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sortir"Wet For Me" : 15 ans d'humides idylles lesbiennes

Par Maurine Charrier le 20/04/2023
Wet for Me

La Wet For Me fête ses 15 ans les 21 et 22 avril. Mais avant d’enflammer son dancefloor et de souffler ses bougies, retour sur la succestory de la soirée lesbienne la plus courue de la capitale.

Qu'on soit une lesbienne vintage ou une baby gouine, la soirée Wet For Me, surnommée affectueusement la Wet, est "le" monument de la nuit lesbienne parisienne. Aux manettes, Barbieturix (BBX), un collectif créé en 2004 pour parler des lesbiennes aux lesbiennes, d'abord au travers d'un fanzine, puis d'un webzine, et enfin du dancefloor. On a mené l’enquête pour en savoir plus sur les origines de cette soirée iconique qui, du Nouveau Casino à La Machine du Moulin Rouge, fait le bonheur des gouines depuis quinze ans.

What's Gouine On, Clitorise

Parlons peu, parlons gouin, et commençons tout de suite par dire que la vie nocturne et festive des lesbiennes ne date pas d’hier ! Chez Moune, Le Katmandou, Le Troisième Lieu, Les Scandaleuse ou encore Le Pulp n'évoquent peut-être rien à la nouvelle génération, mais ces lieux ont pourtant joué un rôle sans égal dans la vie saphique de certaines de nos aînées. D'ailleurs, même si cela semble difficile à croire, Paris comptait dans les années 90/2000 bien plus de lieux communautaires qu’aujourd’hui. Mais c’est alors principalement dans les bars que les lesbiennes profitaient des DJ set, les lieux de clubbing faisant cruellement défaut.

"Je faisais des soirées, les What’s Gouine On, dans un petit rade qui s’appelait Les Disquaires, c’était trop bien, on devait bloquer la rue tellement il y avait de monde", se souvient avec nostalgie Rag, aujourd'hui DJ résidente et programmatrice de la Wet, membre du collectif Barbieturix. À l'époque, leurs premières soirées, organisées au Bataclan Bar, avaient pour objectif de récolter des fonds afin de financer leur fanzine. Mais face à l'afflux de clubbeuses, Barbieturix investit rapidement La Flèche d’Or avec la Clitorise : une soirée bimestrielle qui permettait de s'enjailler sur de la musique punk de 18h à 6h du matin, au rythme des performances qui, doucement, se sont faites une place à côté du Pulp, établissement mythique des nuits féminines.

Le Pulp est mort, vive la Wet !

Crée en 1997 par Michelle Cassaro et Sophie Lesné, deux spécialistes de musique électronique, au 25 boulevard poissonnière dans le 2e arrondissement de Paris, Le Pulp est rapidement devenu une référence, régnant sans trop de concurrence sur le clubbing lesbien, avant d’être forcé de fermer ses portes à la suite du rachat du bâtiment par la mairie de Paris, en 2007. Avec aux platines des DJ incontournables de la scène électro comme Sextoy, Chloé ou encore Jennifer Cardini, Le Pulp était the place to be pour rencontrer des meufs tout en écoutant le son le plus pointu de la capitale. Membre de Barbieturix, dont elle signa de nombreux textes dans les premiers fanzines et sur le webzine, Lubna n'hésite d'ailleurs pas à dire que "la fermeture du Pulp a traumatisé une génération de lesbiennes".

Par un hasard de calendrier, les premières Wet For Me, prenant le relais de la Clitorise, ont branché leurs platines humides dans les cendres encore chaudes du club mythique, permettant aux filles de combler le vide intersidéral créé par la fermeture du Pulp, qui rejoignit la longue liste des lieux queers de légende disparus. Dès 2007, la soirée de Barbieturix au line up techno hébergée au Nouveau casino propose un format complet et sur mesure encore inédit à l’époque. Conforme à la demande de celles qui brûlaient de fouler un nouveau dancefloor lesbien, le succès de la Wet est immédiat, et la soirée fait quasiment salle comble à chaque édition.

Mais un soir d’octobre 2011, après un nouveau carton plein en présence de l'iconique Peaches, des problèmes de sécurité liés à la capacité d’accueil au Nouveau Casino viennent sonner la fin de la fête. La Wet se met alors en quête d'un nouveau lieu, un club capable de comprendre les particularités et les besoins de son public féminin

La Machine alliée du Moulin Rouge

Si la soirée a aujourd'hui pris ses quartiers sous les néons de Pigalle, et plus précisément dans la pénombre de la Machine du Moulin Rouge, c’est grâce à Peggy – "une meuf totalement straight, mais super ouverte", comme la décrit Rag –, programmatrice du lieu, qui lui a ouvert les portes. "Je suis quand même assez fière de ce qu'on réussit à accomplir. Et ce n'est pas facile, souffle la DJ. Les boîtes sont moins frileuses à accueillir des soirées gays que des soirées lesbiennes." Ne serait-ce que pour garantir leur chiffre d’affaires indexé sur un panier moyen plus élevé du côté de la gente masculine.

La Wet n'étant pas une soirée en non-mixité, la sécurité du public féminin est garantie par un filtre à l’entrée. En complément de l’équipe de sécu de la Machine, briefée par Rag en personne, la physionomiste joue un rôle décisif dans le choix des 1500 participant·es. Avec plus de 15 ans d'expérience maintenant, les organisatrices savent comment préserver leur soirée, et ses valeurs. "On a déjà viré des mecs même s'ils avaient leurs pré-ventes, souligne Lubna, on ne préfère pas prendre de risque." Même si certaines clientes se plaignent "qu’il y ait trop de mecs", la Wet se veut depuis ses débuts ouverte, sécurisée et sécurisante pour les queers, et d’utilité publique pour les jeunes lesbiennes qui découvrent le milieu et cherchent à faire des rencontres.

Show must go(uine) on

Après la crise sanitaire due au covid, une sorte de "printemps lesbien" a vu le jour mêlant collectifs, expositions, ou encore soirées, que les daronnes de la nuit lesbienne accueillent avec enthousiasme. "Il se repasse des trucs, et des trucs très différents en plus ! se réjouit Rag. La P3, La Dyke Ménopause, la Dyketopia sont de nouvelles soirées très positives pour toute notre communauté. Après, en quinze ans, on en a vu passer, donc on verra si ça dure", confie-t-elle, tout en insistant sur l’endurance nécessaire pour tenir dans le monde de la nuit, en parallèle d’un business plan irréprochable.

En attendant de découvrir ces nouvelles soirées, prévoyez des culottes de rechange car Barbieturix a décidé de mettre les petits plats dans les grands en vous servant un show mémorable le week-end du 21 et 22 avril, avec une Wet puissance 15… et une invité surprise ! On ne saurait trop vous conseiller de venir tôt pour choper les derniers billets sur place, et de patienter en écoutant l'envoûtante compilation accouchée spécialement pour l’occasion, qui vous fera crépiter comme des bougies qui scintillent sur un gâteau d’anniversaire.

On a également ouï-dire que l’aventure pourrait prendre le large et partir à la conquête des gouines de France. Vous l'aurez compris, on n’a pas fini de mouiller !

Crédit photo : @chlonotpi