apprécient. Ça leur permet de tenter des trucs face à l’objectif parce qu’ils savent que rien ne sortira sans leur consentement. Ce lien de confiance est primordial pour que tout le monde soit détendu.

Une technique secrète pour qu’ils soient détendus ?

Je me comporte avec mes modèles comme avec mes potes, peu importe avec qui je travaille. Je ne suis pas particulièrement polie, douce ou agressive. Et je n’ai pas besoin de manipuler les gens, d’être intrusive ou de leur poser des milliards de questions. C’est donnant-donnant, je suis naturelle et je leur demande de l’être aussi. Je regarde, je pose deux ou trois questions, je leur explique grosso modo comment ça va se passer. S’il y a des craintes je peux les rassurer, mais c’est rare.

Pour toi, c’est quoi être une bonne alliée ?

Être une bonne alliée, je dirais que c’est d’abord écouter avant de parler. Écouter et se taire. J’essaie aussi de me renseigner sur des sujets qui a priori ne me concernent pas. Par exemple, la première fois que j’ai entendu parler de blackface, c’était quand une meuf blanche s’était déguisée en la chanteuse Solange Knowles pour Halloween. Au départ, je n’ai pas tout de suite compris, alors je me suis renseignée et j’ai écouté les discours des personnes concernées. Aujourd’hui, on parle beaucoup de transidentité, alors je trouve ça important d’entendre la parole des personnes trans et de s’intéresser à leur vécu.

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Crédit photo : Alice Moitié via Instagram