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portrait"Drag Race" : Romain Gauthier, l'artiste derrière les looks futuristes de Punani

Par Maxime Fettweis le 17/08/2023
Romain Gauthier

Si vous regardez la saison 2 de Drag Race France, vous avez plusieurs fois eu l'occasion d'admirer sur Punani le travail de Romain Gauthier. Concepteur de vêtements digitaux, ce designer graphique explore avec les queens un nouveau pan de son art, imprimée en 3D. 

Pendus aux lobes de Punani, deux QR Code permettent au public de Drag Race France de se parer sur Instagram d'un élément de sa tenue lors du défilé de l’épisode 6. Une fois captée, la clé digitale fait ainsi apparaître un filtre mi-voile, mi-alien, que chacun peut arborer sur le réseau social. Romain Gauthier est celui qui a conçu ce premier accessoire de mode digitale de la franchise. "Drag Race est un espace qui permet d'expérimenter ce qu'est la mode, ce qu'est le visuel", nous explique-t-il lorsque nous le rencontrons quelques jours avant la diffusion de l’épisode, peaufinant les derniers détails de la séquence pour les réseaux sociaux de la performeuse.

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Concepteur de mode numérique, cet artiste a pourtant fait entrer ses créations dans le réel. Grâce à une imprimante 3D, il est capable de modeler des objets aussi conceptuels qu'insolites. Les chaussures de corail de Punani, c'est aussi lui. Le cintre sur sa tête la semaine suivante, c'est encore lui. Ses lunettes dans sa réinterprétation de Dalida, lui… Depuis le début de la saison, il agrémente le look de la candidate de détails parfois presque imperceptibles. "C'est fun de se dire que j'ai passé des heures sur un petit objet qu'on va voir une demi-seconde sur un runway", s'amuse-t-il en faisant tourner par saccades la coiffe animée qui surgit sur fond noir dans un nouvel onglet.

Punani et ses QR Codes, par Romain Gauthier

Un art immodérément queer

L'essentiel du travail de ce Parisien de 29 ans ne quitte pas les pixels de son ordinateur, dans le bureau qu'il partage avec une dizaine d'autres concepteurs graphiques. Dans l’espace qui lui est réservé, rien ne dépasse, laissant percevoir un côté méticuleux. Enfermé dans la musique d'un casque, il passe ses journées à penser, puis sculpter point par point des objets dans la matière numérique. "C'est comme si je sculptais dans la vraie vie, par exemple dans de l'argile, mais dans un univers digital."

Originaire de Salon-en-Provence dans les Bouches-du-Rhône, le jeune Romain se rêve faiseur d'effets spéciaux, fasciné par Star Wars. "Je réalisais des fan films sur la saga quand j'avais 12 ans. Puis je me suis mis à inventer des courts-métrages de science-fiction en découvrant les logiciels que j'utilise encore aujourd'hui", rembobine-t-il. Sa passion pour l'image le poursuit jusqu'à la majorité. Il apprend le design graphique et rejoint Paris en 2014. Dans la capitale, il collabore avec des marques en tant que motion designer pour des opérations de publicité sur les réseaux sociaux.

L'expérience remplit son compte bancaire mais son épanouissement personnel est ailleurs. Il brise la routine en multipliant les créations à la fin de sa journée de travail. Mais tout est "terne" à ses yeux, jusqu'à son coming out à 23 ans. "Avant ça, c'est comme si je me retenais de faire des choses parce que j'en avais peur ou que je ne voulais pas les conscientiser. Une fois que j'étais en paix avec moi et que je me suis découvert, ça a commencé à devenir intéressant et bizarrement, c'est là où les gens ont commencé à remarquer mon travail." 

La rencontre avec Punani

Il découvre l'art du drag au même moment. "Ça a été mon point d'entrée dans la communauté queer et LGBT. C'est là où je m'identifie le plus parce que c'est libre et loin des jugements." La rencontre avec Punani fait basculer son intérêt dans une autre dimension. "C'est mon partenaire de vie depuis plus de quatre ans. À partir de là, j'ai commencé à m'interroger sur ce qu'est le drag parce que je vis avec une drag queen." 

Romain Gauthier fait défiler ses réalisations des cinq dernières années, compilées sur son compte Instagram. En 2020, il voit le confinement comme une occasion d'explorer encore plus les frontières de la création numérique. Il imagine un court-métrage mettant en scène des drag queens luttant contre la masculinité toxique dans un univers futuriste. Sans budget, l'idée d'habiller ses personnages de vêtements virtuels s'impose. "Je me suis demandé comment les rendre plus fierce, plus cools. J'ai pensé que ce serait incroyable qu'on puisse créer des vêtements complètement fous qui n'obéissent pas à la gravité ni aux lois du réel." Des milliers de clics plus tard, ses héros arborent plastrons transparents, casques extravagants ou capes en lévitation... Le court-métrage n'aboutira jamais mais signe le début de nouvelles ambitions. Déconfiné, il refuse les contrats et explore la création d'artefacts hybrides entre mode et effets spéciaux.

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Cantonné au monde numérique, il pousse une première fois les frontières de son espace de travail dans un projet de boucles d'oreilles pour Punani. Bien loin du traditionnel bijou fantaisie, ce sont des ailes de chauve-souris qui sortent de l'imprimante 3D, achetée pour l'occasion. Les premiers essais sont laborieux mais le résultat, peint et serti de strass, apparaît comme une excroissance de son travail numérique. "C'était un pari de tenter quelque chose ensemble. Quand ça a marché, ça a ouvert une énorme porte. C'est fou de se dire qu'on peut concevoir digitalement n'importe quoi et potentiellement le matérialiser." 

En entrant des mensurations dans un logiciel, le créateur est capable de reproduire en quelques minutes le corps de ses modèles dans une version en 3D, façon Les Sims. L'anatomie reconstituée dans le logiciel permet de produire sur mesure des pièces uniques. Son travail s'exporte ensuite entre ses doigts dans un "artisanat punk". Sans aucune expérience d'accessoiriste, il découvre dans son salon de nouvelles manières de décorer ses créations. 

Une infinité de possibilités

Poncer, polir, chromer, sertir... Ces verbes ont intégré son vocabulaire quotidien comme les gestes qui les accompagnent. Romain Gauthier estime que cette formation en temps réel, et parfois "à l'arrache", fait sa force. "Comme je n'ai pas de background concret sur la réalisation, la sculpture ou un artisanat, je pars vierge et je ne me mets pas de barrière sur des choses prétendument irréalisables." Rien n'est impossible. Si une idée lui plaît, il multiplie les tentatives. "J'aime bien faire le tour de l'exploration, et une fois que j'ai fait 365 dépressions et que je suis sur le point d'abandonner, je me recadre et en général, j'y arrive." Le designer a produit une vingtaine d’objets et découvre les inconvénients du travail de la résine. "C'est hyper lourd, précise-t-il. Par exemple, les chaussures corail de Punani pèsent 350 grammes chacune. C'est purement esthétique mais pas du tout pratique." 

Le nombre de projets morts dans l'œuf se comptent par milliers. "C'est un travail de design où je peux pousser ma création dans le réel. Par exemple, Jean-Paul Gaultier, il a dû en dessiner plein des robes qui ne seront jamais matérialisées et qui resteront à l'état de dessin. Moi c'est digital, du coup on est bien plus proche d'un truc abouti, mais le principe est le même. Certaines créations ont la chance d'être produites et certaines ne le seront jamais et c'est tant mieux."

La nouvelle dimension de son travail le rend plus collectif. Pas styliste ni perruquier, il collabore par petites touches avec d'autres artisans. Cette facette lui plaît car elle permet plus que jamais de faire communauté. Romain Gauthier continue d’explorer la mode réelle comme virtuel, incapable de tracer les contours de la suite de son chemin artistique. Après le Grand Palais en juin, une œuvre monumentale qu’il a conçue est exposée aux rencontres d’Arles tandis qu’il mesure chaque semaine la fierté de s’être frotté au "super terrain d'expérimentation" qu'est Drag Race. "Il y a un truc très satisfaisant dans la matérialisation de quelque chose de digital." Une satisfaction poussée toujours plus loin par la rencontre entre son art, qui rend tout possible, et celui des drags où rien n'est exclu.

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Crédit photos : Romain Gauthier