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transidentitésSoins gynécologiques : oui, les personnes trans sont aussi concernées

Par Louise Vallée le 26/09/2023
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Refus de soin, maltraitance, stigmatisation… Par manque de formation des gynécologues, l’accompagnement des personnes trans dépend encore trop souvent de la bonne volonté du corps médical. Un défi majeur en termes de santé sexuelle et d’accès à la contraception. 

Fabienne n’imaginait pas que son choix de gynécologue ferait l’objet d’une telle médiatisation. Quand elle souffre de douleurs à la poitrine au début du mois de septembre, elle prend rendez-vous à Pau, près de chez elle. Pour se rendre chez un médecin recensé comme "transfriendly", c’était "trois heures de route, et les listes ne sont pas toujours à jour", raconte la jeune femme de 26 ans, qui s’est vite résignée.

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Au cabinet, Fabienne précise à la secrétaire être une femme trans. Si elle a entamé sa transition hormonale il y a trois ans, elle n'a pas encore terminé les démarches pour changer d'état civil et sa carte vitale affiche encore le sexe qui lui a été assigné à la naissance. De l’autre côté du guichet, un froid s'installe. Le médecin ne la recevra pas, et la jeune femme rentre chez elle en pleurs. Sur Google, la réponse du praticien, qui dit ne s’occuper que des "vraies femmes", ravive son indignation et suscite d'ailleurs une vive polémique sur les réseaux sociaux. "On n’est pas trois Pokémons dans la nature. On devrait pouvoir aller voir un·e gynécologue sans que ce soit un combat à chaque fois", déplore Fabienne, "traumatisée" à l’idée de reprendre un rendez-vous.

Des soins gynécologiques nécessaires

Le contrôle des pathologies mammaires, même bénignes, et le dépistage des cancers du sein est pourtant l’une des premières raisons citées par Morgane Auriche, gynécologue médicale à l’hôpital Tenon, parmi celles qui peuvent justifier une consultation pour les femmes trans. "Il y a aussi les questions de santé sexuelle, d’ordre sexologique, ou la prévention des IST", précise-t-elle. Enfin, peut aussi se poser "la question de la contraception – pour la femme transgenre ou une partenaire cisgenre – ou celle d’un projet de grossesse au sein d’un couple". Et pour les femmes qui ont eu recours à une vaginoplastie s’ajoutent "des questions de dermatologie vulvaire, d’infections, ou de lésions du vagin". Autant de raisons pouvant amener une femme trans à consulter un gynécologue. "Le genre de la patiente n'influe pas sur mes compétences et mes missions en tant que gynécologue médicale", insiste Morgane Auriche.  

"Ma formation initiale en gynécologie médicale m'a donné toutes les compétences médicales nécessaires pour répondre aux demandes d'ordre gynécologique des femmes transgenres."

La gynécologue admet toutefois n’avoir eu aucune formation spécifique à la prise en charge des personnes trans à la faculté de médecine ou pendant son internat. "À mes yeux, explique-t-elle, ma formation initiale en gynécologie médicale m'a donné toutes les compétences médicales nécessaires pour répondre aux demandes d'ordre gynécologique des femmes transgenres."

Même constat du côté des associations que nous avons interrogées, pour qui la réaction du médecin de Pau relève moins d’une question de compétences que d’une stigmatisation, voire d'une "mystification" des personnes trans. "Dès lors qu’ils voient une personne trans, il y a une peur de ne pas savoir, une peur de l’inconnu", note Morgann Gicquel, co-présidente de l’association Espace Santé Trans. Pour dépasser cette crainte de mal faire par méconnaissance, "il faut démystifier le processus de transition et réhumaniser les personnes trans auprès des personnels de santé", souligne-t-elle.

Dans la campagne Bourguignonne, Agnès(1) n’a pas trouvé de médecin traitant acceptant de suivre sa transition à moins d’une heure de chez elle. Quant aux consultations gynécologiques, elle n’a pas encore abordé la question. "Par crainte de la transphobie", mais aussi par "ignorance du sujet", indique la jeune femme, pour qui "la moindre interaction avec le milieu médical se fait avec beaucoup de prudence". Au sein de la communauté, les récits de consultations qui se sont mal passées abondent. L’orthophoniste ne s’occupera pas de leur voix, l’esthéticienne de leurs poils. Dans la salle d’attente, regards interrogateurs braqués sur la patiente suivis d'un "Bonjour monsieur". Le tout souvent après des mois d’attente, rapportent militants et militantes.

Se former avec les associations

Pour limiter les mauvaises expériences, la jeune femme d’une trentaine d’années s’appuie sur les retours d’autres personnes trans ou les ressources fournies par des structures. Acceptess-T, une association communautaire de promotion de la santé, accueille un peu plus de 3.000 personnes par an et dispense des formations à destination des professionnels de santé, en lien avec des médecins qui s’engagent pour l’accompagnement des personnes trans. "On crée ainsi un réseau de santé pour mettre ces soignants et soignantes en lien et favoriser des échanges sur l’aspect clinique et les pratiques d’accompagnement", détaille Simon Jutant, codirecteur de l’association. 

Morgane Auriche a elle-même eu recours au travail de ces associations pour se sensibiliser aux parcours de soin des personnes trans. Au-delà de la formation médicale, "ce qui relève d’une formation spécifique va être la relation médecin-patiente, pour comprendre le vécu d’une personne transgenre, et savoir comment se comporter avec cette personne, notamment en termes de vocabulaire", indique-t-elle. En parallèle, elle s’est formée à la prescription d’hormones pour suivre des femmes dans leur transition, et considère qu'"il y a des ressources très bien faites". Pari réussi puisque son nom apparaît sur BDDtrans, une plateforme qui recense les soignants et soignantes LGBT-friendly. "C’est passé nickel", peut-on lire en commentaire. 

"La formation reste lente, et dépend souvent de la bonne volonté des médecins.” 

Reste qu’il s’agit là d’une initiative personnelle de la médecin, et non d’une formation dans le cadre du cursus médical classique de gynécologue. De ce fait, "on se heurte à une carence des gens formés en France", remarque Nathalie Chabbert-Buffet, endocrinologue et praticienne dans le service gynécologique, obstétrique et médecine de la reproduction à l’hôpital Tenon. "Dans les congrès, le sujet est de plus en plus abordé mais la formation reste lente, et dépend souvent de la bonne volonté des médecins." À Tenon, la spécialiste explique recevoir aussi bien des femmes que des hommes trans. Elle évoque notamment des cas d’interruptions médicalisées de grossesse ou d’endométriose chez les hommes trans – des cas pour lesquels l’accès aux soins est souvent déjà difficile, peu importe l’identité de genre. 

Quant aux centres spécialisés, ils restent peu nombreux, et concentrés à Paris et dans les grandes villes. C'est pourquoi ce sont souvent les personnes trans elles-mêmes qui se chargent du travail d’information. "À force, beaucoup d'entre elles deviennent expertes des soins dont elles ont besoin !" lance Daisy Letourneur, autrice et militante pour le collectif Toutes des femmes.  Et ce d’autant plus que les consignes officielles sont loin d’être à jour. En janvier 2022, un rapport rendu au ministre des Affaires sociales et de la Santé dresse un état des lieux des parcours médicaux de transition. Ces derniers "restent semés d'embûches" en raison d’une approche encore très genrée des soins et de discriminations persistantes. Le document détaille aussi des exemples de bonnes pratiques, en vue de l’édiction de nouvelles recommandations officielles par la Haute autorité de santé (HAS). Les dernières datent de 2009, quand la transidentité était encore considérée comme une "pathologie mentale"

Plus d’un an et demi après le rapport, "c’est très décevant mais on n’a toujours rien reçu", reproche Simon Jutant, co-auteur du rapport. Pour lui, le défi principal est de déplacer le débat public des enjeux moraux vers une question de liberté de décision. "Accéder à une transition est une question d’autonomie du corps, au même titre que la contraception, et les soins de transition doivent passer dans les soins primaires." Loin de cet objectif, la polémique récente lève le voile sur une "fascination mal placée" qui occulte l’ampleur du problème pour les personnes trans, résume Daisy Letourneur. "C’est un rendez-vous gynéco, ça ne devrait pas déchaîner les passions."

(1) Le prénom a été modifié. 

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