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interview"Arrête avec tes mensonges" au cinéma : rencontre avec les révélations du film

Par Florian Ques le 22/02/2023
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[Interview à retrouver dans magazine en kiosques] Arrête avec tes mensonges est un des plus grands succès de Philippe Besson, et son second livre à être adapté au cinéma. Nous avons rencontré le réalisateur, Olivier Peyon, ainsi que les acteurs Jérémy Gillet et Julien De Saint Jean, les deux révélations du film qui sort au cinéma ce mercredi 22 février. Cette histoire d'amour, sur fond d'impossibilité à vivre son homosexualité dans une société homophobe, fait toujours écho aujourd'hui.

Photographie Laurent Humbert pour têtu·

Quand j’étais enfant, ma mère ne cessait de me répéter : « Arrête avec tes mensonges. » J’inventais si bien les histoires, paraît-il, qu’elle ne savait plus démêler le vrai du faux. J’ai fini par en faire un métier, je suis devenu romancier.” Quand il publie, début 2017, chez Julliard, son dix-huitième roman, et le premier autobiographique (suivront Un certain Paul Darrigrand et Dîner à Montréal), Philippe Besson est loin d’imaginer que ce texte deviendra son plus grand succès public. Les plus attentifs auront remarqué que le personnage de Thomas, qui y tient une place centrale, était déjà apparu en filigrane dans d’autres de ses récits, mais l’auteur n’avait jamais raconté son histoire, leur histoire. En 1984, tous deux ont 17 ans, l’homosexualité n’est dépénalisée que depuis deux ans et, déjà, la crise du sida s’abat sur la communauté. Philippe et Thomas, loin de ces préoccupations, commencent à peine à apprivoiser leur sexualité, engagés sur deux chemins divergents : Philippe explore son homosexualité comme une terre d’aventures libératrice tandis que son coup de cœur est pris dans les affres d’un “combat intérieur, intime, silencieux” contre lui-même. Le drame qui se noue dans cette adolescence ne trouvera son épilogue que trente-deux ans plus tard…

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C’est la deuxième fois qu’une œuvre de l’écrivain charentais est transposée sur grand écran, après Son frère, réalisé par Patrice Chéreau en 2003. Pourquoi revenir à cette histoire vintage dont l’auteur lui-même nous confie : “Au départ, je me disais : « Ça va intéresser qui, deux gamins de 17 ans, à Barbezieux, Charente, en 1984, qui s’enculent ? »” Olivier Peyon, aux manettes du film, nous confirme s’être lui-même posé la question : “Je me suis demandé si le propos du livre était toujours d’actualité. Mais au moment du casting, j’ai reçu énormément de candidatures de jeunes gays qui n’étaient pas comédiens de métier mais avaient lu le roman et souhaitaient passer l’audition. Ça m’a prouvé que cette histoire résonnait encore, notamment auprès des plus jeunes.”

Philippe Besson et Guillaume de Tonquédec

À l’écran, histoire de ne pas verser dans le biopic, le personnage de Philippe Besson devient Stéphane Belcourt, un écrivain à succès – joué par Guillaume de Tonquédec (lire dans le magazine l'interview croisée de l'acteur et de Philippe Besson) – qui remet les pieds dans la ville de province où il a grandi. Le désormais quinquagénaire y tombe sur le jeune Lucas – campé par un Victor Belmondo à tomber –, qui n’est autre que le fils de Thomas, son premier béguin adolescent. Lucas lui apprend alors le suicide récent de son père, qui, toute sa vie, aura caché son orientation sexuelle et qui il est vraiment. 

"Même si je n’ai pas du tout vécu mon homosexualité comme lui, la honte insurmontable qu’on ressent à un moment, ça je l’ai vécue."

Olivier Peyon

J’ai eu un parcours assez similaire à celui de Thomas, explique Olivier Peyon. J’ai eu une femme et des enfants. Même si je n’ai pas du tout vécu mon homosexualité comme lui, la honte insurmontable qu’on ressent à un moment, ça je l’ai vécue. Quand je suis sorti du placard, à 35 ans, je me suis demandé pourquoi ça avait été si difficile. Une fois qu’on franchit le pas, c’est tellement évident.” C’est probablement pourquoi le réalisateur s’est senti légitime de piloter cette histoire. Lui qui avait pourtant été nommé aux Césars en 2014 pour son documentaire Comment j’ai détesté les maths a eu du mal à trouver des financements et se sentait paralysé après l’échec de son précédent film, Tokyo Shaking, brillamment porté par une Karin Viard à fleur de peau mais saboté par une sortie en salles en pleine crise sanitaire. Malgré ce processus laborieux de préproduction, Olivier Peyon décroche toutefois l’accord enthousiaste de Guillaume de Tonquédec et met la main sur le tandem d’acteurs qui incarneront Stéphane et Thomas adolescents : Jérémy Gillet et Julien De Saint Jean. 

“Quand on les a mis ensemble, il y a eu dès la première seconde une vraie alchimie, s’enthousiasme le réalisateur. Je me souviendrai toujours de la façon dont Jérémy regardait Julien, j’en ai eu des frissons.” Durant les quelques mois qui les séparent du tournage, les comédiens, tous deux à l’aube de leur vingtaine, prennent le temps de faire connaissance et se lient d’amitié. Une riche idée, car dès le premier jour de plateau doit être tourné le premier rapport sexuel entre les deux personnages. “On avait beaucoup parlé avec le réalisateur de cette scène d’intimité, qui était initialement un plan-séquence”, se souvient Julien lorsqu’on les rencontre, un matin, dans le hall d’un hôtel du centre de Paris. “Olivier a passé du temps à nous rassurer. Il nous disait qu’il ne voulait pas faire du Kechiche, abonde Jérémy. On avait un rapport très horizontal avec lui, et il était à l’écoute de ce qu’on avait à proposer parce qu’il avait compris qu’on voulait défendre ces rôles.” Pour faciliter ce tournage délicat, qui prendra environ trois heures, le réalisateur fait le choix d’une équipe restreinte. “Ce genre de passage ne se décide pas tout seul mais se prévoit avec les comédiens, explique-t-il. Je les ai associés au processus, je leur ai montré pas mal d’extraits de films afin qu’ils aient une idée de là où je voulais les emmener.”

Un film poignant, un drame universel

S’ils interprètent deux homosexuels à l’écran, les deux garçons évitent soigneusement de se coller des étiquettes. D’ailleurs, Julien semble bien loin des tourments de Thomas, qu’il incarne dans le film pour son premier rôle au cinéma : “On aime les garçons, on aime les filles, on fait partie d’une génération qui n’a que faire des catégories ; on se pose beaucoup moins de questions qu’à l’époque.” Un avis partagé par son partenaire de jeu : “On a de la chance, dans notre milieu surtout, de ne plus avoir besoin de coming out. L’orientation sexuelle doit devenir aussi importante que la couleur de tes yeux ou ta pointure.” Avant d’être choisi pour le film, Jérémy Gillet avait joué un adolescent non-­binaire à l’expression de genre très fluide dans Mytho, une fiction d’Arte. Julien De Saint Jean, lui, n’avait encore jamais endossé de rôle LGBTQI+, même s’il sera bientôt à l’affiche d’un autre projet, Le Paradis, où il prêtera ses traits à un autre personnage gay.

"Comment fait-on pour grandir dans un environnement qui n’est pas adapté à ce qu’on veut être ? Comment fait-on pour s’en extirper et être soi-même ?”

Jérémy Gillet

Qu’importe leur orientation sexuelle, les deux jeunes révélations d’Arrête avec tes mensonges sont conscientes que l’histoire qu’elles portent dans le film est cruciale, et universelle à plus d’un titre. “Ce qui m’a beaucoup plu, au-delà de parler de l’homosexualité dans les années 1980, c’était tout ce qu’incarnait Thomas en matière de déterminisme social. Comment fait-on pour grandir dans un environnement qui n’est pas adapté à ce qu’on veut être ? Comment fait-on pour s’en extirper et être soi-même ?” développe Jérémy Gillet. Des questionnements qui l’ont aussi habité à la fin de son adolescence passée dans la campagne belge ; tout comme Julien, dont le père vigneron aurait adoré lui confier les rênes du business familial, dans le Beaujolais.

Les deux garçons ont préféré suivre leur voie, celle de leur passion, dans la lignée du protagoniste inspiré par Philippe Besson. Et qui résonne aussi avec les souvenirs de Guillaume de Tonquédec : “En choisissant de devenir comédien, moi non plus je n’ai pas porté le sac à dos des ancêtres. Michel Bouquet, qui a été mon professeur au Conservatoire, nous disait : « Si vous doutez une seconde de votre vocation, faites autre chose, c’est trop difficile », et il avait raison, il faut que ce soit nécessaire.” Cette passion qui allait lui permettre de quitter son milieu et de devenir quelqu’un, c’est justement ce qu’a vu tout de suite Thomas chez le jeune Philippe Besson, et qui pour lui signait, ou en tout cas symbolisait l’impossibilité de leur amour : “Parce que tu partiras, et que nous resterons.” 

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