[Article à lire dans le magazine ou sur en vous abonnant] L'électron queer du cinéma français, c'est lui. Le talentueux Félix Maritaud décortique son nouveau rôle au cinéma, dans L'Ennemi, avec toute l'impertinence qu'on lui connaît.
Militant effronté chez Act Up. Escort boy torturé. Pornstar traquée. Sur grand écran, Félix Maritaud s’est fondu dans des personnages d’hommes aux facettes multiples, liés par une sexualité qui n’a rien d’hétéro. À 28 ans, le comédien neversois est devenu l’une des figures récurrentes du cinéma queer à la française. Dans L’Ennemi, long-métrage signé Stephan Streker, il délaisse toutefois ces terres conquises pour incarner un criminel blasé à l’orientation sexuelle nébuleuse. Un virage dans sa carrière ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car Félix aime nous laisser sur le qui-vive, surprendre, dérouter, désarçonner.
À lire aussi : Ces films LGBTQI+ qu'on a hâte de voir en salles en 2022
C’est ainsi qu’il déboule avec une trentaine de minutes de retard dans le studio photo parisien où il est attendu, les cheveux ébouriffés et la dégaine un peu débraillée. Il se présente, s’excuse de son contretemps et propose de s’installer dehors, sur la petite terrasse, afin de se griller une cigarette. “J’aime bien avoir l’air de Catherine Deneuve quand je fume”, lâche-t-il. Le ton est donné.
Le réveil a été difficile ?
J’étais à moitié en PLS dans mon lit. Mais c’était un super réveil, j’étais dans les bras d’un homme. Je n’ai juste pas vu le temps passer.
Tu es à l’affiche de L’Ennemi, dans lequel tu incarnes un criminel incarcéré très difficile à cerner. Qu’est-ce qui t’a plu dans ce rôle ?
La seule direction que j’avais, c’était d’aller dans tous les sens, d’être totalement imprévisible, pour que le personnage principal (incarné par Jérémie Renier) soit toujours déstabilisé et ne se sente jamais à sa place. J’aime bien les personnages ambigus.
Tu as l’habitude de camper des rôles queers, mais ce personnage-là n’a pas l’air d’avoir une sexualité définie...
C’est comme pour les tatouages. Si tu les montres dans un film, on les voit. Si tu ne les montres pas, tout le monde s’en fiche. C’est la même chose pour la sexualité. Moi, s’il n’y a pas de sexualité décrite ou suggérée, je me dis qu’on s’en fout. Et, en même temps, le fait que ce soit moi qui joue ce personnage en face de Jérémie Renier, ça crée une tension. Parce que comme je suis un gros pédé, les gens vont chercher à savoir.
C’est vrai qu’on se demande si quelque chose va se passer entre vos deux personnages...
T’aurais kiffé, avoue ! J’aurais bien voulu. Il est mignon Jérémie.
Et toi, as-tu déjà flirté avec l’illégalité ?
J’avais un casier judiciaire mais il a été épongé. Je suis allé en garde à vue, et ils m’avaient fait les photos avec les pancartes. J’avais demandé à les garder parce que je trouvais ça stylé. Un souvenir ! Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me les donner pour le moment mais que, si je repassais, on en ferait des nouvelles, et que je pourrais alors récupérer les anciennes. C’était à mourir de rire. Pour moi, si tu n’as pas un minimum de 30 % d’illégalité dans ta vie, ce n’est pas une vie. Parfois, c’est même bien d’être à 60 %. (Rires.)
C’est important de ressembler au personnage pour le jouer ?
Je ne me pose pas trop la question de savoir si je ressemble ou non à mes personnages. Je ne pense pas que ce soit le cas, par contre je leur donne des choses de moi. Comme dans une relation. Mon truc, c’est plutôt de faire en sorte que mes projets donnent de la force au gamin que j’étais à 10 ans. Le reste, ça ne me semble pas intéressant.
Du coup, les acteurs hétéros qui jouent des rôles homos, ce n’est pas un problème ?
On donne des Oscars à des mecs hétéros qui jouent des pédés. Ça en dit long. Ça montre bien qu’on est toujours une catégorie de personnes un peu impressionnante, un peu mystérieuse. Alors que, non, il n’y a pas de mystère. Il y a des corps qui se désirent. Point.
À quel rôle penses-tu que les gens t’identifient le plus ?
Comme un mec trash et drogué, je pense. Les drogues, c’est sûr. Parce que j’assume, socialement et professionnellement, user de drogues. C’est important d’être transparent sur ce sujet. Car plus tu vas cacher les choses, plus elles vont provoquer de la souffrance. Je trouve que Dustan a un bon point de vue là-dessus.
Tu as d’ailleurs tenu à lui rendre hommage avec ce shooting photo. De son vivant, Guillaume Dustan s’était imposé comme une figure polémique et provocatrice. C’est ça qui te plaît chez lui ?
J’ai lu ses romans et j’ai adoré. Le mec était intersectionnaliste en 2000. Il parlait d’antiracisme, de parité gouvernementale, de droits des personnes trans, mais aussi de sexe bareback, alors que c’était le plus gros tabou de la communauté homosexuelle – et encore, ça va mieux depuis la PrEP. Sa vision était tellement créative, ça m’a beaucoup touché.
Hypersexualisés, festifs, drogués, violents, obsédés par la mort... L’auteur et ses personnages résonnent-ils encore avec notre époque ?
Aujourd’hui, toutes les petites graines qu’il a plantées sont en train de germer. Il y a un mouvement en cours de reconsidération du corps sexuel, de l’identité du corps et du genre. Virginie Despentes disait que c’était un combat dont on ne verrait jamais le résultat. Et ce n’est pas grave !
Une carrière tumultueuse comme celle de Guillaume Dustan, ça t’inspire ?
Est-ce que ce n’est pas déjà le cas ?
Tu vois beaucoup de similitudes entre vous deux ?
Pas beaucoup. Je ne vais pas te raconter ma vie sexuelle. (Rires.) Par contre, je pense que j’aurais pu écrire la moitié de ses textes. Mais ce sont deux générations différentes. Je ne suis pas un pédé des années 2000, je suis un pédé d’aujourd’hui. Je respecte vachement les mecs des générations précédentes, qui ont été pédés à leur manière. Je ne suis pas sûr d’être aussi provocateur que Dustan, et je pense d’ailleurs susciter pas mal de choses malgré moi. Lui adorait provoquer, moi ce n’est pas une chose que j’adore.
Est-ce compliqué de trouver des rôles lorsqu’on est identifié comme queer ?
C’est surtout difficile de se réduire à l’hétérosexualité. Pour moi, l’homme hétérosexuel de base est une grosse victime. La première fois que j’ai joué un hétéro, pour le film Tom (bientôt en salles), la réalisatrice, Fabienne Berthaud, m’a dit que ma démarche n’allait pas. Je me suis alors demandé comment un hétéro marchait. Et un hétéro, c’est un mec qui a peur de se faire enculer, donc il serre les fesses. C’est ce que j’ai fait, et ça a marché. Mais jouer un hétéro classique n’est pas intéressant pour moi. Je n’ai pas étudié Paul B. Preciado pour finir par faire du normcore.
C’est important pour toi de participer à des projets queers, comme les clips “Get Kinky” d’Igor Dewe ou “Paper Angel” de Thee Dian ?
En fait, c’est juste des copains. J’ai du mal à concevoir que mon image ait une valeur. J’ai tellement de respect pour tous ces artistes que j’ai l’impression, à côté d’eux, d’être la petite folle du quartier. Je reste humble avec tout ça, surtout face aux artistes. Je ne m’excuse pas face à des institutions, mais, face à des artistes, j’ai de l’admiration.
Dans ces clips, tu es sexualisé, ainsi que dans certains films. C’est ça, les rôles qui te font bander ?
J’ai juste passé 20 ans de ma vie à m’entendre dire à chaque coin de rue que je puais le cul. Au bout d’un moment, je me suis fait une raison. Je trouve ça important de sexualiser médiatiquement le corps de l’homme. Le sexe, c’est un grand cadeau de l’existence. Il y a des mecs qui se sont branlés dans les cinémas en me regardant dans Sauvage. Alors je pense que je peux me mettre torse nu dans le clip d’une amie, je ne suis plus à ça près ! (Rires.)
En tant qu’acteur mais aussi en tant qu’homme queer, quel rapport entretiens-tu avec ton corps ?
Je me tape des phases de dysphorie dès que je grossis un peu, comme n’importe quelle personne qui vit à notre époque. Ces complexes, c’est la faute de la pornographie, de Grindr, de tous ces trucs qui mettent en avant des corps conformes. Mais je ne me sens pas sous pression. Globalement, je dirais que je suis bien dans mon corps.
Avant ton coming out, t’es-tu senti contraint de jouer un rôle en société, d’avoir une façade sociale ?
Quand t’es un garçon sensible et que tu sens que tu n’es pas comme les autres, tu construis forcément des façades. Aujourd’hui, je déconstruis plein de choses. C’est intéressant comme processus.
Tu te souviens de ton tout premier coming out ?
C’était à une copine d’école. Ensuite je l’ai dit à mes parents, et mon père a été le mec le plus cool du monde. On était dans sa voiture, je lui ai dit “je suis pédé”, il m’a regardé en souriant et m’a dit : “Tu fais ce que tu veux de ton cul.” Merci papa. Mais je pense que le coming out est voué à disparaître. Aujourd’hui, il faut que ce soit une force politique. Quand je vois des sportifs faire leur coming out pour dire stop à l’homophobie, je trouve ça excellent. Mais un mec qui grandit et qui a un désir, il n’a pas à s’en justifier. Il n’a qu’à le vivre.
A-t-il toujours été facile pour toi d’assumer ton identité queer ?
Tout dépend des milieux. Quand je traînais avec des dealers internationaux sénégalais, ça a été dur de leur faire comprendre que je suçais des bites. Mais ils ont compris, et ils ont accepté. Parce que je ne laisse pas le choix aux gens.
Tu te définis comme “pédé”. Tout le monde n’est pas d’accord avec l’usage de ce terme...
Bien sûr. Et je le respecte. Mais, pour moi, être pédé, ce n’est pas sale. C’est un mot. Est-ce qu’un mot est censé me faire du mal ? Non. L’usage de ce mot a une histoire discriminante. Mais il faut changer l’histoire, sinon on se fait chier. Et je n’ai pas envie qu’on construise un monde sur des traumatismes. J’ai envie qu’on se soigne collectivement. Tu prends un vase cassé et tu mets des jolies fleurs dedans, c’est plus joli que de regarder un vase qui reste cassé. Le statut un peu victimaire que la communauté peut prendre parfois... Je pense qu’il faut qu’on apprenne, tous, à s’écouter, à se parler et à se regarder en face. Si le mot “pédé” t’atteint autant, c’est peut-être que tu as un problème avec le fait d’être pédé.
Tu as l’air bien implanté au sein d’une scène artistique queer parisienne. Le militantisme et l’art sont-ils indissociables pour toi ?
Je trouve que l’art est un beau langage pour parler de politique, parce que tout ça est trop fluide pour être enfermé. C’est une catharsis qui permet aux gens de réfléchir. Après, je dirais qu’un artiste israélien qui, aujourd’hui, ne parle pas de ce qui se passe à Gaza, ce n’est pas un artiste. Je trouve que le militantisme, c’est autre chose. C’est ancré dans la politique.
Sur Instagram, tu définis tes pronoms comme he/him/she, et... bae ! C’est ton côté provoc ?
Quand tu mets tes pronoms sur Insta, c’est aussi pour dire que tu es au courant de toutes ces questions. C’est rassurant pour les personnes trans. Ça leur permet de se sentir exister. Dans l’idée, je voulais surtout dire aux gens de m’appeler comme ils en ont envie. Depuis que je suis né, je parle souvent de moi au féminin. Au bout d’un moment, ce que je voudrais générer comme idée, c’est que l’identité est quelque chose qui n’existe pas. Il faut brouiller les pistes : plus tu crées de failles, plus les gens réfléchissent.
Fais-tu attention à ton image ?
C’est trop tard pour ça, bébé. Comme je suis un mec sans filtre, j’ai beaucoup de mal à garder des choses pour moi. Mais le truc sur lequel je fais attention, c’est à ce qu’on ne déforme pas mes propos. Je préfère contrôler ce que je donne au monde. Ces dernières années, tous me disaient de faire moins de rôles de pédé, que je risquais d’être cantonné à ces personnages. Mais, après une année de Covid, je ne fais plus attention à rien. Je profite de ma vie, et c’est tout.
Y a-t-il quand même des sujets que tu n’abordes pas publiquement ?
Disons qu’il y a des trucs que je n’ai pas forcément envie que mes parents lisent dans la presse. Parce qu’ils regardent tout ! Mais, foncièrement, j’assume tout. Je pense qu’il y a surtout des choses plus intéressantes que d’autres, et je n’ai pas envie que des gens se focalisent sur des trucs que je ne considère pas comme de grandes richesses dans ma vie : les drogues, la prostitution...
En 2018, tu disais à TÊTU : “J’en ai rien à foutre de ma carrière.” C’est toujours le cas ?
Ma carrière pour une page Wikipédia, je n’en ai rien à foutre. Mais j’y pense davantage en ce moment, car j’ai envie de réaliser des films. Je me dis : “Vu que le film que je suis en train d’écrire va coûter cher, est-ce que je ne ferais pas un court-métrage hyper trash sur le chemsex avant ?” Et, ça, c’est une pensée carriériste que je n’avais pas avant.
Et sur le chemsex ? Comme Dustan avec le bareback ?
C’est un fléau. T’as des mecs qui meurent tous les mois. J’aimerais faire un film là-dessus parce que je l’ai moi-même expérimenté. C’est un espace de la communauté homosexuelle dont il faut faire des images et sur lequel il faut bâtir un propos. Tu ne peux pas laisser ça dans l’ombre. Il faut mettre la lumière dessus.
À lire aussi : "La Revanche des Crevettes pailletées" : première bande-annonce de la suite du film
Crédit photo : Enzo Tonati