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Nos vies queersAmour et sexe : ces bi qui préfèrent les bi, et pourquoi

Par Tom Umbdenstock le 16/12/2022
bisexualité

[Article à retrouver dans le nouveau têtu·, disponible en kiosques.] Certaines personnes bi préfèrent relationner avec d'autres bi. Si une des raisons invoquées est d'éviter les préjugés, cela leur permet surtout de mieux vivre et de mieux explorer leur désir.

“Pour nous c’est marrant parce qu’on matte les mecs ensemble, raconte Pauline, bi/pan de 30 ans et amoureuse d’un homme bi. Ça rend le truc un peu fun.” Dans un couple, lorsque les deux moitiés sont bisexuelles, les équilibres changent, et les partenaires éprouvent plus de facilité à comprendre et à partager les désirs de l’autre. “Il y a un côté ludique à pouvoir parler de ce qui peut nous attirer chez des garçons ou des filles, explique ainsi Clément, 34 ans. C’est drôle de connaître le désir de l’autre, et agréable à partager. Ça permet de mieux se comprendre, dans toute notre complexité.” Alice, 35 ans, bi/pan, sa compagne, abonde : “Avec lui, je me suis sentie un peu moins seule dans ma sexualité. L’effet miroir est rassurant.” 

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Coordinatrice du groupe bi/pan au centre LGBTQI+ de Nantes, Clémentine sort avec une femme bi. “Aucune de nous ne considère être devenue lesbienne, raconte-t-elle. Ni elle ni moi ne renions notre attirance pour les deux sexes. En revanche, pour mon entourage, je suis passée aux femmes”, raconte-t-elle. Clément, quant à lui, a profité de sa relation pour faire son coming out bi : “Le fait de le vivre à deux m’a permis de l’assumer beaucoup plus, d’en parler autour de moi, à ma sœur ou à mes potes d’enfance, à qui j’aurais pu le dire bien avant.”

Bi et pan, plus qu'une question de feeling

Quoi de mieux que quelqu’un qui nous comprend pour exprimer qui on est, résume Félix Dusseau, doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, qui travaille sur l’intimité et la sexualité, et notamment sur la bisexualité. Spontanément, cela me semble évident que des personnes bisexuelles aiment se retrouver, parce que la bisexualité est une question de possibilités relationnelles, sexuelles, et d’expérience de genre.” Bi et pan partageraient donc un certain rapport au monde. Et la différence entre eux est fine, presque conceptuelle : les bi sont attirés (sentimentalement ou sexuellement) par différents genres, que ne prennent pas en compte les pan, qui tombent avant tout amoureux d’une personne. 

Être bi, c’est le bordel, donc en fréquenter ouvre de grands espaces de conversations, schématise Alice. Quand on sort avec un mec bi, les rôles du genre au sein du couple peuvent également être débattus plus facilement. Comme si la déconstruction était propre à nos trajectoires individuelles.” Plusieurs femmes bisexuelles rencontrées dans le cadre de cet article partagent en effet l’idée qu’en général les hommes bi sont plus “déconstruits” que les hétéros. Ainsi, Pauline considère son amoureux “assez libre dans sa façon d’exprimer ses émotions”“Il y a peut-être un truc un peu plus sensoriel chez lui, dans ses gestes. Il ne se cache pas derrière une façade de mec hétéro”, explique-t-elle.

“Il y a forcément une part de déconstruction parce qu’ils se sont posé des questions sur leurs affects et leurs désirs pour le même genre qu’eux."

Clarisse, 28 ans.

Clarisse, 28 ans, est elle aussi couple avec un homme bi : “Il y a forcément une part de déconstruction parce qu’ils se sont posé des questions sur leurs affects et leurs désirs pour le même genre qu’eux. Après, l’un de mes ex m’a prouvé qu’on pouvait être bi et un gros connard ! Ça, tu peux le dire aussi”, ajoute-t-elle, un brin provocatrice. Ayant toujours été attirée par le “côté féminin chez les hommes ou masculin chez les femmes”, elle apprécie particulièrement ce “jeu de genres” et décèle chez son partenaire “une ambivalence, un jeu avec les codes normatifs”“C’est-à-dire qu’il peut jouer l’homme comme la femme, dans ses paroles ou dans ses gestes”, explique-t-elle, y trouvant quelque chose d’assez sensuel.

Car, dans l’intimité sexuelle, il paraît plus simple pour les bi d’exprimer l’étendue de leur désir lorsqu’ils s’acoquinent avec d’autres bisexuel·les. “Avec mon amoureux, on a envie d’expérimenter plus de choses dans l’intimité parce que l’on sait qu’il n’y a aucune limite d’un côté ou de l’autre. Je peux, par exemple, le pénétrer avec des sextoys, et c’est très cool”, s’exclame Pauline en riant.

Mais elle prête aussi à son compagnon une sensibilité accrue à ses propres désirs, ce qui n’était pas le cas avec ses précédents amants : “Je pense que les hétéros ne prennent pas le temps. Dans ma vie de couple, avant, c’était toujours le même schéma : tu te touches la nouille, tu te lèches un peu, puis il y a pénétration, éjaculation, et c’est fini.” Antoine, 30 ans, est comme rassuré que les deux femmes avec qui il est en couple libre soient elles aussi bi. “Elles vivent des expériences avec les deux genres. Avec d’autres femmes, elles trouvent ce que je ne peux leur apporter intellectuellement ou sexuellement. Elles sont plus épanouies.”

Thibo et Chris, un couple d'hommes bi

Thibo, 42 ans, et Chris, 48 ans, explorent ensemble les potentiels de la bisexualité et partagent le même désir pour leurs amantes. “Ce qui m’attire beaucoup chez lui, c’est qu’il aime les femmes”, explique Chris à propos de son conjoint. “Sortir avec un homme gay exclusif aurait été compliqué pour moi, confie Thibo. À moins qu’il accepte que j’aille voir des femmes.”

Je ne sais pas si je les préfère, mais en tous cas je me sens plus acceptée avec les personnes bi, note Clémentine, bi/pan de 36 ans en couple avec une femme bi rencontrée sur un forum de discussion dédié. Juste avant de rencontrer ma compagne, je draguais une femme lesbienne, avec qui j’avais évoqué ma bisexualité. Elle m’avait répondu : « Personne n’est parfait. » Rien de bien nouveau, ce genre de boutades étant récurrent dans la communauté malgré leur caractère biphobe. “Sur les applis, quand je dis que je suis bi à des mecs, certains me répondent :« Bah nan, ça va pas, tu te tapes des meufs », observe Luka, 35 ans, pansexuel et coprésident de l’association Bi’Cause.

Avec plusieurs autres, cette dernière a mené une enquête sur la biphobie auprès de 3 625 personnes. Sur les sites de rencontres, il apparaît que les remarques sur l’orientation sexuelle des personnes bi sont, la plupart du temps (62 %), négatives. Et si 29 % d’entre elles se disent prêtes à parler avec leurs partenaires de leur orientation, elles appréhendent toutefois leur réaction et sont 82 % à être plus à l’aise à l’idée de faire leur coming out à leurs partenaires du même genre. “Ces chiffres laissent supposer qu’un coming out bi en contexte d’homosexualité est plus facile à envisager”, analyse l’étude.

La bisexualité, objet de fantasmes et de clichés

Beaucoup de mecs hétéros fantasment sur le fait que j’aime aussi les filles”, confie Lisa, pansexuelle de 28 ans. Les femmes bi sont, en effet, souvent réduites aux fantasmes lesbiens ou de plans à trois. Se trouver un partenaire bisexuel préserve donc de faire l’objet de potentiels clichés biphobes, qu’ils viennent du monde hétéro ou de la communauté homo. “Des mecs bisexuels témoignent également à Bi’Cause du rejet qu’ils subissent de la part d’hommes craignant qu’ils ne les trompent avec des femmes, déplore Luka. Il y a un présupposé selon lequel, quand on est bi, on a forcément besoin de changer régulièrement de partenaire sexuel.” 

Lisa aussi a été victime des stéréotypes dans l’entourage d’une ex lesbienne. “Ses potes ne me faisaient pas confiance, avaient peur que je sois simplement en train de faire mes expériences, que je ne sois là que par curiosité”, se souvient-elle. Plus tard, elle est sortie avec une femme bi : “C’était tellement plus simple, plus apaisé. Je n’avais plus peur qu’on m’accuse d’être une hétérocurieuse infiltrée dans le milieu lesbien.” Plus généralement, dans les personnes que Félix Dusseau a interrogées, “la bisexualité interroge l’aspect polymorphe du désir et la question de l’exclusivité dans le couple”, note-t-il. De fait, plusieurs des personnes interrogées ici sont en relation libre, ou polyamoureuses.

Pas question non plus pour les bi ou pan, en dénonçant la biphobie, de ne chercher à vivre qu’entre eux. “À Bi’Cause, on essaie d’être inclus dans des assos et des collectifs. On essaie de faire connaître la bisexualité, les personnes bi/pan. On lutte contre le rejet intracommunautaire. Ce serait dommage de créer une communauté dans la communauté”, explique Luka. Alice tient d’ailleurs à préciser : “Quand on parle des bi dans la communauté, on a tendance à se concentrer sur les aspects négatifs, comme la biphobie. Mais il faut aussi dire qu’on avance sur des victoires communes, ajoute-t-elle. Personnellement, c’est ma bande de potes queers qui m’a fait « sortir » de l’hétérosexualité il y a sept ans !” 

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Illustration : B. Fernandez