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portrait"Drag Race" : Aymerick Zana, le costumier couture derrière Kam Hugh, Keiona, Paloma…

Par Maxime Fettweis le 21/08/2023
Aymerick Zana

Couturier depuis près de 20 ans, Aymerick Zana se réconcilie avec ses ambitions d’artisan grâce à ses collaborations avec les queens, notamment celles de Drag Race France, de Kam Hugh à Keiona en passant par Cookie Kunty et Paloma.

Trois tenues en quinze jours. Le compte à rebours est lancé pour Aymerick Zana. En acceptant de réaliser le costume de remise de couronne de Paloma ainsi que deux tenues pour l'une des finalistes de la saison 2 de Drag Race France, le costumier s'est imposé une épuisante cadence en vue de l'épisode final, enregistré ce dimanche 20 août au Grand Rex à Paris et diffusé le vendredi 25. Plusieurs détails, disséminés dans son appartement au cinquième étage d'un immeuble du XIe arrondissement de Paris, trahissent son travail. Entre l'entrée et la cuisine, une combinaison blanche est suspendue. “C’est une toile, la première version d’une tenue que je prépare pour une queen”, explique le couturier sans en dire plus. Jusqu'à la date fatidique, il est tenu au secret, et soucieux de ne pas trahir la confiance des artistes. Plus loin, des silhouettes croquées décorent les murs et plusieurs rouleaux de tissus se bousculent dans un coin. "Je travaille non-stop pour que tout soit prêt à temps pour la finale, hier j'étais encore au boulot jusqu'à 1h du matin", souffle-t-il en souriant. 

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Si les 40 m2 sont investis par son art, c'est dans sa chambre qu’il pense, crée, coupe et coud "comme un étudiant depuis 20 ans". Pièce maîtresse de l’espace exigu, sa machine à coudre trône à gauche du lit, entourée par son ordinateur et un arc-en-ciel de bobines de fil. Avant la finale de la saison, le créateur a déjà signé plusieurs tenues portées par Keiona et Cookie Kunty sur le podium de l'émission, dont l'inoubliable vague d’Hokusai lors du défilé "Sous l'océan". "La cape faisait six mètres de long. Il faut imaginer les 170 mètres de tissus étalés partout sur le sol, s'amuse-t-il en reproduisant la scène avec ses mains au-dessus du parquet. J'ai dû partir chez mes parents pour faire les coupes avec ma mère, qui m’aide beaucoup." 

De la couture à l'art drag

Formé à l'atelier Chardon Savard, une école de mode parisienne, Aymerick Zana est employé à temps plein pour une marque de prêt-à-porter. Mais depuis plusieurs semaines, le couturier de 38 ans consacre ses vacances à la confection des costumes pour les drag queens. "Je n’ai pas eu le parcours que j'aurais souhaité", nous résume-t-il calmement derrière ses petites lunettes rondes argentées. L'aiguille fait irruption très tôt dans ses doigts d'enfant. "La boîte à couture de ma mère était rangée dans l'armoire de ma chambre. Je passais mon temps à ranger les bobines. Un jour, j'ai pris une aiguille et j'ai réalisé une trousse murale pour ranger mes stylos. Des formes simples avec des points qui faisaient cinq centimètres de large, du coup les stylos tombaient, c'était une catastrophe !"

D'aussi loin qu'il se souvienne, le jeune Aymerick a toujours été fasciné par les vêtements. Ceux de Barbie, d'abord, qu'il veut couvrir des plus beaux vêtements. Lui qui voulait être danseur a également gardé un attrait pour la scène. Étudiant, il se rêve costumier, inspiré par les fées de La belle au bois dormant. “Je me souviens de ce coup de baguette avec le tissu qui se déroule et vient se draper, rejoue-t-il. Ça a fasciné mon regard d’enfant.” Mais cette voie nécessite de repasser par la case baccalauréat. Qu'à cela ne tienne, il choisit la mode, visant la haute couture, mais son parcours le propulse ailleurs. "On adore mettre les gens dans des cases, surtout dans la mode. J'ai vite été rangé dans celle de styliste commercial. J'ai travaillé pour plein de marques de mode grand public. Ça été très formateur, mais mes envies de défilés et de haute couture sont passées à la trappe."

Son attrait pour l'art drag est né lorsqu'il découvre avec curiosité la saison 4 de Rupaul's Drag Race. Dans la foulée, il dévore les trois saisons précédentes et ne lâche plus la franchise. "Au-delà du show, ce que je trouvais fascinant c'était le runway, parce que c'est parfois beaucoup plus que du costume." Nous sommes en 2012 et l'art du drag ne s’affiche pas au-delà de quelques lieux underground des nuits parisiennes. "Les drag queens que je voyais, c'était de temps en temps dans le Marais, chez Mme Hervé au Tango…", retrace-t-il. 

Six ans plus tard, les réseaux sociaux facilitent l'émergence de nouveaux artistes en France. "J'ai vu de nouvelles têtes apparaître avec des propositions et un esthétisme absolument renversants." Curieux, il contacte une jeune queen et lui propose de collaborer. "On s'est rencontré et on a travaillé sur un premier projet, un corset rose inspiration Marylin pour un shooting photo." De fil en aiguille, Kam Hugh entend parler de son travail et lui commande une tenue inspirée de la Petite Sirène. Le soutien-gorge cousu façon coquillages et la petite culotte corsetée sont immortalisés dans un calendrier réalisé, entre autres, par Hugo Bardin, vainqueur de la première saison de Drag Race France sous les traits de Paloma.

Le retour aux rêves de costumes

L'incursion d'Aymerick parmi les queens lui permet de multiplier les collaborations. Chaque nouveau costume est une occasion de mêler son univers épuré à celui des artistes. Sa machine à coudre reprend du service et le créateur retrouve son statut d'apprenti en touchant du doigt un univers qu'il ne connaît qu'à travers le petit écran. "C'était libérateur, très excitant. Les drags ont apprécié mon travail, c'était plaisant d'avoir cette reconnaissance." Il consacre ses soirées et ses week-ends aux costumes, comme pour échapper à son travail de jour, devenu "trop terre à terre" au bout de vingt ans – "Ce n'est pas le même niveau de créativité".

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Lorsque Kam Hugh est sélectionnée pour la première saison de la franchise, elle fait appel au couturier. "La diffusion de la saison 1 a été une jolie mise en lumière." Sa première création crève l'écran dès la troisième semaine de compétition, lorsque la drag queen ardéchoise foule le runway dans un costume imitant l'allure d'un pigeon. "C'était une grosse surprise de voir la réaction du jury et du public, j'étais hyper fier", se souvient Aymerick Zana avec émotion. "Le lendemain de la diffusion de ce look, j'ai passé la journée à recevoir des notifications de personnes qui complimentaient mon travail." Le coup de projecteur est si intense que d’autres queens veulent collaborer avec lui.

Une année s’est écoulée et ses réseaux sociaux sont désormais scrutés par les fans de la franchise qui complimentent chaque nouvelle création. “Le travail auprès des drags m’a offert une reconnaissance que je n'avais jamais eue dans ma profession.” Mais rien ne vaut le moment où une performeuse enfile pour la première fois sa tenue. "Il se passe toujours un truc. Elles rentrent dans leur personnage et c'est là où tu sais si tu as bien bossé. C'est aussi là où mon travail s'arrête." Un travail qu'il a l'intention de poursuivre malgré l'instabilité des demandes. "L'univers drag, c'est toujours en dernière minute, en urgence, c'est impossible d'anticiper des projets." En attendant de trouver son équilibre, Aymerick Zana goûte ce retour à l’artisanat, et à ses rêves de jeunesse.

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Crédit photos : Aymerick Zana