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expositionZanele Muholi à la MEP : le regard queer à ne pas rater ce printemps

Par Aurélien Martinez le 28/03/2023
La première rétrospective française de Zanele Muholi à lieu à la Maison européenne de la photographie, à Paris

À Paris, la Maison européenne de la photographie (MEP) expose le travail de Zanele Muholi, photographe non-binaire originaire d’Afrique du Sud. Une déflagration engagée et politique autant qu’une déclaration d’amour à la communauté LGBT.

"Activiste visuel.le", et non simplement artiste : c’est ainsi que Zanele Muholi, photographe d'Afrique du Sud, se définit. Un parti pris cohérent avec la remarquable exposition que lui consacre la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris. Présentés sur deux étages, ses portraits "documentent la vie de la communauté noire LGBTQIA+ et des individus qui la constituent", indiquent en introduction les commissaires de l’exposition. Un texte qui, comme tous ceux du parcours, utilise l’écriture inclusive, rare dans ce genre d’institution. Mais logique, puisque "Zanele Muholi se définit en tant que non-binaire et souhaite être présenté.e par l’emploi des pronoms neutres iel (sujet) et ellui (complément)", est-il précisé dans le dossier de presse. Une façon claire d’informer les journalistes qui ne seraient pas au fait de ces questions, quand bien même cela n'ait pas été particulièrement suivi dans la presse.

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Cette première rétrospective française consacrée à l'artiste, en activité depuis une vingtaine d’années, dévoile différentes facettes de son art, entre volonté de représenter, plongée sans fantasme dans l’intimité, réflexions politiques aiguës et recherches artistiques. Une approche militante "qui mérite d’être montrée dans ce genre de lieu", assure Zanele Muholi ; non pas pour que le grand public soit davantage tolérant envers la communauté LGBTQI+ d’Afrique du Sud et d’ailleurs (iel refuse catégoriquement le terme condescendant de "tolérance"), mais pour qu’il la reconnaisse et la respecte. Son exposition en France, dans un haut lieu de la photographie contemporaine, est une façon magistrale d’illustrer sa démarche, avec plus de 200 œuvres – des photographies principalement, et quelques vidéos, peintures et documents.

Portraits de femmes trans et non-binaires

Un maillot de bain rouge et bleu, un diadème, une écharpe avec l’inscription "black lesbian" : en se mettant en scène de la sorte dans sa série Miss Lesbian, Zanele Muholi ne cache pas qui iel est, se révélant frontalement à toutes et tous. Surtout, iel propose un astucieux détournement des codes hétéronormés des concours de beauté (voire une réappropriation de cet univers) au sein d’une section de l’exposition titrée Brave beauties, qui met en scène des portraits de femmes transgenres et non-binaires. Malgré les LGBTphobies, nous existons, nous sommes courageux.ses, nous ne baisserons pas la tête ni ne cacherons nos corps, semblent nous dire, à travers l’objectif de Zanele Muholi, les personnes qu’iel a choisi de photographier. "Nous queerons l’espace afin d’y accéder", résume également l’artiste dans une autre section nommée Donner une dimension queer à l’espace public.

"Il est important de marquer, de cartographier et de préserver nos moments/mouvements afin que les générations futures sachent que nous étions là."

Zanele Muholi

Plus loin, des photographies s’attachent à montrer l’intimité de "participant.e.s" queers (à chaque fois nommé.es et partie prenante dans le processus créatif), quand sont installés dans une autre salle de nombreux portraits de personnes noires lesbiennes, transgenres et non-binaires sud-africaines. De la sphère la plus personnelle à la visibilisation collective, ou comment Zanele Muholi embrasse large avec son art. "Il est important de marquer, de cartographier et de préserver nos moments/mouvements à travers des histoires visuelles pour les archives et la postérité, afin que les générations futures sachent que nous étions là."

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Afrique du Sud son amour

Si, avec ses photos, Zanele Muholi déclare son amour à la communauté LGBTQI+ noire, elle traite également de l’Afrique du Sud, pays ambivalent qui, tout en ayant à ses yeux la meilleure Constitution au monde (promulguée en 1996, elle condamne ouvertement les discriminations basées sur l’orientation sexuelle), n’est pas protégé des violences LGBTphobes – sa série de photos sur les survivantes de crimes de haine en témoigne avec force et pudeur. Dans un espace de l’exposition, iel a voulu "contextualiser" son cheminement avec, notamment, une immense frise chronologie liant les événements politiques en Afrique du Sud, des années 1950 à aujourd’hui (avec, forcément, de nombreuses dates évoquant l’apartheid et ses conséquences), à son parcours artistique et militant.

Clou de la visite : au dernier étage est dévoilée une série marquante titrée en zoulou Somnyama Ngonyama ("Lionne noire") et commencée il y a dix ans. Des autoportraits à distance (l’appareil photo est activé par une télécommande) savamment stylisés, voire théâtralisés – avec notamment des objets du quotidien, dont l’usage est détourné pour "souligner les cadres culturels imposés aux femmes noires". Le résultat est sublime, avec un travail en postproduction sur sa peau, rendue plus foncée afin de "reconquérir sa négritude". Toute la démarche de Zanele Muholi pourrait alors être synthétisée dans cette série, ainsi qu’iel l’écrit : "Depuis l'esclavage et le colonialisme, les images des femmes africaines ont été exploitées pour propager l'hétérosexualité et le patriarcat blanc, et ces systèmes de pouvoir ont tellement organisé notre vie quotidienne qu'il est devenu difficile de nous représenter telles que nous sommes réellement dans nos communautés respectives."

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>> Rétrospective Zanele Muholi, à la Maison européenne de la photographie, à Paris, jusqu’au 21 mai 2023.

Crédit photo : Zanele Muholi