Le chorégraphe Mehdi Kerkouche a beau avoir fait danser Chris et Angèle, il défend un art accessible, populaire, inclusif. Rencontre.
Photographie : Pierre Tostain pour têtu·
La première chose qui marque quand on rencontre Mehdi Kerkouche, c’est son sourire. Ce sourire qui nous laisse une impression d’euphorie résume toute la joie, l’énergie et la volonté de les partager du personnage. À 37 ans, il est désormais directeur du centre chorégraphique national de Créteil, un haut lieu de la danse contemporaine. “Mon objectif, c’est de fédérer au maximum, de montrer que la danse est moins élitiste que certains ne le pensent, souligne-t-il. Enfant, j’étais persuadé que l’Opéra de Paris n’était pas un lieu pour moi, alors que c’est en fait un fabuleux temple de la beauté et de la réflexion.”
Le grand public a découvert le chorégraphe durant le premier confinement à travers des vidéos de danse en visio réalisées avec les interprètes de sa compagnie, Emka. “J’ai de la chance que ce soit arrivé à un moment de ma carrière où j’avais déjà pu expérimenter beaucoup de choses, raconte-t-il. Une vingtaine d’années de carrière dans l’industrie – j’ai commencé à 16-17 ans –, ça permet de mieux comprendre ce jeu fou des médias, de la mise en lumière soudaine.”
Chris, Angèle, Coachella
Au milieu des années 2000, le monsieur danse de la Star Academy, Kamel Ouali, lui avait mis le pied à l’étrier. Mehdi Kerkouche devient alors la doublure de Christophe Maé dans la comédie musicale Le Roi Soleil : “On jouait dans les palais des sports, les arénas ; tous les soirs entre 4 000 et 12 000 personnes venaient nous voir, c’était fou !” Une opportunité en entraînant une autre, il devient le chorégraphe de nombreux shows télé : “J’ai quasiment travaillé sur toutes les grosses émissions françaises, sauf Danse avec les stars et Les Enfoirés !” Grâce à son haut potentiel pop, il joue en 2019 dans le film Let’s dance de Ladislas Chollat, dont le héros mélange danse classique et hip-hop. Un jour, il passe une audition sans trop y croire : “Mon mec de l’époque voyait bien que même si j’aimais chorégraphier, j’avais vraiment envie de danser. Alors il m’a un peu poussé à auditionner.” L’artiste qu’il rencontre, Christine and the Queens, est encore inconnu, mais plus pour très longtemps. “On a commencé par des petites salles, puis le projet a explosé et on s’est retrouvés à faire le tour du monde, se souvient Mehdi Kerkouche. C’était extraordinaire !”
Après ces trois ans passés aux côtés de Chris, il collabore désormais avec de nombreux artistes, dont tout récemment Angèle, pour laquelle il a réalisé des clips et chorégraphié la dernière tournée – on a ainsi pu le voir au festival californien Coachella, en avril. “Angèle, je la connais depuis longtemps, bien avant qu’elle n’explose. Ça m’a touché qu’elle ait pensé à moi alors qu’elle a maintenant le monde a ses pieds. C’est génial de bosser avec des artistes comme elle, qui ont un vrai propos, un vrai engagement, comme aussi Christine and the Queens, Bilal Hassani ou les interprètes de ma nouvelle pièce, Portrait, qui ont entre 19 et 67 ans, et plusieurs expressions de genre. C’est ça la société française d’aujourd’hui. Par rapport à mon histoire, à mon vécu de jeune arabe gay de banlieue, j’ai la chance d’évoluer dans un univers artistique où être LGBTQI+ est accepté.”
Homosexualité et culture
Mehdi Kerkouche est né en 1986 à Suresnes, dans les Hauts-de-Seine. “Gamin, il y avait toujours de la musique à la maison, raconte-t-il. Ma mère écoutait énormément Charles Aznavour et du raï. Mes grands frères, eux, étaient très rap. Moi, je mettais France Gall à fond, j’étais fan de Dorothée. Me voyant sans cesse danser, ma mère m’a inscrit à 6 ans à un cours de modern jazz. J’ai tout de suite adoré.” Mais dans son collège privé catholique, les autres ados voient d’un mauvais œil qu’un garçon s’épanouisse dans un art jugé peu viril. “J’ai détesté ces années, j’étais très solitaire. Mais, le soir, je m’évadais dans ma chambre en refaisant les chorégraphies que je voyais dans les clips de Janet Jackson, Madonna, Britney Spears…” Une amie le traîne un jour à un cours de hip-hop dans la MJC du quartier : “J’ai compris que c’était pour moi quand j’ai vu la prof danser sur « All For You » de Janet Jackson.” Convaincue que l’ado a du talent, cette prof le prend rapidement sous son aile, le faisant progresser les soirs après les cours. “J’étais à fond hip-hop, je ne mettais que des baggys, j’essayais de parler avec une voix grave pour faire genre « non non, je ne suis pas pédé, je vous jure » !”
“Plus jeune, mon rapport à l’homosexualité et à la religion était compliqué, se souvient le chorégraphe. J’avais besoin de faire la paix avec la culture dans laquelle j’ai grandi, moi l’enfant d’origine algérienne. Et j’ai trouvé le dabkeh, une danse traditionnelle arabe dont l’énergie m’a parlé, et que j’ai revisitée.” Elle donne son nom à la première pièce qu’il crée pour sa compagnie en 2018, et dans laquelle il met énormément de lui, de son histoire, de son parcours… “C’est avec ce projet que ma compagnie a commencé à se faire remarquer, notamment par l’Opéra de Paris.” Et voilà comment le gamin qui dansait sur Dorothée s’est retrouvé à chorégraphier pour le plus grand ballet français !
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