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livre"I love Porn" : le pornopédia gay signé Didier Lestrade

Par Morgan Crochet le 22/12/2022
Didier Lestrade livre i love porn

Cofondateur d’Act Up-Paris et de têtu·, Didier Lestrade a publié I love Porn en 2021, une déclaration d’amour au porno dont il propose une histoire personnelle et passionnément geek. À retrouver dans le têtu de l'hiver disponible en kiosques.

“J’ai tout de suite compris que le porno participerait à l’évolution des droits des homosexuels, écrit Didier Lestrade, militant anti-sida cofondateur d’Act Up-Paris et de têtu·, ancien journaliste musical à Libération et l’un des essayistes les plus importants de la communauté. En témoigne son dernier livre, I love Porn, publié en 2021 aux éditions du Détour, une histoire passionnée, érudite et située du porno des années 1970 à nos jours, écrite à la première personne par ce sexagénaire aujourd’hui décroissant, installé dans sa “campagne perdue”, ermite-esthète veillant sur son jardin et sur un trésor de VHS et de DVD pornographiques. Ce geek passionné propose donc de découvrir un “porno éthique”“transformatif”, qui, en rendant compte de nos modes de vie et de baise, et en ayant été présent dans les périodes les plus difficiles que nous ayons traversées, a participé, au même titre que le cinéma ou la musique, à notre émancipation.

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Le porno fier des 7O's

C’est par un porno fier que Didier Lestrade commence son ouvrage, par le porno mythique des années 1970 dont la particularité est d’avoir collé comme nul autre à son époque. Alors que l’homosexualité est criminalisée aux États-Unis, les premiers studios californiens mettent en scène la vie gay telle qu’elle est, en train d’exploser : “Drague dans la rue ou les parcs, fellations dans les clubs ou devant les glory holes, baise à plusieurs dans les saunas, sodomie décomplexée.” 

Le porno présente alors une homosexualité heureuse, déculpabilisée, fraternelle et bienveillante dans des scènes de sexe tournées en pleine nature, sous le soleil californien. “Ce qui est révolutionnaire, c’est que ces hommes ne se cachent plus, ils deviennent même les premiers à faire leur coming out quand tant de leaders culturels cachent encore leur homosexualité. (…) Sexuellement c’est basique, mais l’effet symbolique est immense”, écrit l’auteur à propos de ce porno solaire qui constitue un des témoignages les plus fascinants de la vie gay de l’époque.

L'arrivée du VIH

Le porno va ensuite revêtir une tout autre fonction lors de la crise du VIH, à partir des années 1980 durant lesquelles Didier Lestrade (son livre Act Up, une histoire vient d’être réédité aux éditions La Découverte) considère que ces films lui ont sauvé la vie : “Pendant toutes ces années de solitude et de terreur causées par le sida, le porno m’a permis d’avoir accès à une sexualité par procuration. (…) Quand le sexe faisait défaut, quand il était synonyme de mort et de maladies, il y avait toujours cette option, finalement inoffensive, qui nous reliait à des fantasmes.” 

"Le porno est pratiquement le ciment invisible qui fait que tout ne s’écroule pas un jour.” 

Si ce rôle de soupape, que le porno gay va conserver dans les années 1990, a de nouveau fait ses preuves durant la pandémie de Covid-19, il ne se circonscrit pas uniquement aux grands cataclysmes de ce monde. “Le porno est un remède à la solitude et au désespoir sexuel, ajoute-t-il. Comme l’alcool et les drogues, le porno fait partie de ces antidépresseurs de masse qui rendent la vie moins intenable. Il apporte du plaisir à ceux qui n’ont rien. Il remplit un manque affectif qui concerne une énorme partie des hommes et des femmes de notre société. Il est pratiquement le ciment invisible qui fait que tout ne s’écroule pas un jour.” 

Splendeur et déconfiture des grands studios

Et il faut attendre les années 2000, considérées par l’auteur comme un âge d’or, pour que les avancées dans la lutte contre le sida, l’essor du DVD, les progrès techniques, de nouveaux studios et la mise en valeur d’autres pratiques sexuelles redonnent un coup de boost à un genre devenu aseptisé, et dont le tournant amateur des années 2010 va provoquer la chute. “Le porno amateur dévore une industrie étouffée, mais gagne en valeur intellectuelle. On peut enfin parler du porno. Il aura fallu quarante ans pour que le X réussisse son rêve : libérer la société”, écrit Didier Lestrade, qui constate l’ampleur inédite d’un phénomène, de la dick pick aux comptes Onlyfans.

Partant toujours de sa propre expérience, l’auteur fait également un sort à quelques idées reçues. En effet, non content d’accompagner la communauté depuis son origine, le porno pourrait modifier nos pratiques en les rendant plus altruistes. “Quand je fais l’amour avec quelqu’un, je suis (trop) occupé par le plaisir de l’autre, car je sais que je peux avoir une satisfaction égoïste en me branlant plus tard devant un film”, avance-t-il, illustrant à travers lui l’idée que le porno rendrait plus attentif au désir de nos partenaires.

La pornographie permettrait également de s’ouvrir au monde, à l’altérité, à d’autres pratiques, et de se dégager de ses préjugés. Didier Lestrade suggère aussi que le porno amateur, en imposant des physiques jusque-là bannis des productions classiques, comme les gros, les vieux ou encore les personnes en situation de handicap, permettrait d’éduquer le public sur la sexualité des personnes stigmatisées.

Politique et poétique du porno gay

Le X est le prolongement du militantisme et montre par le sexe ce que les activistes demandent avec des pancartes. Les slogans exigent le droit de s’aimer et de baiser comme on veut ; le porno le met en image”, écrit-il, inscrivant nos luttes et le porno gay dans un même élan émancipateur. Mais si la pornographie apparaît chez lui comme éminemment politique, l’auteur lui reconnaît aussi une réelle valeur artistique, et poétique ; le soleil dont la course évolue entre les prises, le cadran d’une horloge donnant la durée réelle d’une scène, le vieillissement des acteurs, nos jouissances simultanées. 

“Les films de solos de Jean-Noël René Clair, par exemple, renouvellent l’idée du gisant médiéval qui a été si important dans l’art.”

“Le plus incroyable, c’est de regarder un film exactement au même moment où les oiseaux de votre propre jardin chantent le motif des oiseaux dans la scène”, ajoute Didier Lestrade, qui n’hésite pas à rapprocher certains photogrammes de la peinture : “Les films de solos de Jean-Noël René Clair, par exemple, renouvellent l’idée du gisant médiéval qui a été si important dans l’art.” Et c’est parce qu’il s’inscrit aussi bien dans le réel que dans l’histoire de l’art que le porno permet à l’auteur d’affirmer, et à nous de conclure : “Le porno est poétique. Il est la réalisation de nos rêves.”

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