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télévision"Les Voyages de Nicky" : "Je suis émue de faire la télé que j'aurais aimé voir il y a 20 ans"

Par Thomas Pouilly le 28/08/2023
"Les voyages de Nicky", un programme à voir sur France 5

Karl Sanchez, alias Nicky Doll, la présentatrice de Drag Race France, a décidé de partir en voyage. Un tour du monde du genre à découvrir sous forme de série documentaire sur France 5. Rencontre avec une globe-trotteuse en herbe.

Comment es-tu passée de Drag Race France à cette idée de série documentaire ? 

Nicky Doll : En fait j’en avais un peu marre de regarder les informations ou de lire des articles où on nous donne une idée toute faite de ce qu'est la transidentité, la non-binarité ou une identité queer, voire qui les font passer pour des phénomènes de mode. Alors qu’on pourrait en parler sous un angle historique ou par le prisme d’autres pays. Et puis je viens d’une famille de nomades, ma maman a toujours aimé voyager, et moi aussi, je suis fan d’Anthony Bourdain qui proposait un voyage au tour du monde à travers la nourriture. Alors je me suis dit : "Et pourquoi pas aller à la rencontre d’autres cultures et apprendre d’elles ?". Du coup, j’ai pitché l’idée à une boîte de production, puis on a commencé à réfléchir ensemble à quoi pourrait ressembler cette émission et comment je pourrais exister dedans. 

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Et ça a donné Les Voyages de Nicky sur France 5…

Voilà, c’est un mélange de quête d’identités queers et d’art queer, qui passe ici par le drag. Je  pars à la rencontre de personnes queers qui m’expliquent ce qu’est leur vie au quotidien dans leur culture et leur société, mais aussi d’artistes qui montent sur scène et me racontent ce qui inspire leur pratique artistique. Mais ce n’est pas du tout un projet communautaire. C’est évidemment un cadeau que j’offre à ma communauté, mais c’est un programme qui peut être vu par tout le monde, et d'ailleurs surtout par les autres ! 

Est-ce qu’il y a eu une rencontre, une performance ou une information qui t'a particulièrement marquée durant ces voyages ? 

Si je devais vraiment n’en retenir qu’une, ce serait Grace, une activiste trans qui est aussi la première ingénieure trans d’Inde. Malgré tous les obstacles qu’elle a pu rencontrer dans sa vie, en étant en bas du système de castes et en tant que femme et trans, elle a continué à faire des études, elle a réussi à obtenir son diplôme, et elle s’est ensuite battue avec le gouvernement pour obtenir des terres et pouvoir créer une sorte de village pour les femmes trans. Pouvoir visiter ce village, rencontrer ces femmes, les voir en famille, heureuses et propriétaires d’un toit, constater à quel point Grace a réussi à apporter de la stabilité à des personnes de sa communauté, ça m’a énormément touchée. 

Toi tu as la nationalité française, tu as grandi dans les Caraïbes puis au Maroc, et tu  vis désormais aux États-Unis. Un éventail de façons de voir le genre…

Oui, je me souviens que dans les Caraïbes, à l’époque où j’y étais – j’ai quitté Saint-Martin vers mes dix ans, en 2002 –, la société était assez machiste. Même si je n’étais encore qu’un enfant, étant quelqu’un d’assez efféminé, j’ai senti qu’il y avait une certaine crainte vis-à-vis  des hommes qui pouvaient être trop différents. Par la suite, au Maroc, une fois adolescent, j’ai vu que ce n’était pas forcément le lieu où on pouvait s’exprimer librement sur le plan sexuel et identitaire. Légalement, ça reste dangereux de s’y afficher en tant qu’homosexuel. C’est pour ça que je n’ai pas fait mon coming out avant d’être rentré en France, je ne me sentais pas en sécurité. 

Et maintenant, en tant qu’adulte ? 

Aujourd’hui, je vois aussi une différence avec les États-Unis parce que là-bas, tout est exacerbé, les bons comme les mauvais côtés. J’habite à New York, donc je suis assez isolée du reste des États-Unis qui fait un peu plus peur… En France, il y a encore énormément de tabou, et surtout un manque considérable de représentations à la télé. J’ai l’impression que les gens ne sont simplement pas éduqués sur ces questions, ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils sont contre. Drag Race en est le parfait exemple. Avant d’importer le programme à la télé française, il y avait pas mal de préjugés autour de ce qu’est une drag queen. On mélangeait ça avec la transidentité ou la prostitution… Et regardez où on en est aujourd’hui !

"Si vous avez l’envie de voyager à travers les expériences d’autrui, c’est déjà beaucoup."

Quand on ne peut pas voyager, comment peut-on faire pour découvrir d’autres manières d’appréhender le genre ? 

On peut voyager par la conversation ! On peut se nourrir de notre entourage et de son vécu en essayant d’être un peu plus curieux vis-à-vis de ce que les personnes vivent au quotidien, mais aussi d’où elles viennent. Sinon, lire ou regarder un documentaire comme celui que je propose, ça peut aussi être une manière de voyager. Je pense que si vous avez l’envie de voyager à travers les expériences d’autrui, c’est déjà beaucoup. Il y a malheureusement beaucoup de gens qui se satisfont de la conception de la vie qu’on leur a inculquée et de la stabilité émotionnelle et culturelle qu’ils ont, si bien qu’ils n’ont pas envie de toucher aux vérités qu’ils se sont construites au fil des années. C’est pourquoi parvenir à toucher quelqu’un avec un documentaire, un film ou une série, c’est, je crois, arriver à déverrouiller une porte. 

Tu as co-écrit et tu incarnes ce programme. C’était comment, cette première expérience dans le documentaire ? 

C’était assez déstabilisant et très effrayant parce que, d’une part, je n’en avais effectivement jamais fait et, d’autre part, je n’avais aucun modèle sur lequel m’appuyer. Ce n’était pas comme avec Drag Race où l’on a adapté l’ADN d’une émission qui existe déjà ailleurs. On y est donc allé un peu à tâtons. Et finalement, quand j’ai vu la première version du premier épisode, j’ai pleuré du début jusqu’à la fin ! J’étais émue de voir que je venais d’accomplir quelque chose que j’aurais adoré voir à la télé il y a vingt ans. En tant que personne queer, on a besoin d’entendre qu’on est le fruit d’une  histoire et qu’on a toujours été là pour se sentir en vie et valide. C’est pour ça que je suis contente que cette série documentaire soit accessible à tous, et d’autant plus ravie de pouvoir faire ça sur le service  public. 

Dans ces quatre premiers numéros, tu visites l’Inde, la Grèce, le Mexique et le Japon. Est-ce que de nouveaux voyages de Nicky sont déjà en préparation ? Y a-t-il d’autres pays où tu aimerais aller ? 

Je suis déjà en train de réfléchir à d’autres destinations, oui. Il y a plein d’autres pays que j’adorerais explorer, comme le Brésil, la Thaïlande ou certains pays d’Europe. Si cette série documentaire pouvait devenir une référence queer ou une sorte d’encyclopédie de ce que c’est que d’être queer dans le monde, ce serait le rêve. En tout cas, tant que le public regardera, je ferai mes valises et je partirai en voyage. Après tout, c’est quand même un superbe projet : je suis payée pour aller m’éclater dans le monde entier et échanger avec des gens intéressants ! Tu te doutes bien que je ne compte pas m’arrêter demain [Rires].

>> Les voyages de Nicky, avec Nicky Doll, 4 numéros à voir les mardis 29 août et 5 septembre, à 21h sur France 5 et en replay sur france.tv.

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Crédit photo : France Télévisions