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cover star"Je voulais parler d'émotion" : Eddy de Pretto, notre Personnalité de l’année 2023

Par Florian Ques le 06/09/2023
Eddy de Pretto est en couverture du magazine têtu· de l'automne 2023

[Interview à lire dans le têtu· de l'automne ou en vous abonnant] Le Kid de la chanson française Eddy de Pretto revient avec son troisième album, Crash cœur. Rencontre avec un chanteur conquérant, sacré Personnalité de l’année à la cérémonie des Têtu· 2023.

Photographie : Ben Fourmi pour têtu·

Installé confortablement au centre d’un canapé trois places, ici c'est Eddy qui décide. Mais le patron se veut cool. “Je suis un peu bossy, je pense, avoue-t-il en riant. Mais toujours gentil. Disons que quand je veux quelque chose, je me donne les moyens de l’obtenir. Je suis un peu têtu. Ça tombe bien, non ? C’est mon côté Taureau.”

En bon représentant de son signe astrologique, l’artiste, distingué Personnalité de l’année lors de la première édition de remise des Têtu·, à l’Olympia le 6 septembre, n’hésite pas : il fonce. Sa détermination est d’autant plus vive depuis qu’il a créé son propre label. Lassé du perpétuel changement de personnel au sein de sa maison de disques, consécutif à la crise sanitaire, il choisit la voie de l’indépendance. “Des nouvelles personnes débarquaient sur mon projet en cours de route. Elles ne m’avaient pas choisi, et vice-versa, déplore-t-il avec le recul. Et ça, ça fragilise beaucoup le propos et les aspirations d’un artiste.” Pour maintenir le cap, lui a besoin de s’entourer de gens qui croient dur comme fer en sa vision et d’avoir le plein contrôle de sa carrière. On n’a donc pas été étonné quand le chanteur a fixé le lieu de notre rencontre à deux pas de Barbès-Rochechouart, dans les bureaux parisiens où il se réunit fréquemment avec son équipe actuelle, triée sur le volet. Un rendez-vous en terres conquises, donc. Ici, le chef, c’est lui !

Avant que l’été ne touche à sa fin, il revient avec “R+V”, un nouveau morceau sans doute annonciateur d’un troisième album. Sur cette courte chanson pop aux allures de prologue et d'hommage, il commence par lister des noms que le lectorat de têtu· connaît bien : Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Elton John, Jean Genet, RuPaul, Frank Ocean, Andy Warhol... Être un artiste indé, c’est privilégier l’intégrité, et se permettre de claquer un morceau hyper gay sans que personne ne bronche. “C’était assumé et volontaire de revenir avec une chanson qui évoque des personnalités aussi fièrement gays parlant d’amour”, explique-t-il.

Coming out frontal

L'amour, un changement de ton après avoir beaucoup chanté des problématiques sociétales, de l’homophobie à l’addiction : “Là, j’ai essayé d’emprunter un chemin différent et de parler de choses plus proches de l’émotion.” En découle cet appel ô combien opportun, et qui reste engagé : “Aidez-moi à sortir l’arc-en-ciel qui sombre encore et toujours sous les gravats.” À maintenant 30 ans, le kid de la chanson française sait qui il est, et ce qu’il représente. Entre l’assurance et l’insolence, Eddy de Pretto a fait le choix de ne pas choisir, notamment quand, en juin 2017, sort le tout premier single de sa discographie. Avec “Fête de trop”, il ne tourne pas autour du pot : des soirées arrosées qui débordent jusqu’aux excès, “des amants”, “des garçons de passage” et sa langue qui se glisse dans “des bouches saliveuses”. C’est en mettant ainsi les pieds dans le plat d’un imaginaire bouillant et frontal que le chanteur fait son coming out médiatique. “J’étais pressé que ça puisse arriver parce que c’était inévitable, analyse-t-il aujourd’hui. Étienne Daho jouait avec les métaphores depuis des années, mais je voulais parler d'homosexualité de façon droite et limpide. C’était assez nouveau., et je savais aussi que ça allait avoir des répercussions.” Le garçon a de l’aplomb, n’en déplaise à ceux qui l’auraient préféré moins transparent sur ses préférences amoureuses... Ceux-là, Eddy de Pretto les recale sur le bas-côté et trace sa route, assumant le besoin viscéral d’être sincère sur son identité. “On m’a souvent dit qu’il ne fallait pas revendiquer ma sexualité, poursuit-il. C’est quelque chose qui a été frustrant mais, en fin de compte, le texte est clair. C’était important de partir sur ces bases-là. Je ne veux pas tenter de me dissimuler.”

Né à Créteil, dans le Val-de-Marne, Eddy de Pretto a toujours su où il voulait aller, un peu comme s’il s'était attelé dès ses premiers pas au planning de sa carrière. Résultat, un adulte carré, minutieux, à la limite d'être un obsessionnel du contrôle. Pour preuve, son téléphone qu’il dépose sur la table pour enregistrer notre entretien, au cas où. Ces qualités lui sont bien utiles pour concrétiser ces “rêves de folie” qu’il nourrit depuis l’enfance, et qu'il n'a jamais laissé tomber. “J’avais préparé des maquettes, des démos et je faisais limite du porte- à-porte pour vendre mon projet, détaille-t-il. J’allais avec une copine dans des festivals pour rencontrer les tourneurs... On voulait vraiment passer par toutes les entrées possibles.” Pas de télé-crochets pour lui en revanche – “trop codifiés”, tranche-t-il. Exigence et patience portent leurs fruits lorsqu’il signe chez Universal Music. “C’est facile d’en parler aujourd’hui comme si ça s’était fait en un claquement de doigts, mais ça a été un travail de longue haleine, où le moindre détail et la moindre rencontre comptent. Une fois l’horreur du milieu scolaire derrière moi, j’ai pris conscience que ma singularité pouvait en réalité être un atout dans ma vie. Et c’est totalement ce sur quoi j’ai décidé de capitaliser.” Ce qui lui permet de se lâcher lorsqu’il performe. En salle de concert comme en festival, dès qu’il se rue sur la scène, Eddy est habité. Son personnage, à l’aise dans sa gestuelle, saute et se déhanche comme si chaque performance était la dernière, marquant des pauses entre les titres pour remercier ceux qui le soutiennent. “Il est assez proche de qui je suis dans la vie de tous les jours, dit le chanteur de son alter ego scénique. Mais ayant fait beaucoup de théâtre, je sais qu’il faut pousser certains traits pour occuper l’espace. Ce que j’ai très vite compris également, c’est qu’il ne faut pas s’excuser d’être là.”

Eddy fait face

Mais n’allez pas en conclure qu’Eddy de Pretto ne doute pas. “Pour le deuxième album, j’avais la sensation que je devais confirmer et que je devais donc proposer quelque chose de précis, de savant, de pointilleux. Il y a des moments où je me demandais si je n’avais peut-être pas volé ma réussite jusqu’ici.” Son adolescence n’est jamais bien loin, passée à raser les murs de son bahut parce qu’il ne rentrait pas dans le moule. Tout y passe : son physique de roux au teint d’albâtre, son homosexualité supposée, qu’il réprimait alors : “Dans le métro, rien que d’avoir les jambes croisées, j’avais peur que ce soit un signe révélateur et qu’on me fasse des remontrances ou qu’on m’insulte.” Il en a tiré une “niaque de dingue”, et cultive sa confiance en lui comme un jardin : “Je ne vais pas m’excuser de chanter ce que j’ai envie de chanter.”

Cette phrase aux airs de mantra, il a dû la répéter de nombreuses fois après le 17 juin 2021. Ce jour-là, il s’installe dans le chœur de l’immense église Saint-Eustache du Ier arrondissement parisien pour un petit concert en piano-voix. Un cadre idoine pour entonner “À quoi bon”, titre fort qui dénonce l’homophobie religieuse – “Je crois que je n’suis pas prêt pour obéir à ta Bible.” Sur les réseaux sociaux, les messages haineux ne tardent pas à proliférer ; dans les jours qui suivent sa performance, plus de 3 000 ont été recensés, dont des menaces. “On faisait la tournée des Fnac pour des dédicaces, et des inconnus disaient qu’ils allaient se pointer sur ces dates-là pour me faire du mal. J’ai dû me déplacer avec un agent de sécurité pendant cette période”, retrace-t-il. Mais faire l’autruche n’est pas dans ses habitudes. Une plainte est déposée, des poursuites sont engagées. “J’en ai très peu parlé sur le moment, y compris sur mes réseaux que j’avais désactivés, parce que je voulais vraiment passer par la justice.” Bien lui en a pris : en décembre 2022, onze hommes sont condamnés pour harcèlement en ligne commis en raison de l’orientation sexuelle de la victime, écopant de trois à six mois de prison avec sursis. “Il faut mettre en avant ces victoires, aussi petites soient-elles, insiste-t-il. C’est tellement rare que la balance penche de ce côté-là de la justice dans des affaires de cyberharcèlement. Je pense et j’espère que ça va en dissuader plus d’un à l’avenir.”

À l'assaut du monde

Sur son premier album, son tube, “Kid”, épingle les injonctions à la virilité, et dans des émissions grand public comme la Star Academy ou Danse avec les stars, les artistes queers s’approprient régulièrement ce qui devient un hymne émancipateur. “Tu seras viril, mon kid / Je ne veux voir aucune once féminine / Tu seras viril, mon kid / Tu hisseras ta puissance masculine / Virilité abusive : devant l’Assemblée nationale en décembre 2021, la députée de la majorité Laurence Vanceunebrock défend avec cet extrait la proposition de loi interdisant les “thérapies de conversion”. “Tu rêves toujours qu’une de tes chansons te dépasse et que la société la rattrape”, observe l’interprète.

Son deuxième album, À tous les bâtards, avait confirmé sa volonté d’être de plus en plus politisé. Ses convictions s’y font plus évidentes sur des thématiques sociétales dans l’air du temps, des violences policières à l’urgence climatique. Au printemps, il a prêté sa voix à un documentaire de Mediapart sur les guets-apens homophobes. “J’ai toujours tenu à brandir mes idées, affirme-t-il. La revendication fait partie de moi. Mais endosser un rôle de porte-drapeau LGBTQI+ ne m’a jamais excité. Notre communauté ne peut pas être réduite à un seul représentant, tout simplement parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être représenté.” Eddy de Pretto est politique, sa musique l’a même été avant lui.

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Stylisme : Nikita Vlassenko pour têtu·