Abo

interview"Arrête avec tes mensonges" : rencontre avec Philippe Besson & Guillaume de Tonquédec

Par Thomas Vampouille le 17/02/2023
Philippe Besson et Guillaume de Tonquédec

L’acteur Guillaume de Tonquédec interprète le personnage inspiré de Philippe Besson dans l’adaptation de son roman autobiographique Arrête avec tes mensonges, au cinéma ce mercredi 22 février. Dans le magazine têtu· en kiosques, ils échangent sur le film mais également sur la jeunesse et l'homophobie…

Photographie : Yann Morrison pour têtu·

Guillaume, tu connaissais l’œuvre de Philippe Besson avant qu’on ne te propose ce rôle ?

Guillaume de Tonquédec : Je ne connaissais pas le livre mais – ce sont les hasards de la vie – un copain m’en avait parlé quelques semaines avant que je reçoive le scénario, et je lui avais répondu que j’adorerais jouer ce personnage qui, passé la cinquantaine, prend du temps presque malgré lui pour faire un bilan sur sa vie. Sans doute que cela avait du sens pour moi aussi. Et puis l’histoire d’amour et le gâchis, le fait de passer à côté de sa vie, c’est un thème qui m’a beaucoup touché. Dans ma vie d’acteur, je rêvais de jouer un rôle comme ça, profond, dense… J’ai lu le scénario et j’ai eu un coup de foudre. Puis j’ai rencontré Olivier Peyon, le réalisateur, et j’ai tout de suite dit oui. J’ai ensuite demandé à rencontrer Philippe, mais Olivier n’était pas très chaud…

Philippe Besson : Et moi non plus ! Je considère qu’à partir du moment où l’on décide de vendre les droits de son livre à un créateur, on abdique toute propriété dessus, et c’est à l’autre de faire ce qu’il a à faire. Donc, de la même manière que je ne souhaitais pas participer à l’écriture du scénario, je ne me reconnaissais aucune prérogative dans la fabrication de ce film, même si Olivier a eu l’amabilité de m’associer à différentes phases de son travail. Quand il m’a annoncé Guillaume au casting, ça m’a paru comme une évidence. La seule chose que je lui avais conseillée, c’est de ne pas appeler son écrivain Philippe Besson, car ce serait devenu un biopic sans intérêt.

À lire aussi : "Arrête avec tes mensonges" au cinéma : rencontre avec les révélations du film

Et donc, votre première rencontre ?

Philippe : Dans ma logique, puisque le personnage n’était pas moi, j’étais réticent à rencontrer l’acteur parce qu’il ne fallait surtout pas susciter de désir d’imitation. C’est une histoire intime, certes, mais aussi universelle, c’est pourquoi les libertés qu’il a prises par rapport au livre m’ont semblé fondamentales…

Guillaume : Pour ma part, si je voulais faire la connaissance de Philippe, ce n’était pas du tout pour faire une imitation mais pour rencontrer l’homme qui avait vécu cette histoire dans sa chair et qui l’avait racontée. J’avais des questions à lui poser, qui n’avaient d’ailleurs que très peu de rapport avec le scénario. Lorsqu’on s’est vus, il m’a donné rendez-vous au café Beaubourg, ce qui symboliquement m’a touché – ceux qui ont lu le livre comprendront. Ça a été tout de suite extrêmement direct, intime. C’est une rencontre qui m’a beaucoup servi pour interpréter le rôle, parce que je me sentais une sorte de devoir moral vis-à-vis de lui. Je ne voulais pas le trahir.

Cette histoire est celle d’un garçon de 17 ans qui, en 1984, commence à vivre son homosexualité. Malgré l’époque, Philippe, tu dis que cette prise de conscience t’a “enchanté”. Comment cela ?

Philippe : Moi, j’étais un garçon bien élevé, discipliné, obéissant, qui faisait ce qu’on attendait de lui, qui avait des bonnes notes à l’école et une existence assez tracée. J’étais fils d’enseignants, les études étaient donc l’occasion de prendre l’ascenseur social. Et tout d’un coup, il y a ça qui déconne. Je comprends mon homosexualité assez rapidement, et je me dis que c’est bien, que c’est un truc différent, que ça ne va finalement pas se passer comme prévu et que je ne suis pas juste un garçon bien peigné. Je le voyais comme une différence, qui tout d’un coup m’a plu. Par ailleurs, j’avais suffisamment de caractère pour dire merde aux cons. J’avais rapidement compris que le regard des autres n’allait pas me rendre les choses faciles, donc je n’avais pas de difficultés à affronter l’hostilité. Ça aussi, ça m’a plu, d’une certaine manière. Parce que j’étais le chétif, le fragile, le pas musclé, et ça donnait une force, l’idée d’être contre la majorité, contre la meute.

Tu as su que ça se passerait bien avec tes parents ?

Philippe : Oui… Alors, évidemment, c’était un pronostic hasardeux. On peut penser que ça va bien se passer puis on a des déconvenues, et inversement. Mais j’ai eu de la chance, je fais partie des gens très vernis par leur milieu familial. Je n’ai pas souffert.

Guillaume, tu es de la même génération et père de trois enfants, que penses-tu de cette aisance à la liberté ?

Guillaume : Mon adolescence à moi s’est déroulée dans la région parisienne. Bourgeoisie moyenne, mais avec des parents très ouverts d’esprit. Mais par rapport à ce que j’observais au lycée, je voyais que l’homosexualité était un grand tabou. Ma meilleure amie m’a “avoué” être lesbienne à 25 ans alors qu’on se connaissait depuis l’âge de 11 ans ! Même chose avec mon cousin, dont je suis extrêmement proche, et qui me l’a dit à 24 ans. C’est dire la pression, même entre nous, et l’autocensure qui existait à l’époque. Mon cousin était d’ailleurs persuadé que je ne lui parlerais plus, alors que je lui ai sauté dans les bras et que ça a même resserré nos liens.
Ce qu’a fait Philippe est la preuve d’une force personnelle assez incroyable, et je me dis : quelle chance de l’avoir eue dans les années 1980. Je lui avais moi aussi posé cette question car ça me semblait une clé importante dans l’interprétation de mon personnage, mais aussi pour comprendre les hésitations, voire la négation de sa propre vie qu’opère celui de Thomas. Concernant mes enfants, je trouve leur génération plus libre. Déjà, ce n’est plus un tabou. Ça fait même partie, pourquoi pas, des expériences à vivre sans que ce soit immoral ou honteux. On a aussi eu le mariage pour tous, mais ça n’a pas tout résolu, notamment au niveau des difficultés à s’accepter.

Philippe : Je pense même que d’un certain point de vue, c’est pire aujourd’hui. Moi, quand j’avais 17 ans, c’est comme si autour de moi l’homosexualité n’existait pas, c’était un monde inconnu, qui n’était pas dans les radars. Donc il n’y avait pas d’homophobie “active”, alors que l’homophobie qui s’est révélée en 2013 autour du débat sur le mariage pour tous, et qui s’est étalée partout, était assise sur une réflexion sociétale et sur des préjugés religieux. Ça m’a terrifié. Ceux qui, en 2013, ont craché sur les gays leurs amalgames et leurs injures auraient dû tomber sous le coup de la loi. Ces gens auraient dû être condamnés pour les propos qu’ils ont tenus. Et c’était il y a seulement dix ans ! Ce qu’il s’est passé à l’époque est très grave, d’une violence inouïe, et pour moi c’est impardonnable. Les homophobes de 1984, d’une certaine manière je les comprends parce qu’ils ne savaient pas. C’était le fruit d’une ignorance et ça, c’est pardonnable. Mais ceux de 2013, ils savaient, donc il n’y aura jamais de pardon, ces gens sont du mauvais côté de la ligne, et ils y restent aujourd’hui.

Et pourtant, la génération des années 2000 ne semble pas accorder autant d’importance à la visibilité : peut-on être fier et sans étiquette ?

Philippe : Ce qui est sûr, c’est que pour les jeunes générations, ce n’est plus une question fondamentale, mais plutôt une question de définition personnelle. En 1984, ta sexualité te définissait, c’était ton identité. Aujourd’hui, elle fait partie de l’identité, mais elle n’est pas fondamentale, c’est une pièce du puzzle. Donc, de ce point de vue, on a très largement progressé. On pourrait en déduire que les combats ont été remportés, mais je pense que ce serait une erreur, qu’ils ne le sont jamais, et qu’on a toujours besoin de piqûres de rappel. Regardons l’avortement : qu’on en soit à se poser la question, alors qu’on ne se la serait pas posée il y a six mois, de le mettre dans la Constitution, c’est dire à quel point n’importe quelle régression est possible, que rien n’est jamais acquis. Donc, que les tabous sautent, très bien, mais il faut rester vigilant....