spectacle"No(s) dames", le spectacle musical qui rend justice aux tragédiennes

Par Aurélien Martinez le 03/04/2023
spectacle Théophile Alexandrere

Avec l’album, le spectacle et le livre No(s) dames, le contre-ténor Théophile Alexandre interroge la place des femmes, éternelles victimes des désirs masculins dans les récits d’opéra. Un spectacle qui revient le 11 avril au Trianon, à Paris.

C’est l’histoire de Carmen, bohémienne au tempérament volcanique, qui éconduit un homme ; à la fin, elle meurt. C’est celle de Violetta, courtisane qui refuse un grand amour au nom des conventions sociales ; à la fin, elle meurt. C’est celle d’Eurydice, jeune femme que son homme tente en vain de sauver des Enfers ; à la fin, elle meurt (une deuxième fois). “Poignardées, empoisonnées, éventrées, brûlées, étranglées, défenestrées… En quatre siècles d’opéras masculins, le sort des héroïnes est aussi tragique que leurs airs sont sublimes”, résume, avec le sens de la formule, le contre-ténor Théophile Alexandre. Afin de dénoncer ce “fatalisme de genre” (ici dans les exemples de Carmen de Georges Bizet, de La Traviata de Guiseppe Verdi et d’Orphée et Eurydice de Christoph Gluck), il a imaginé le projet No(s) dames“hommage dégenré aux tragédiennes d’opéra”. Accompagné du quatuor Zaïde, il interprète lui-même ces personnages maltraités. Sorti en début d’année, l’album est un succès – la production annonce fièrement plus de trois millions de streams – qui démontre la capacité de notre époque à enfin affronter tout un héritage culturel patriarcal. 

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C’est chez sa tante, alors qu’il était adolescent, que Théophile Alexandre découvre, sur un vinyle, l’opéra Carmen et son fameux air “L’amour est un oiseau rebelle”. Le coup de foudre est immédiat. “Au-delà de la musique de Bizet, incroyable, j’ai tout de suite été fasciné par cette femme forte, libre, tout en ne comprenant pas pourquoi elle meurt à la fin”, se souvient-il. Des années plus tard, lorsqu’il se familiarise avec d’autres opéras du répertoire pendant ses études au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, il ira de (mauvaise) surprise en (mauvaise) surprise, constatant que la plupart des chefs-d’œuvre offraient des destins terribles à leurs héroïnes.

Inversion des codes de l'opéra

Aujourd’hui jeune trentenaire, Théophile Alexandre a décidé de remettre en question ce “romantisme de la chute des femmes” à sens unique, comme l’ont fait avant lui quelques spécialistes (à l’image de l’autrice Catherine Clément en 1979 dans son essai L’Opéra ou la défaite des femmes). “Bien sûr, il existe quelques rôles où les hommes souffrent, mais ils sont très rares. C’est ce constat dérangeant qui a posé la première pierre du projet, détaille-t-il. J’ai ensuite tiré un fil autour de cette fatalité, pour essayer de trouver une solution. Du moins tenter d’en proposer une pour donner à entendre aujourd’hui ces musiques magnifiques sans perpétuer cette fatalité.”

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Crédit : Julien Benhamou

Sa solution réside en une inversion des codes de l’opéra, puisque c’est lui qui interprète cette fois les grands tubes lyriques des personnages féminins de Carmen, de La Flûte enchantée, de La Traviata, de Samson et Dalila ou encore des Contes d’Hoffman : “J’ai voulu qu’un homme – moi – chante tous ces airs de diva, de soprano, pour montrer que, oui, les hommes peuvent également souffrir d’amour, peuvent également être transportés par le romantisme.” Avec le directeur artistique Emmanuel Greze-Masurel, il a sélectionné 23 rôles puis travaillé les partitions avec l’arrangeur Éric Mouret. “On a arrangé la musique vocale, très aiguë, car à la base écrite pour des sopranos, en la baissant afin que je puisse la chanter, explique-t-il. En parallèle, on a réduit et adapté la musique instrumentale, puisqu’à l’époque ces airs étaient composés pour des orchestres d’une quarantaine d’instrumentistes. Nous passons maintenant à un quatuor, avec deux violons, un alto et un violoncelle. Le format devient très intime et nous permet de trouver quelque chose d’humain dans une forme – l’opéra – assez surhumaine, avec ces sopranos qui doivent presque hurler pour dépasser l’orchestre et toucher le spectateur.”

Un quatuor composé de musiciennes

Le quatuor Zaïde est composé uniquement de musiciennes (Charlotte Maclet, Leslie Boulin Raulet, Sarah Chenaf et Juliette Salmona). Un choix tout sauf anodin, explique Théophile Alexandre : “C’est une inversion forte puisque, pendant longtemps, tous les compositeurs, les librettistes, mais aussi les chefs d’orchestre ou encore les instrumentistes dans la fosse étaient des hommes, et dirigeaient ainsi ces femmes qui allaient jusqu’au bûcher.” Ce renversement de genre se matérialise alors pleinement pendant les concerts avec “des silhouettes noires libérées des attributs genrés, un long gant rouge sang, une robe couture”.

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Crédit : Julien Benhamou

À noter que le projet se décline également en beau livre, imbriquant des portraits, par le photographe Julien Benhamou, de Théophile Alexandre “jouant les hommes-objets, en prise à son tour avec des clichés de féminités” et une série d’entretiens avec de grandes artistes de notre culture contemporaine, interrogées par la journaliste et écrivaine Arièle Butaux. Au fil des pages, on peut lire la philosophe Catherine Clément, l’emblématique ancienne directrice de la danse de l’Opéra de Paris Brigitte Lefèvre, les cheffes d’orchestre Debora Waldman et Laurence Equilbey, la chanteuse Juliette, la chorégraphe Maguy Marin, la metteuse en scène Macha Makeïeff ou encore la romancière Pauline Delabroy-Allard.

Rassemblés, ces témoignages variés offrent une “mosaïque de souvenirs, de réflexions, d’anecdotes, qui dessinent les contours du féminisme d’aujourd’hui et de notre relation au genre”, écrit Arièle Butaux. “On est au tout début d’une grande remise en question qui va demander du temps, puisque nous avons des siècles et des siècles à interroger, et pas seulement dans l’opéra”, prophétise Théophile Alexandre.

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Album No(s) dames, de Théophile Alexandre et quatuor Zaïde. NoMadMusic. Déjà disponible.
En tournée dans toute la France et au Trianon, à Paris, le 9 Janvier (complet) et le 11 Avril 2023. Retrouvez toutes les dates sur www.theophilealexandre.com

Crédit : Julien Benhamou